Chronique écrite par François Kärlek
Groupe de passionnés perfectionnistes, les Enfants de Dagon (Lyon) se sont fondés sur l’univers de Lovecraft comme leur nom, faisant référence à Dagon le Grand Ancien Dieu Poisson, l’indique.
Non contents d’avoir sorti l’excellent album De Profundis en avril 2022, accompagné d’un roman dans la foulée, Les Enfants de Dagon sortent en ce début d’année une nouvelle retraçant fidèlement l’intégralité de l’histoire narrée dans l’album, le roman déjà publié étant la suite de celui-ci (vous me suivez ?)
Mariant les univers littéraires et musicaux, Les Enfants de Dagon sont un groupe de Métal alliant les styles Gothic, Doom, Death et Black dont chaque prestation live est une cérémonie millimétrée, consistant à mettre en scène et interpréter l’intégralité de cet album.
Si Cthulhu et ses comparses ont été maintes fois invoqués par différents groupes de métal tels que Dawn of Relic, Bal Sagoth ou The Great Old Ones dont les noms ne permettent aucune ambiguïté, force est de constater que ces Enfants ne se contentent pas de plaquer un nom ou un thème sur une musique qui n’aurait pas grand rapport (coucou Metallica) mais s’approprient avec maestria l’essence lovecraftienne pour s’immerger allègrement dans l’indicible, le poisseux, le déviant.
L’expérience idéale et ultime étant désormais de lire la nouvelle en écoutant l’album je vais me prêter au jeu dans un track by track en me basant sur les titres des chapitres en français pour un parallèle entre musique et texte.
L’histoire nous conte donc les mésaventures du Père Duval, soucieux de changer d’air après avoir vécu les horreurs de la guerre, et profitant d’un poste vacant de vicaire pour quitter la France afin de rejoindre la ville d’Innsmouth située dans le comté d’Essex (Massachusetts).
BIENVENUE À INNSMOUTH
Malgré sa lourde tâche d’ouvrir l’album, ce morceau introductif met parfaitement en place le principe de narration avec ce qui sera un élément majeur du disque : le chant féminin, dont la symbiose s’avère parfaite avec le chant masculin, entre alternances, superpositions de chants et effet d’écho (over Innsmouth…). Le clavier discret amène un gros plus et participe énormément à l’ambiance, à savoir la découverte d’un village brumeux aux habitants manifestement dégénérés physiquement. Les riffs Death et le solo à partir de 2 :25 participent grandement à la lourdeur et au mystère de cette mise en place.
ET AU LOIN LA RELIQUE
Morceau le plus Doom de l’album, le chant infragrave donne une couleur très différente (sombre et rentre dedans) et appuie la rencontre entre Duval et la jeune, jolie et pieuse Eléanor qui le met en garde contre une antique relique qui fourvoierait les personnes qui la recherchent. Torturée et malsaine mais avec un vrai format de chanson (intro/couplet/refrain) cette 2ème piste est très accrocheuse avec ce chorus féminin quasiment parlé. Une piste majeure de l’album qui s’avère sans doute la meilleure pour découvrir le groupe.
SUR LE PONTON
Morceau de bravoure avec ses 7 minutes, cette piste atmosphérique aère l’album après un début très dense, et joue un rôle d’exposition du talent de chaque musicien dans une ambiance éthérée en lien avec la découverte par le père Duval des écrits inquiétants de son prédécesseur, sans doute devenu fou, puis la méditation et l’introspection de notre protagoniste devant l’océan.
Elle démarre par une superbe mise en avant des capacités de la chanteuse, se développe avec des motifs et placements de batterie très intéressants, des riffs avec harmonies à la suédoise par moment (à 2 :35), des jeux question/réponses décidément très réussis entre chants masculin/féminin. Là encore le chant féminin est excellent et ouvre une autre dimension au disque avec un aspect très gothique qui accompagne la vision réelle ou rêvée d’une chimère mi-homme mi poisson conduisant à questionner l’existence de Dieu.
ENTRE LE BROUILLARD ET L’OCÉAN
On entre dans mon enchainement préféré des pistes 4 5 6, le « cœur » du disque.
Ce morceau est très gothique dans son approche avec des arrangements de clavier et double grosse caisse évoquant le meilleur du Black Metal symphonique des années 90 : chœurs portés par des guitares planantes, des riffs et solo très heavy, chant black excellent (à 2 :34), autant d’éléments qui permettent d’éviter la redite avec les pistes d’ouverture et développant un registre plus black Metal.
Le ton se durcit, la palette musicale s’élargit au fil de la remise en cause de sa propre foi par le Père Duval et sa motivation pour en savoir plus sur les mystères d’Innsmouth en suivant un étrange cortège accompagné d’une mélodie martiale que l’on ressent par le pilonnage de la batterie sur ce morceau.
L’ORDRE ÉSOTÉRIQUE DE DAGON
Une intro troublante accompagne les découvertes par le Père de cette mystérieuse confrérie, OED pour les intimes, que l’on retrouve d’ailleurs sur le logo du groupe.
J’adore les riffs, les nappes, le chant féminin discret qui seconde le clavier et le côté furieux de la batterie et du chant de gnome hargneux sur cette piste qui m’évoque comme le précédent le Cradle de la meilleure époque. L’ambiance est épique et on est au sommet de l’album, climax narratif de la découverte d’un ordre impie qui se réunit pour exercer un rituel de vénération et d’appel, avec une lanterne bleue et des chants païens, de la fameuse chimère homme/poisson qui vient « honorer » les femmes de l’assistance dans un rituel grotesque.
DE PROFUNDIS MYSTERIIS
Suite de l’enchaînement des pistes centrales avec des chants très variés et théâtraux, des riffs carrément death et black, très rythmiques et graves. C’est un beau condensé de tous les styles croisés jusqu’ici, avec des ajouts d’éléments de folie vocale entre 2 :04 et 2 :34 et un solo de guitare aux sonorités orientales à 3 :15. La mélodie des refrains est très originale (1 :18, 2 :45, 3 :41) et déstabilisante, ce qui va bien avec un morceau charnière que je trouve très narratif (presque opéra métal dans l’esprit) où la musique sert le texte avant tout, narrant les tourments de l’ecclésiaste par la découverte d’un grimoire expliquant les mystérieux desseins de l’EOD.
FACE À L’OBSCURITÉ
Une intro mystique, sombre, envoûtante, propose une belle aération et s’enchaîne sur des passages très denses et accrocheurs jusqu’à son final aux portes de la folie et ce « oh mon dieu, son ventre, elle porte la vie », qui permet de bien se raccrocher à la découverte d’une grossesse contre-nature et amorce la funeste fin de la nouvelle.
AU-DELÀ
Ce morceau inattendu, basé sur du chant, piano et violoncelle, est une magistrale démonstration du talent de la vocaliste et la violoncelliste, jouant tout en finesse, pour sublimer, en quatre minutes de pure poésie noire, l’évocation d’une douce agonie.
L’ANGE DÉCHU
Dure tâche de conclure un album d’une telle richesse ! Ce morceau est un condensé des styles de chant et d’instrumentation pratiqués sur l’album avec une base heavy/death/gothique portée par une basse qui groove en midtempo, des passages ésotérique et planants, et un final narratif et ambiant qui accompagne à merveille la déchéance morale et physique du narrateur.
Cet album, que j’écoute depuis déjà plus d’un an et connais sur le bout des doigts, fait clairement partie de mes œuvres de chevet.
Par leur qualité d’écriture et d’interprétation, Les Enfants de Dagon ont créé, dès ce premier opus à la finition irréprochable, leur propre style musical, reconnaissable entre mille, ce qui est loin d’être donné à tout le monde. Si vous ajoutez à cela l’ensemble visuel et littéraire extrêmement cohérent qui accompagnent l’œuvre, je ne peux qu’inciter tout amateur de métal et d’œuvres fantastiques à se plonger dans leur univers sous toutes ses formes et rejoindre les disciples de Dagon.
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