LE CREPUSCULE D’UNE REINE par LUX

Chronique écrite par François KÄRLEK

Voilà une œuvre bien singulière que ce premier album de LUX, groupe de Metal originaire de Djion.

Comme vous le lirez dans l’interview qui suit, les membres de LUX ne sont pas des perdreaux de l’année et proviennent d’horizons musicaux très divers : Metal symphonique, Gothique, doom, progressif, en passant par l’ambiant, l’extrême et la musique classique.  Force est de constater que ces influences participent largement à la qualité et la complexité de ce « Crépuscule d’une Reine », concept album basé sur la vie de Marie-Antoinette, d’une durée très généreuse de 70 minutes inversement proportionnelle à la tristement courte vie de celle-ci.

En termes de qualité d’écriture, l’auditeur sentira dès l’introduction qu’il n’a pas été trompé sur la marchandise : emphatique, symphonique, mêlant synthés (piano, violon, cuivres), percussions et narration, elle ouvre parfaitement l’album en lui donnant du souffle, de l’ambition et me rappelle les meilleures introductions d’albums cultes des années 90’s (Dusk and Her Embrace, Vovin…).

Ainsi parfaitement introduit, le premier véritable morceau Metal n’en est que plus puissant et expressif. Les guitares se complètent à merveille avec un riffing très varié, cheminant entre mélodies endiablées (parfois inspirées de la musique classique), solos virtuoses et passages doom ou thrashisant. La basse, très expressive et pleine de groove et de feeling, n’est jamais une simple doublure et développe son propre univers en parfait support de la batterie qui alterne avec brio les ambiances heavy, Gothique et diverses fulgurances plus extrêmes. L’inspiration et la maîtrise instrumentale, remarquables, suffiraient à ravir n’importe quel mélomane, mais cet album ne serait rien sans sa frontwoman Marion, dont la performance mérite largement que l’on s’y attarde.

Tour à tour enjôleuse, exaltée, mais aussi déçue et désespérée, Marion incarne littéralement Marie-Antoinette, figure marquante par sa complexité et son dévouement, déracinée très jeune pour des raisons politiques. Excellente musicienne alternant avec brio les registres et d’une justesse et précision sans faille, Marion porte l’album de A à Z, avec un sens de la mélodie (souvent doublée harmoniquement) et du placement des textes qui forcent l’admiration.

Il y a du talent à revendre chez nos Dijonnais et l’album impressionne tant chaque morceau a une identité forte, marquée par l’humeur de la Reine selon les thèmes abordés, et comporte son lot de passages accrocheurs et de moments de grâce : embarquez dans le tourbillon de guitares du solo de « Décorum » inspiré de Rameau, laissez-vous séduire par les refrains de «Révérence » , enivrez-vous des mélodies du majestueux « Cette Etoile est la Nôtre », défoulez-vous sur « « Tombée en Disgrâce » » (mon préféré) avant de sombrer dans la mélancolie de « Et Quand Sonne le Glas ».  

Je ne peux que conseiller à tous de prendre le temps de se pencher sur cette œuvre ambitieuse et peaufinée comme le plus fin des joyaux de la couronne et laisse la parole aux membres du groupes, passionnés, dans une interview-fleuve :

Bonjour les LUX ! Votre album « Le Crépuscule d’une Reine » vient de sortir, il propose des ambiances très diverses… Riffs très Heavy Metal voire Thrash, chant lyrique, chant death, passages symphoniques, doom ou encore quasiment Pop. Je définirais l’album comme « Gothique » au sens large mais j’y sens aussi un esprit de Metal Extreme (en particulier CRADLE OF FILTH et ses concepts albums sur Elizabeth Bathory ou Gilles de Rais). Comment définiriez-vous votre musique et confirmez-vous au moins un peu des influences extrêmes ?
Tony (basse) : Salut François, et merci pour cette petite tribune que tu nous offres aujourd’hui… Ah, « thrash » et « metal extrême », là par contre tu viens de te brouiller d’entrée avec l’un de nos guitaristes (rires) !! Mais pour les autres membres, on ne va pas le renier, et c’est très drôle d’ailleurs que tu aies relevé ces influences qui ne sont peut-être pas flagrantes pour tout le monde, en tout cas oui, on est tous (sauf un…) des « mordus » de la scène extrême, que ce soit le black pour Fabio et moi, le black plus symphonique et la scène ‘doom’ pour Marion-Lamita, et le death un peu technique pour notre ex-batteur Cédric. CRADLE est un groupe que l’on a écouté à une époque, qui est d’ailleurs revenu à un très bon niveau depuis plusieurs années, mais je dirais que leur influence est moins purement musicale que disons artistique, esthétique et “conceptuelle” en effet. Disons qu’il y a effectivement une dimension visuelle et évocatrice de leur musique, de leur son, et cela nous a peut-être poussés par la suite inconsciemment à marcher dans leurs pas, un peu instinctivement comme des « modèles » à suivre (j’y ajouterais aussi le MISANTHROPE de l’époque grandiloquente) : se dire que l’on pouvait adapter ce genre d’esthétique Gothique à notre propre approche thématique et sujet d’étude, ainsi qu’aux sons qui s’y rattachent, que l’on parle des orchestrations, des narrations, des vocalises (même si Marion ne fait pas encore dans les cris de « dindon » à la Dani Filth…), de cette ambiance empreinte à la fois de Classicisme et de Romantisme.

Marion (chant) : Hello, François, et oui merci sincèrement pour cette interview ! Alors oui, il est vrai que certains de nous sont issus de la scène extrême, Tony notamment était dans un groupe de black metal Troyen (SAHAR) puis chez les GIKTOR VELU (thrash/death) avant de me connaître. De mon côté, j’ai toujours évolué dans un monde proche du Gothic-doom metal, mes influences principales étant THEATRE OF TRAGEDY, les anciens TRISTANIA, THE GATHERING… Et bien sûr, j’ai toujours été dans l’aspect “symphonique” du metal (dont CRADLE en effet), avec mon parcours lyrique et les groupes que j’affectionne dans le style, notamment THERION. La musique de LUX est donc un mélange de tout ce que nous sommes, du « LUX », quoi (sourires). C’est assez difficile de définir ce que nous faisons, car il y a du lyrisme, des voix claires, des passages lumineux, des plus sombres… Cela va du heavy mélodique à quelque chose de plus Gothique, ou plus prog… Et parfois il y a des influences très proches de l’opéra ou même assez cinématographiques. En tout cas, globalement je dirais que nous sommes un groupe de metal mélodique aux influences très diverses, que notre style n’est pas arrêté et qu’il peut évoluer en fonction des albums et ce dont parle l’album. En tout cas, je comprends parfaitement que des influences extrêmes puissent ressortir dans notre musique et notre univers !

Alex (guitares) : Alors non, je ne vais pas me brouiller pour si peu… (rires) Mais personnellement, je n’aime pas trop ce qualificatif d’ »extrême” qui, me semble-t-il, n’a plus beaucoup de sens. Je ne me retrouve pas dans le metal avec des voix qui ne « chantent » pas, pour être précis. Et j’ai mes influences plutôt du côté du mélodique. En fait, j’écoute surtout du heavy, du power, du prog en metal (et je pense qu’on est quand même plus proche du heavy que du thrash!), mais il m’arrive d’apprécier des morceaux plus thrash ou death quand c’est bien fait… Rien ne m’énerve plus en fait qu’un groupe qui fait du thrash juste parce qu’une fois que ça va très vite ou que ça tape très fort, tu ne t’aperçois plus que derrière c’est de la m**** ! Mais ça ne veut pas dire que le thrash ce n’est pas bon en général, simplement que certains se planquent derrière. Idem en black : c’est pas parce que tu as un son digne d’une vieille cassette pourrie d’il y a 35 ans, des maquillages piqués à ta petite sœur et que tu bois de la grenadine sur scène en guise de faux sang (véridique !) que tu fais de la bonne musique pour autant. Par contre, le coté théâtral de certains groupes, je prends ! Mais l’important reste la musique : il faut que ça me fasse quelque chose aux tripes.

Fabio (guitares) : Pour ma part même si je viens à la base du Metal Prog, je suis c’est vrai de plus en plus influencé par le metal extrême : Black, Post-Black, Atmo, Blackgaze, etc… d’EMPEROR à ALCEST, de MYRKUR à toute la vague des blackeux liturgiques de l’Est… donc oui, je confirme ! Et en effet, la plupart des parties que j’ai créées ou ajoutées sont écrites dans cette veine, des mélodies harmonisées en tremolo, les rythmiques également un peu à la EMPEROR, l’utilisation de reverb à particules pour le côté atmosphérique/ambiant… Et également en empilant les pistes de manière à poser/créer des textures, des ambiances – de préférence sombres et lourdes, c’est pour cela que je joue très souvent en Drop A !

Tony : Pour la dimension ‘pop’ en revanche, c’est plus surprenant comme remarque, mais je ne le prends pas mal pour autant, j’imagine que tu fais allusion aux couplets/refrains plus abordables du titre « Révérence » ou aux arpèges sur « Vaine Déférence »… Pour cette dernière, qui a été en partie écrite à l’époque pour un ancien projet, l’ambition était en fait plutôt de sonner un peu dans l’esprit du ON THORNS I LAY période ‘Crystal Tears’, d’ANATHEMA ou encore de THE GATHERING. Sur « Révérence » en revanche, les influences en constituant la trame principale sont en effet à aller chercher dans la pop atmo et mélancolique tendance Shoegaze à la SLOWDIVE ou THE RADIO DEPT (lesquels apparaissaient d’ailleurs dans la BO du ‘Marie-Antoinette’ de Sofia Coppola), ou bien dans la ‘new wave’ d’un NEW ORDER ou d’un DEPECHE MODE. Mais on a eu vite fait d’y apporter un côté plus sombre… Pour l’anecdote, on avait bien essayé d’y apporter un refrain beaucoup plus ‘commercial’ justement, avec un plus gros débit de paroles pour Marion et une voix un peu « projetée » façon metal moderne, musicalement ça aurait pu donner éventuellement quelque chose… Mais ça ne nous ressemble juste pas du tout, en fait ! Marion ne sonne jamais aussi bien que quand elle laisse couler sa voix naturellement, pas quand elle la façonne ou la « fabrique » pour essayer de sonner plus ‘pop’ et aguicheuse (rires). Quand elle essaie de le faire, ça sonne juste ‘fake’ dans sa bouche et sabote complètement son interprétation, alors on préfère 100 fois au final conserver notre authenticité plutôt que de rechercher à tout prix à faire quelque chose qui « marche »… Mais il y a une forte dimension mélodique dans notre musique, c’est indéniable. S’il y a plusieurs lignes vocales et autres motifs musicaux qui te sont restés accrochés en tête, c’est donc plutôt bon signe ! (sourire)

Pouvez-vous présenter les membres du groupe et leur parcours avant de rejoindre LUX? Avez-vous des projets parallèles ?
Marion : J’ai créé LUX en 2016, pour réaliser le rêve de chanter et jouer dans un univers qui me parlait (à l’époque, surtout centré sur le metal symphonique façon THERION, mais voilà je voulais déjà apporter d’autres styles avec les influences d’autres musiciens). Au départ, j’étais seule à bord, je composais et faisais appel à des musiciens de session pour enregistrer. Mais lasse de ce fonctionnement, j’ai décidé de recruter un vrai line-up. Tony, mon mari aujourd’hui et déjà compagnon à l’époque, m’a rejoint tout naturellement à la basse. Puis, j’ai retrouvé Fabio, une ancienne connaissance lors de la release-party du premier EP (nous avions déjà fait de la musique ensemble auparavant). Par la suite, nous avons eu un batteur, Xavier, qui n’a pas pu rester, mais que je salue en passant. Et c’est à notre premier concert, en mai 2019, que nous avons rencontré Alex, notre deuxième guitariste, qui jouait ce soir-là avec le très bon groupe de heavy progressif Dijonnais TALERS. Cédric (ex-PROPHECY, autre groupe de metal prog) nous avait, lui, rejoint en tant que batteur après nous avoir vu en concert pour la Fête de la Musique à Dijon, en 2019 également. Enfin voilà pour le petit historique!
Avant ça, j’ai été dans divers projets, un groupe de black quand j’avais une vingtaine d’années (VESPERA IMPERIALIS), un groupe acoustique de compositions rock, ballade, blues lyrique… Par la suite, j’ai rejoint un groupe de metal gothique en Alsace (KHAELYS), avant de fonder un projet doom/metal gothique sur Dijon (DARKONELLY), ma ville Bourguignonne, qui a laissé place au projet ERZEBETH avec Tony, puis par la suite à LUX! En parallèle, j’évolue dans un side-project nommé ELUSIVE SKY qui est plus “new-age”, ambiant, electro, toujours avec un côté lyrique dans l’approche du chant et de l’écriture. Le premier album de ce projet est sorti fin 2022. 

Fabio : J’ai joué depuis 2000 dans plusieurs formations plutôt orientées Metal Prog, en tant que bon fan de DREAM THEATER et SYMPHONY X ! Comme l’a mentionné Marion, nous avions déjà joué ensemble il y a une dizaine d’années – je faisais alors partie d’un autre groupe de Metal Sympho, WINTER HOPES, dont le « lore » était principalement basé sur Tolkien et la Terre du Milieu – puis nous nous sommes retrouvés lors de la release-party de l’EP ‘To A New Eternity’, et j’ai alors intégré LUX quelques mois plus tard. J’ai entre-temps fait partie d’un groupe de Post-Rock / Blackgaze sobrement intitulé THERE IS NO HOPE ANYMORE… (sourire) Et en effet, le trio n’a pas survécu, malgré la vingtaine de compos produites… Parallèlement à LUX, je suis l’actuel guitariste de MAGNESIS, groupe de rock progressif Bourguignon qui a fêté ses 35 ans de carrière en 2022, et avec lequel j’ai eu l’honneur d’enregistrer 3 albums, dont le dernier est sorti à Noël.

Alex : Comme Marion l’a dit, je suis également guitariste chez TALERS, groupe qui existe depuis 2010. Lors de la release party de notre 2e album, «Of Spice and Men », nous avions invité quelques groupes de la région, dont LUX, et nous nous sommes tous très bien entendus, que ça soit musicalement ou amicalement, avec par la suite plusieurs concerts en commun. Alors quand ils m’ont proposé de leur écrire un morceau, j’ai tout naturellement accepté avec grand plaisir, puis quand ils m’ont proposé de les rejoindre, bien entendu, comme j’appréciais beaucoup leur univers musical, j’ai sauté sur l’occasion (sourire). En tant que fan de prog et d’albums conceptuels, j’étais servi. Avant TALERS, j’ai joué dans différents petits groupes sur Dijon, mais surtout avec un groupe de Rock progressif quand j’étais étudiant, à Grenoble, avec des copains d’enfance, SYNERGIE.

Tony : A noter pour l’anecdote qu’à la base, j’étais juste guitariste et brailleur dans mes précédentes formations, mais j’ai fini par délaisser la 6-cordes pour la 4 (enfin, la 5 maintenant…) qui me faisait de l’œil depuis de nombreuses années. De la même manière, j’ai voulu faire un peu autre chose que de l’extrême et partir sur un projet plus ‘soft’ à chant féminin, et c’est comme ça que s’est faite la rencontre avec Marion, d’abord pour le projet avorté ERZEBETH (qui ressurgit sporadiquement en studio) puis dans une version remodelée et beaucoup plus aboutie avec LUX IN TENEBRIS, renommé LUX par la suite.

L’album se présente comme un concept-album autour de la vie de Marie-Antoinette, personnage tout en nuances et pas forcément le plus connu des amateurs d’Histoire. Comment s’est fait ce choix et comment voyez-vous l’adéquation de ce personnage avec un album de Metal ?
Tony : Ah, là on va laisser la parole à Marion et on va avoir le temps d’aller boire une bière, je pense ! (rires)

Marion : A vrai dire, ce n’était pas juste un “choix” que de parler de Marie-Antoinette dans un album, ça s’est en quelque sorte imposé à moi il y a plus de 12 ans, c’est-à-dire que c’est la seule personnalité historique (à part  donc  la Comtesse Bathory précédemment) que je me voyais développer entièrement dans un album, car cela va au-delà d’un simple intérêt pour un personnage historique. Aussi loin que je me souvienne, j’ai toujours eu une forte admiration pour elle, et ça s’est renforcé en 2005 quand j’ai vu pour la première fois le film de Sofia Coppola que j’ai trouvé très réussi, surtout du point de vue esthétique, et qui dépeint d’une manière très poétique sa personnalité, qui va au-delà de ce que la plupart des gens pensent d’elle. Pour nos contemporains, bon nombre d’entre eux voient tout de suite le cliché de la Marie-Antoinette frivole, qui ne pense qu’à faire la fête, qui ne se rend pas compte que le peuple meurt de faim … Alors que tous les écrits que j’ai lus et les recherches que j’ai faites en profondeur prouvent le contraire ! Il se trouve que cette femme était dotée d’une compassion à toute épreuve, elle était dévouée en tant qu’épouse mais pas seulement, elle avait vraiment à cœur de bien faire, et je pense qu’elle donnait beaucoup de sa personne de manière générale, malgré les difficultés qu’elle a dû rencontrer à l’époque : avoir eu une enfance paisible de princesse avec ses frères et sœurs à la Cour de Vienne (avec peu d’éducation politique…), et tout à coup être propulsée dans une prérogative d’épouse royale afin d’apaiser les tensions entre l’Autriche et la France, devoir être expatriée loin de ses terres natales, être confrontée à la rigidité de l’étiquette et l’hostilité de la Cour de Versailles, subir plusieurs accusations à tort (renforcées par les pamphlets publiés à l’époque) et avoir globalement été prise comme bouc émissaire de tous les maux de la France pendant cette période Révolutionnaire. Le fait de parler d’elle dans un album de metal permet de mettre en exergue sa personnalité à la fois forte, fragile et complexe et surtout de lui rendre hommage. J’ai toujours apprécié les albums-concepts, et j’avais à cœur de réhabiliter l’honneur et la grandeur de cette Reine que j’apprécie tant et que j’ai l’impression d’avoir connue tant je me sens proche d’elle… Je sais que c’est peut-être étrange mais je ressens un lien d’affinité avec cette personne d’une autre époque et que je n’ai donc pourtant pas connue.

Tony : N’étant pas aussi fasciné par le personnage, je tiens quand même à souligner qu’elle a été un très bon sujet d’étude, et je pense que certains aspects de sa vie pourront parler à tous, y compris les personnes pas forcément intéressées par l’Histoire en général (même si ça reste certainement notre principal « cœur de cible », on ne va pas se le cacher). Et du fait de la force de caractère dont elle a dû faire preuve face à toutes les épreuves qu’elle a dû traverser, elle a tout à fait sa place à mon sens au sein d’un album de metal… Même s’il était évident que nous n’allions pas non plus nous contenter d’un ‘simple’ album purement dans ce style, car nous serions alors sûrement passés à côté de beaucoup de nuances, de contrastes qu’offre aussi son parcours. Comme nous avions précédemment essayé de le faire avec Marion pour le projet ERZEBETH traitant de la Comtesse Bathory, nous ne voulions pas nous cantonner aux clichés, au ‘folklore’ entourant de telles figures, mais bel et bien tenter d’explorer les tréfonds de leur âme, de leur psychologie, de leur identité en tant que femmes publiques, tout en creusant des pans peut-être plus méconnus de leur biographie auquel le public pourrait certainement s’identifier, nous sommes attachés à rendre hommage à leur « humanité » avant tout.

Quel est votre processus de composition ? Je suis particulièrement intrigué par le travail sur le chant et son placement par rapport à l’instrumentation.
Alex : La méthode varie un peu suivant les morceaux, suivant la personne qui compose aussi, même si la plupart des morceaux sont écrits à plusieurs mains. Et puis après la composition, il y a un travail sur l’interprétation de chacun, on enregistre des maquettes, on les ré-écoute, on modifie…

Fabio : Le processus est essentiellement un travail collectif sur une base plus ou moins aboutie. Certains morceaux ont été enregistrés tels quels (« Cette Etoile est la Nôtre », « Le Crépuscule d’une Reine » ou « Et Quand Sonne le Glas » notamment) parce qu’il n’y avait rien à ajouter si ce n’est deux-trois arrangements, quand d’autres ont dû être partiellement réécrits, et sur certains (« Vaine Déférence ») je n’ai trouvé l’essence du morceau qu’au moment de l’enregistrer, ce qui a conduit à modifier complètement la façon de le jouer…

Tony : Je plaide coupable sur ce coup-là, mes compos à moi n’étant souvent vraiment abouties que dans ma tête ! (rires). En revanche, pour ensuite les accoucher sur un Guitar Pro ou même venir à bout d’un morceau entier, là j’ai souvent besoin de mes camarades bien plus accomplis que moi, le petit autodidacte… Ca a parfois été un calvaire notamment pour Cédric notre ex-batteur et grand orchestrateur aussi, qui a dû refaire par exemple toutes les signatures rythmiques sur « Vaine Déférence » et « Reine de France » … tout simplement parce que je ne les avais pas écrites avec la bonne! Au final, il a bien fait de s’accrocher je pense, et je l’en remercie grandement… (sourire)

Marion : Pour répondre à ta question sur le chant, sur tous les morceaux, les lignes vocales ont été composées après la musique. D’ailleurs, les paroles sont créées après avoir écrit la ligne mélodique pour que chaque mot soit en adéquation. Pour moi, il a toujours été plus facile de procéder ainsi. Il m’est arrivé de faire le procédé inverse (écrire la musique à partir d’un texte déjà rédigé), mais j’éprouve plus de facilités à faire dans l’autre sens.

Tony : Ensuite, c’est un peu la chronologie et la portée des événements évoqués qui va déterminer l’humeur du morceau et de son interprétation. Pour “Reine de France” par exemple, j’avais demandé à Marion d’être un peu plus dans la fronde, dans la colère, avec une certaine forme d’arrogance face à cette mascarade de justice soi-disant du côté du peuple qui voulait arbitrairement condamner à mort une Reine pour asseoir ses propres intérêts. A l’inverse, la fin de “Vaine Déférence” voit Marie-Antoinette rêver à des amours charnels et passionnés, donc l’interprétation prend une dimension forcément plus sensuelle (virant quasiment à l’onanisme), « Le Crépuscule d’une Reine » et « Et Quand Sonne le Glas », au vu des circonstances sont, elles, marquées par la détresse et le fatalisme, la dissonance, “Révérence“ par la nostalgie rêveuse, le songe, l’expectative et l’appréhension de l’inconnu, etc…

Avez-vous adapté votre musique pour la rendre plus narrative (passages parlés, structures longues et progressives) ?
Marion : La plupart du temps, non. En fait, les passages narratifs sont arrivés à des moments particuliers sur des morceaux, car cela s’y prêtait, qu’il y avait la place pour ça, que ça semblait cohérent avec ce qui se passait musicalement. Mais ce que je veux dire, c’est que nous n’avons pas créé en se disant « il faut qu’il y ait un passage narratif ici précisément ». Tout s’est fait naturellement, et comme la musique précède les paroles et le chant, il en est de même pour les passages narratifs. Seule exception : l’interlude « La Fuite de Varennes », où là on avait en effet ce texte parlé et on a composé autour, Alex et moi, vraiment à partir de rien, juste de ces mots, de leur phrasé et de leurs intonations.

Tony : On savait dès le départ qu’on voulait faire un concept-album, avec donc de la narration, quelques bruitages, un début, une fin, et des morceaux qui se suivent dans un ordre bien défini. Les narrations permettent de resituer un peu plus tel ou tel événement de la vie de la Reine dans l’histoire globale, ou bien illustrer autrement que par le chant ses états d’âmes, émotions et sentiments, un peu à la manière d’une pièce de théâtre, ou d’un monologue intérieur quand il n’y pas d’interlocuteur en face. Personnellement, je ressentais déjà avant que les paroles ne soient écrites – à partir des seuls titres de travail – lesquels nécessiteraient de la narration, car souvent il s’agit de moments-clés dans le destin de Marie-Antoinette, comme l’Affaire du Collier ou la Fuite de Varennes justement, où il y aurait tellement à dire pour restituer le contexte que le chant seul n’aurait pas suffi, à moins d’écrire un nouvel « Alexander the Great » (rires). On aurait pu intégrer encore plus de passages parlés, mais il fallait parvenir à un bon équilibre, l’album étant déjà relativement long (près de 70 minutes), il ne fallait donc pas non plus en faire quelque chose d’indigeste.

Votre album comporte beaucoup de passages qui font penser à de la musique classique: chant proche de l’opéra (l’“Epilogue” est superbe), mélodies de piano ou clavecins, guitares très harmonisées dans des gammes adaptées. La musique classique fait-elle partie intégrante de la culture musicale des membres du groupe ?
Marion : Je vais répondre pour moi uniquement, mais oui je viens vraiment de cet univers, du fait de ma formation classique au Conservatoire. En tant que chanteuse, j’ai étudié l’opéra, le chant lyrique, le « lied », la mélodie pendant un bon nombre d’années, et il se trouve que mon père est trompettiste (corniste en fait) dans un Brass Band. J’ai donc toujours évolué dans la musique depuis petite (cours de solfèges et piano dès l’âge de 6 ans). Sur cet album, j’ai voulu employer majoritairement ma voix claire, mais le chant lyrique typé opéra reste quand même bien présent, il apparaît sur de nombreux passages (on en retrouve çà et là sur quasi chaque morceau, sur l’interlude “Fersen”, etc.). par contre, aussi étrange que cela puisse paraître, pour l’Epilogue “Ô Toi Qui Prolongeas mes Jours” que tu citais (tiré de l’opéra de Glück « Iphigénie en Tauride » – d’ailleurs, il est important de souligner que cet opéra fut dédié à la Reine), je n’ai pas voulu employer justement de la grande voix lyrique, j’ai voulu davantage offrir une prestation avec plus de simplicité, avec une voix moins ampoulée, plus naturelle, peut-être plus proche de l’interprétation qu’aurait pu en faire la Reine Marie-Antoinette à l’époque, car elle aussi chantait et faisait des représentations pour quelques privilégiés à la Cour ou au Petit Trianon. Bien sûr, je n’ai pas pu entendre ces interprétations, mais j’ai voulu à ma façon me mettre dans sa peau pour cet épilogue, c’était à mes yeux une belle façon de lui rendre hommage et de la faire revivre parmi nous.

En ce qui concerne le choix des instruments, l’emploi du clavecin était évidemment important à mes yeux, car c’est l’un des rares instruments qui peut faire le lien aujourd’hui avec l’époque de la Reine. Pour ce qui est des guitares harmonisées, oui elles jouent parfois en contre-point, ce qui peut rappeler le côté classique et baroque de l’époque. Il y a d’autres instruments qui auraient pu être utilisés, notamment la harpe et le piano-forte, mais voilà, il fallait bien que nous fassions des choix… 

Alex : J’ai eu une petite formation musicale classique quand j’étais enfant, j’écoute un peu de classique (pas aussi souvent que je le souhaiterais, parce que j’écoute le plus souvent de la musique en voiture et que le classique n’est pas du tout adapté, pour moi il faut l’écouter totalement, sans rien faire d’autre) mais j’ai toujours apprécié, notamment dans le progressif ou dans le power metal, l’apport d’éléments issus du classique (en fait surtout du baroque), comme chez RHAPSODY (OF FIRE), par exemple.

Fabio : En ce qui me concerne, la musique classique a toujours occupé une place importante dans ce que j’écoute, essentiellement par les émotions qu’elle véhicule, même si je ne la considère pas forcément comme une influence majeure dans mon jeu.

Tony : Personnellement, j’écoute aujourd’hui moins de classique qu’avant (davantage des musiques de films ou des OST de jeux), mais comme le souligne Marion c’est plutôt toute une approche et une démarche à part entière qui se prêtaient à l’exercice du concept-album sur un personnage « Royal » de la période du XVIIIème siècle. Certains choix artistiques étaient donc d’entrée une évidence, on n’aurait guère pu y couper… (sourire). Mais encore une fois, plutôt que de tomber dans les clichés de façon pompeuse et trop téléphonée, on a préféré le faire de manière respectueuse, pertinente et documentée. Les emprunts à Rameau sur « Décorum » ont une raison d’être, il s’agissait d’un des compositeurs contemporains de la Reine qui représentait bien l’époque ! Idem pour l’épilogue, Glück était son professeur de musique et il était donc pertinent de clôturer cet album dessus (après quelques secondes de blanc, comme pour un générique de fin).

Je trouve que votre musique exprime beaucoup de sentiments contraires : mélancolie, joie, excitation en alliant une forte dynamique à des passages plus éthérés. Je pense qu’elle peut se ressentir de manière très différente et je me demande quel serait selon vous le plus beau compliment qu’un auditeur pourrait vous faire ?
Tony : Tu viens justement de nous en faire un magnifique, rien qu’en employant le mot qui tue : “ressentir”… Car je pense que si quelqu’un devait nous dire quelque chose de fort, ce serait que notre musique est également « émotionnelle » et a réussi à le toucher par endroits. Si tu m’avais dit que tu n’avais rien ressenti du tout à l’issue de l’écoute, là à l’inverse je me serais posé des questions et me serais dit qu’on est passé à côté de notre sujet… Mais heureusement, nous avons eu quand même pas mal de retours de gens qui nous disaient que certains titres et passages leur avaient procuré de l’émotion, et même des frissons à des moments bien précis. Cela m’a fait la même chose avec des albums d’ANATHEMA ou de KLONE, et c’est je pense l’une des choses les plus importantes en musique, qui dépasse le simple cadre de l’écriture ou celui parfois trop « clinique » de l’exécution pour laisser place à la sensibilité, à une part de « magie », parler directement à l’âme…
Je vais parler pour moi, il y a des moments sur l’album qui me « prennent » toujours, me donnent la chair de poule ou me feraient presque monter les larmes selon l’état de fatigue et donc de vulnérabilité du moment. Ces titres-là en particulier sont d’ailleurs parmi mes préférés. L’interprétation de Marion y est évidemment pour beaucoup (elle a vraiment ‘incarné’ Marie-Antoinette au plus près de comme elle la ressentait, justement, sans être dans le surjeu ou la surenchère) mais je pense que c’est le travail d’implication de tout le groupe qui doit être ici souligné, que ce soit le choix des sons, la délicatesse du moindre arrangement, jusqu’au jeu très humanisé et tout en nuances de Cédric sur les batteries. Un titre comme « Cette Etoile est la Nôtre », je le ressens vraiment comme un « état de grâce », nous l’avons enregistré chacun de notre côté mais en ayant tous à cœur je pense d’y mettre tout notre ‘feeling’, et tout coule, tout est à sa place du début à la fin. Il n’y a pas une note que je changerais sur ce morceau… Qui est d’ailleurs l’œuvre d’Alex, je tenais à le souligner, un grand bravo à lui pour ce petit joyau ! Oui, on peut aussi se faire des petits compliments entre nous… (rires)

Alex : (rougit) Tout à fait d’accord ! Ressentir et faire ressentir une émotion est vraiment ce qu’on essaye de faire quand on compose un morceau, quelle que soit cette émotion (colère, joie, tristesse…) et la façon de la faire passer. C’est ce qui m’intéresse dans les concept-albums, on a une cohérence sur l’ensemble tout en parcourant une palette d’émotions très vaste ! Que ce soit avec un morceau comme “Et Quand Sonne le Glas” où l’on sent bien que ce n’est pas la fête (rires) ou avec “Vaine déférence” où des émotions contraires (désir, frustration) se mélangent, on souhaite vraiment que l’auditeur ressente tout ça à l’écoute et donc, ça serait un très beau compliment que la personne nous dise par exemple qu’elle ne fait rien d’autre pendant qu’elle écoute l’album, pour pouvoir bien en ressentir toutes les émotions !

Fabio : C’est exactement comme a dit Tony, merci ! Exprimer des sentiments, les faire ressentir à l’auditeur, et je crois que l’idée fondamentale c’était de mettre l’auditeur à la place de Marie-Antoinette, non seulement par la voix évidemment, mais aussi par toutes les parties musicales et les arrangements qui ont été créés.

Marion : La musique sur cet album est en effet tout en nuances et en émotions multiples: aucun morceau ne se ressemble, on a vraiment voulu apporter une vraie diversité. Et pour les diverses émotions que tu as mentionnées, elles font référence au vécu de Marie-Antoinette que nous retraçons à travers l’album, de son arrivée toute jeune à Versailles à ses doutes mais aussi son excitation par rapport à son nouveau rôle de Reine, en passant par les difficultés déjà évoquées qu’elle a rencontrées, ainsi que les problèmes conjugaux quand Louis XVI ne pouvait pas lui donner d’enfant, et la rencontre amoureuse avec son grand Amour et futur amant le Comte de Fersen… Le meilleur compliment que l’on puisse nous faire (et cela a d’ailleurs été fait depuis) serait de nous dire qu’à travers l’album on a rendu un hommage sincère, profond, humain et passionné à la Reine, et que nous avons en quelque sorte réussi à faire renaître sa flamme, la faire revivre un peu parmi nous afin de pouvoir enfin mieux la comprendre.

Malgré sa complexité, l’album sonne très naturel et taillé pour le live. Avez-vous des concerts prévus et quelle est la fréquence que vous souhaiteriez pour défendre l’album sur les planches ?
Tony : A l’heure où pas mal de groupes usent en effet de pas mal d’artifices (j’appelle ça la « Netflixation » des esprits : tout se doit d’être tout beau, tout propre, clinquant, lissé et policé, et voilà comment on assiste progressivement à l’essor des surproductions venant gommer les moindres aspérités comme s’il s’agissait d’une maladie honteuse, de ll’Autotune ou du Melodyne à chaque syllabe, des pseudos « live » en playback par-dessus des bandes enregistrées pour la scène sans que ça ne dérange personne, et demain à la généralisation des IA comme autant d’assistants de perfection…), c’est vrai que nous tenons pour notre part – comme les « vilains petits canards » que nous sommes! – à conserver cette dimension authentique, spontanée et abordable de notre musique, également dans notre manière de nous enregistrer et de nous produire, même si cela souligne aussi – et pour cause – notre/nos imperfection(s), car même si la musique que l’on joue peut être parfois complexe (il se passe en effet souvent plein de choses en même temps, et bien des ingé-sons s’y sont cassé les dents…), nous ne sommes pas non plus des machines et ne voulons pas sonner comme des robots !! Nous allons toutefois travailler davantage la mise en scène et la dimension ‘théâtrale’ de notre musique pour la scène, à être un peu plus ‘carrés’ aussi, mais toujours dans cette dimension « humaine » de proximité, à l’instar d’une troupe, pas d’un produit de l’industrie musicale. Pour l’heure, nous avons malheureusement dû lever un peu le pied depuis la sortie de l’album, on n’est plus tout jeunes et certains avaient besoin de se reposer et se retaper un peu… Nous avons également dû trouver une solution pour pallier le départ de notre batteur, Cédric, ayant en effet lui aussi malheureusement dû déclarer forfait pour raisons de santé. La priorité est donc de se rôder avec son tout jeune remplaçant Batiste (WICKED MAID, ARCY, ex-TALERS) afin de pouvoir à nouveau envisager sérieusement la scène, car on a bien senti sur les derniers live qu’avec les batteries programmées, il nous manque quand même quelque chose, une dynamique scénique, sans parler de la dimension visuelle et vivante qu’offre un vrai batteur en chair et en os.

Marion : Avant la sortie de l’album, nous avions commencé à promouvoir « Le Crépuscule d’une Reine» et nous avons joué à Reims ainsi qu’à de multiples reprises sur nos terres Dijonnaises. Nous cherchons donc bien sûr à rejouer aussi souvent que possible, aussi bien ailleurs que chez nous, de préférence sur des dates se prêtant bien à la dimension visuelle et conceptuelle du groupe. Donc, s’il y a des associations intéressées pour nous faire jouer, n’hésitez pas, nous en serions ravis !

Merci encore à toi, François, pour cette interview et pour tout ce que tu fais pour la scène et en dehors… FIAT LUX !!

Pour accompagner cette chronique, voici un lien d’écoute https://youtu.be/ndF-6f_oorQ?si=x8EWfDz3CHAln09N

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