Entretien avec… TATTVA

Entretien avec Jej, fondateur et seul membre de TATTVA et François KÄRLEK.

Bonjour Jej, Abysmes, le dernier EP de TATTVA ouvre une trilogie qui semble très différente de la précédente (Nirjara Avanati Naraka) Quels sont les thèmes abordés dans cet album et la trilogie à venir ? Est-ce à considérer comme un nouveau départ ?

La première trilogie a un thématique à 75% spirituelle et 25% vécue et la suivante est à l’inverse 25% spirituelle et 75% vécue.

Avec la période qu’on a connue pendant le COVID, il y a eu un changement comportemental et sociétal, des craquages dans la gestion du quotidien. La vie nous met seuls face à nous-même et révèle que l’on peut partager une vision des choses mais ne pas l’imposer.

En occident, il y a peu de sensibilité sur l’aspect philosophique alors que le Jaïnisme, une branche du bouddhisme que j’ai découverte par des lectures suite à des difficultés personnelles est une philosophie qui recherche des réponses à nos questions. Elle se manifeste principalement par l’expression orale et l’écoute de l’autre avec l’idée que le pouvoir des mots est colossal (on peut blesser plus avec des mots que physiquement).

Dans cette philosophie, les albums et EP de la première trilogie cherchent une transcendance au-delà des corps (l’âme) et correspondent à des étapes :

Nirjara est le voyage de l’âme pour atteindre l’attente de la renaissance d’un cycle, Avanati la désincarnation corporelle dispersée en résidus, Naraka la renaissance de l’âme qui repart dans un nouveau cycle. L’idée de fond est que nos actions conditionnent nos moyens et attitudes, et que la notion de Karma se vérifie au quotidien (si tu fais le mal, tu en subiras plus tard un juste retour).

Abysmes ouvre une trilogie plus « concrète » car une fois équipé spirituellement, le vécu devient une arme. Un autre EP était finalisé et prêt mais j’ai vécu entre temps des évènements à titre personnel qui ont interféré dans ma vie et ont conduit à Abysmes qui a été écrit en 15 jours.

Comment es-tu tombé sur les textes de Louise Ackermann utilisés pour Abysmes ?

J’ai vécu un naufrage émotionnel que je désirais traduire en mots mais je ne voulais pas solliciter une tierce personne ni être trop personnel dans mon écriture. Je suis tombé sur Louise Ackerman qui a une approche très humaine avec une approche relationnelle, sentimentale et sociétale. Quand je suis tombé sur le long poème « le Cri » j’ai eu une « révélation » car cela correspondait parfaitement à mon ressenti. Les tournures correspondaient à cette notion d’Abysse (Abysme) qui guidait cet EP.

Louise Ackerman a eu une vie tourmentée et, même si le texte n’émane pas de moi, la réinterprétation, le placement et les variations du chant font que je me le suis approprié.

Pour la suite de la trilogie, des textes d’Ackerman seront d’ailleurs à nouveau mis en avant.

Quelle est le contexte de la collaboration avec Marie Brouillard ?

Je connaissais Marie par des discussions épisodiques, et un truc m’avait marqué car je lui avais fait écouter Tattva et elle trouvait que le placement du chant faisait québécois, à savoir pas bien carré et qui dépasse un peu parfois, ça m’amusé et interpellé. J’apprécie sa musique et surtout son chant qui est très écorché et quand Abysmes a été écrit, je lui ai proposé le morceau d’ouverture qui lui a plu. Je voulais que cela sonne comme une apparition qui ait du sens et pas comme un featuring avec un seul chant. Elle pose ses textes et les vit, rendant les mots vifs comme des lames de rasoir.

Je trouve que vos chants s’entremêlent très bien sur ce titre

Effectivement mon chant est très aigu et écorché aussi sur le début, et le prochain album explorera lui aussi d’autres horizons et voix. Une forme de fluidité s’est instaurée, sans qu’au préalable elle n’ait été calculée.

Tu présentes plein d’influences depuis les débuts de Tattva qui sonnaient plus Death que Black, le fait de varier d’un album à l’autre est-il délibéré ou est-ce avant tout la musique qui te guide ?

Les sentiments guident l’instrumentation et justement l’EP qui est en standby n’est plus en adéquation avec mon ressenti. Je n’ai pas envie de sortir à l’instant t un support qui ne me correspondrait pas.

Abysmes est plus black dans l’approche car cela correspond à mon état d’esprit et la trilogie le sera avec des morceaux plus longs, atmosphériques et l’apparition de claviers (que je pratique depuis longtemps mais je n’avais pas encore franchi le pas).

Quel est ton moment préféré du processus de composition et enregistrement ?

Lorsque je maquette le chant, c’est le meilleur moment pour moi, la voix n’est pas là pour décorer, et c’est là que je lâche les chevaux. Cette étape cathartique est un moment libérateur, salvateur car le pouvoir des mots qui se greffent sur la musique, se gravent dans le marbre d’une prise son, est très fort et représente la photo d’un instant et d’un état d’âme. Le texte doit rentrer sur les espaces prévus mais je laisse mon corps le placer spontanément. Je passe presque directement d’une maquette à un prise finale.

As-tu déjà repoussé tes limites physiques pour interpréter ta musique ?

Sur une prise de chant je peux pousser et aller très loin physiquement. Pour garder la tessiture et les conditions je fais des sessions de 2h par titre que j’enchaîne sur peu de temps ce qui est très physique.

Je suis allé en studio pour ces prises et je n’ai pas été ménagé par l’accompagnement que j’ai eu de la part de Notos Production qui m’a poussé dans mes retranchements.

La basse me semble un instrument à part entière chez TATTVA (ce n’est pas toujours le cas en BM), quelle est ton approche (influences éventuelles) vis-à-vis de son rôle dans les compos ?

Je joue avec des américains du black très brut à la basse, on m’a proposé cela dès le début de Tattva. Je n’ai pas d’influence précise mais j’adore Deathspell Omega dans son approche de la basse qui a des lignes distinctes qui s’échappent des lignes de guitares et a une place à elle par des notes induites ou des tonalités spéciales.

Quand mes guitares (qui vont de 2 à 4) sont écrites, la basse vient se greffer sur l’ensemble, soit elle octave soit elle fait des tierces ou quintes avec des ajouts. Dans mon approche de la guitare, la corde du dessus n’est pas sollicitée par défaut (qui est un sol grave), c’est une approche très inhabituelle qui occasionne des dissonances et laisse une part de liberté par cette corde complémentaire.

Quelle a été ton approche pour la batterie ?

Sur Abysmes, l’approche a changé car je n’ai pas programmé en visuel et la batterie a été faite au clavier avec des vélocités variables ce qui rend l’approche plus vivante, organique dans mon jeu et simplifie le travail en post-prod pour un rendu plus naturel.

Écoutes-tu tes albums une fois sortis ?

Non je ne réécoute pas une fois les multitudes de mix réalisés qu’on écoute énormément (en sus du master), et comme je ne fais pas vivre ma musique en concert je n’ai pas besoin de la dompter pour la restituer. Je réécoute beaucoup avant que cela sorte avec des pauses jusqu’à 3 semaines pour prendre du recul. Je me suis posé la question de réenregistrer un EP après 10 ans mais c’est comme je le disais pour le chant une photo d’un instant et je ne trouve pas la démarche sincère de revenir à une œuvre précédente et pour la reproduire hors contexte.

Suis-tu les chroniques publiées ? Quels sont les meilleurs et pires retours que tu aies pu lire sur ta musique ?

Je suis les chroniques en retour de press-kit (envoyés en avant-première sauf pour Abysmes que j’ai sorti directement). J’aime lire la retranscription des impressions de personnes qui décortiquent la musique comme le critique gastronomique analyserait un plat. Les retours positifs et négatifs sont toujours constructifs pour conforter des axes. Je me suis fait un peu tailler sur le son de batterie et le manque d’éléments liés à l’ambiance indouiste dans une chronique sur Naraka.

Le retour le plus marquant sur Abysmes a été celui de Cult of Fire. Le leader du groupe Vladimir Pavelka (qui œuvre aussi dans Death Karma) est lui aussi imprégné de jaïnisme/boudhisme, et je ne lui ai pas envoyé la reprise seule mais tout l’EP. Il n’y avait pas d’enjeu pour lui à ne pas être sincère et son retour a été très positif. Cette reconnaissance par un artiste dont l’œuvre me touche m’a évidemment fait très plaisir.

Tu as commencé sur le simple nom de « J » pour laisser l’espace maximal à la musique. Souhaites-tu garder un anonymat maximal et quelle est l’image que tu veux donner à Tattva ?

Je ne me livre pas et reste discret mais il y a parfois une relation de confiance qui implique d’être plus visible. Je préfère en tout cas ne pas me grimer et que les gens voient mon vrai visage sur les photos promo.

Concernant l’image du logo qui a changé entre les trilogies, passant de l’âme emprisonnée à la libération. Et anecdote, lors du shooting pour Abysmes, je me souviens très bien de la photo réalisée à visage découvert avec une position proche du logo récent, les bras écartés. Elle m’a marqué car c’était très tôt le matin et il faisait 4 degrés, torse nu. La photographe (Estelle Bisbal / Les yeux d’Estelle) n’écoutait pas de Black Metal mais a lu les textes et m’a guidé pour que mon corps exprime les sentiments qu’elle a perçus. J’ai totalement joué le jeu et apprécié cet accompagnement avec le regard extérieur que cela a apporté.

Penses-tu qu’il existe une sorte de « grande famille » du Black Metal français et estimes-tu en faire partie ?

Il faut avoir conscience que c’est artificiel et que, dans une ère sans réseaux sociaux, il n’y aurait pas de grande famille. Quand on attend du clic, du partage, on n’est pas dans une relation normale. 

D’autre part, on est tous singuliers et des désaccords peuvent vite ressortir entre artistes, porteurs de trop d’idéologies différentes et tranchées pour cohabiter sans conflits. Une famille implique des liens de sang, on n’y est pas du tout et je ne me sens aucune affinité avec des gens qui se calent sur des stéréotypes (vikings par exemple) incohérents avec leur situation réelle.

Je préfère des artistes singuliers dans leur démarche qui évitent de se comporter comme des clones d’artistes connus et, dans le même esprit, j’ai dans mes relations plus de respect pour des gens qui ont des idées affirmées et m’adressent une opposition constructive que pour ceux qui me diront oui à tout.

Tu as participé à un album pour les sinistrés des incendies l’été dernier, quelle est ta sensibilité écologique et ton rapport à la nature ?

Le mini album collectif était dans l’action pour aider sur une situation précise car on était au cœur de la région qui a brûlé. Je ne suis pas un acteur écologique. A ma hauteur, je fais le mieux pour ne pas aggraver la situation et je respecte la nature.

Je suis pêcheur en bord de mer sur des nuits de 6/7h. On mesure ce qu’on pêche et on relâche. Je ne pêche que ma propre consommation.

Je suis aussi chercheur de champignons, qui sont une excuse pour des balades qui génèrent une communion avec la nature et occasionnent des rencontres avec la faune et la flore hors de la civilisation. Il y a un lâcher prise, un isolement qui se rapprochent de la méditation en solo.

Apprécier la simplicité est générateur de richesse, bien plus à mon avis que l’atteinte d’objectifs cadrés comme dans la théorie de la pyramide de Maslow, pour ceux à qui ça parlera.

As-tu des passions en dehors de la musique ?

J’ai été un gros joueur de jeux de rôle type Donjon et Dragon, de cartes (j’ai découvert Magic très tôt en version anglaise au collège) puis de MMORPG. J’ai une fascination pour la figure du Dragon (que j’ai encré à de nombreux endroits dans ma chair) qui exprime une sagesse et en impose. Dans une série de livres intitulés « sur la piste des Dragons oubliés », les dragons sont décrits et dessinés dans leur biotope avec beaucoup de détails. Je trouve que c’est une lecture apaisante et inspirante.

Des albums Metal t’ont-ils profondément marqué ces dernières années ?

J’attends le prochain Blut Aus Nord qui fera suite à Disharmonium, je trouve leur son incroyable. Je fais en ce moment une cure de Erdve, groupe qui sonne très poisseux. J’aime beaucoup Black Cilice au son très underground et sale, Helleruin qui a parfaitement digéré plein d’inspirations ou encore Izah, très poignant dans un registre atmosphérique.

Je citerais aussi Hate Forest, Precambrian, Drudkh, Void Prayer et Susa comme groupes à (re)découvrir.

Merci beaucoup à toi pour cet entretien.

Merci à SBUC pour le temps accordé et ces riches échanges, puissent nos routes se croiser pour vivre des instants de cet acabit !

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Et un extrait de son EP Abysmes à découvrir ici: https://youtu.be/smG6qPPy5QM

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