SANS ROI – L’esprit et la Matière

Chronique écrite par Nordes Ulv (Mylène Javey)

Album : L’Esprit et la Matière

Année : 2022

Genre : Black Metal

Distribution : France Black, Death, Grind

Pour cette première chronique parmi vous, je m’en vais vous conter le concept passionnant du premier album de Sans Roi, l’Esprit et la Matière, sorti en décembre 2022 et distribué par France, Black Death, Grind. Il y a déjà trop longtemps que je l’avais promis à Adam, mon ami et frontman du combo français avec qui je partage le même intérêt pour les grandes traditions spirituelles et alchimiques. Permettez-moi donc de vous présenter votre « serviteuse.trice.org.moi », Madame Soleil à l’humour parfois acéré mais sympathique, Nordes Ulv, alias Mylène.

Néanmoins, avant de rentrer dans le vif du sujet, il me semble opportun d’expliquer le concept des Sans Roi et pourquoi il ne détone absolument pas avec une certaine idée que l’on peut se faire d’un métal noir moderne, toujours occulte et peut-être plus empreint de connaissance mystique. Ici, l’image même du groupe se confond avec l’œuvre de Pacôme Thiellement La victoire des Sans roi. La révolution gnostique. L’auteur donne une définition d’absolue liberté aux Sans Roi, à la lumière des textes gnostiques. C’est la race de l’homme nouveau, individu défini comme « abasileus genea », libéré de toute institution, n’appartenant à aucun seigneur et maître sauf à Dieu lui-même. Une idée selon laquelle les Pères de l’Eglise et de l’ancien testament n’auraient donc respecté en aucun point les enseignements du Christ et qu’ils ont, par leur esprit étriqué, poursuivi la loi de l’ancienne alliance, enfermant et esclavageant de nouveau l’Homme dans la culpabilisation inutile, reléguant aux oubliettes par la figure morte du Christ sur la croix, l’essence même de la jouissance de l’existence et de la liberté fondamentale du corps et de l’esprit.

Il s’appuie notamment sur les révélations de l’écrit gnostique datant du VII ou VIIIème siècle, la Pistis Sophia, récit qui s’apparente à un évangile apocryphe mais qui en diffère néanmoins par la forme littéraire et les questions subversives embrassant la cosmogonie, la théorie des émanations, la nature et la hiérarchie des esprits, mais aussi l’origine du mal physique et moral. Il rappelle aussi dans ce livre le rôle initiateur de Marie-Madeleine, figure féminine du cœur connaissant, contée par le Christ à ses disciples dans ses enseignements. Voilà pour cette introduction un peu rapide et formelle, certes, mais cela nous donne un premier éclairage quant aux images véhiculées dans ce tout premier volet d’un triptyque de trois trilogies aux sonorités Black Metal qui emprunte aussi à divers genres, ce qui enrichit bellement le tout.

Oui, oui, vous avez bien lu. Neuf albums de Metal noir consacrés au savoir gnostique et à la mystique des origines chrétiennes et alchimiques qui verront le jour ces prochaines années. En cela, le metal noir du combo Clermontois est parfaitement cohérent puisqu’il s’agit de jeter aux flammes un des mensonges universels et de pouvoir rétablir une certaine forme de vérité par des textes punchy et des titres accrocheurs. Voilà donc un projet ambitieux et passionnant, s’il en est. Titanesque même ! Seulement, la naissance de l’esprit et la transcendance de l’âme ne sauraient s’impatienter et brûler la chandelle par les deux bouts. D’ailleurs, une vie seule ne saurait suffire à intégrer tous les messages christiques, alchimiques et cosmogoniques qui pavent nos chemins, sans marcher sur le chemin de l’initiation et de la Tradition. Œuvre au noir, œuvre au blanc et œuvre au rouge seront donc les panneaux indicateurs de notre écoute sur ces trois trilogies, et ce premier volet nous invite tout simplement à entamer le voyage et à faire preuve de patience. Peut-être finirons-nous par avoir ou entrevoir certaines réponses dans quelques années.

Très clairement, ce projet signifiera pour les plus valeureux d’entre nous, du moins pour les plus curieux, les patients, les apatrides de l’âme et de l’esprit, les gnostiques, les athées, les déistes et les lucifériens, ceux qui cherchent et ceux qui ne cherchent plus, ceux qui ont chuté et qui crient dans la nuit, d’être sûrs que leurs jours ne seront peut-être pas comptés et qu’ils feront peut-être la place à un metal noir plus ouvert et plus gnostique. Une chose est sûre, l’Esprit et la Matière mérite votre attention et une oreille plus que singulière. Comme dans toutes les chroniques que j’ai pu écrire pour Metal Alliance, je propose ici, d’évoluer vers d’autres sphères, de penser et de remettre la musique sur son piédestal symbolique divin (classiqueuse oblige !).

En cela, le metal noir français, dont Sans Roi fait partie, a ce génie civilisationnel des profondeurs philosophiques et philosophales qui permet d’ouvrir d’autres voies et qui continue d’interroger nos consciences et nos cœurs connaissants sur la noirceur du monde. Alors ne soyons pas timides. Ce genre a su faire un saut quantique par rapport à certains pays encore très inscrits dans une certaine forme d’imagerie inversées. C’est un génie subversif empreint de liberté intérieure comme un cri de rage. Une folie artistique et créative en opposition avec l’hystérie actuelle couplée à une pensée en chute libre, illusoire et déconnectée de raison et d’interrogation, de sagesse socratique, mythologique ou gnostique. Une folie créative qui s’oppose résolument, malgré les apparences, à ce monde tombant, superficiel et parodique. Là, j’assume totalement mes positions. Seulement avec Sans Roi, force est d’accepter qu’il n’y a donc plus que Lucifer pour emprunter les riffs ravageurs de ce genre et montrer sa voie d’illusion, sèche et vide, confinant le cœur au néant. Mais bien une sagesse totalement subversive non fondée sur la basique dualité du monde pour faire un pas sur le chemin de la connaissance. Et la scène française a toujours su faire monter cet esprit gaulois et philosophique parmi des groupes au parcours passionnant et qui n’auraient presque plus rien de très antichrétien, sachant qu’aujourd’hui, rentrer dans la mystique de nos aïeux devient presque la marque ultime de la subversion elle-même. C’est dire le paradoxe dans lequel nous nous retrouvons ! Et bien entendu, c’est toujours dans des temps de crises funestes pour l’Homme que la fonction créative du metal noir émerge des profondeurs du Spiritus pour délier l’inutile, l’innommable et sublimer l’angoisse de vivre et de mourir. Nous voilà alors résolument en contact avec la beauté de l’Esprit et la Matière de Sans Roi. Alors, heureux ?

Je retrouve dans cet album, une lignée d’un Metal français noble qui nous offre des mélodies superbes sur un son travaillé et subtil mais néanmoins dénué d’effets atmosphériques. Ce qui est dommage car cela aurait pu donner encore plus de relief à cet album aux influences plus connues comme Tribulation et Dissection. Mais c’est là toute la beauté du metal noir à la française, mes dark worshippers : le paradoxe. Et toute l’intelligence de Sans Roi, celle de rechercher des vérités quand la lumière s’est éteinte.

Disciple of the roots et No turning back nous font donc entrer sans attendre dans la danse de l’œuvre au noir par ce voyage aux confins de la conscience et de nos parts d’ombre comme le disciple des origines attendant la révélation de Dieu par le Grand Vivant après l’Exile. Comme nous tous, le voyageur sait. Il sait, oui. Il connaît et reconnaît le trajet tragique qui nous a menés là, loin de Sa face glorieuse et des dieux primordiaux relatés par la gnose. Tout comme nous, il n’ignore pas cependant qu’il n’y aura aucun retour possible à la Source sans intégrations de ses nuits successives. Traverser la vie en s’incarnant dans ce corps tiraillé entre nos deux principes, masculin et féminin, pour épouser nos besoins de transcendance par l’Esprit Sain. Disséquer, examiner, fondre, séparer nos grains originels de nos ivraies personnelles et de nos ivresses inutiles. C’est dire si le voyage dans le creuset de nos profondeurs hideuses s’annonce rude… Mais c’est là aussi le message génial de « l’entrée en la matière » de ce premier opus.

D’ailleurs, à la lecture et l’écoute, je m’interroge. Saurais-je moi aussi surgir des abysses pour cheminer vers l’œuvre au blanc puis vers l’œuvre au rouge ? A me réunir ? Saurais-je accepter de plonger là, sans retour peut-être au principe du Père, sauf si je donne un jeu possible et illusoire à l’Adversaire croyant par lui-seul détenir le feu de la connaissance ? J’aurai neuf albums en tout pour y répondre et découvrir avec eux toute la complexité de la cosmogonie gnostique ! Pour cela, encore faudrait-il me laisser briser en mille éclats ou me laisser polir tel un diamant se délestant de ses surfaces brutes. Le dormeur devra se réveiller et faire rendre grâce à ceux qui nous auront mentis.

The sleeper must awacken nous entraine ensuite dans des riffs plus lancinants et mélancoliques quand L’esprit et la Matière et Là où la folie s’exprime nous bousculent et nous passent à la lessiveuse. La voix torturée nous emporte et l’alternance des mid-tempi et des bons gros blasts en font certainement les titres les plus intéressants et les plus percutants. C’est un battage intérieur absolu à la compréhension du mariage alchimique de la Magdaléenne et du Grand Vivant, prêchant dans le vide face à la destruction généralisée de tout model visant à l’élévation, comme préfigure de l’übermensch apostat de demain, indifférencié, aux valeurs inversées et sourd aux messages des origines.

Je mettrai cependant un tout petit bémol aux samples parlés de Pacôme Thiellement qui ont une petite tendance à casser le rythme et à éteindre le Mystère que les révélations de la Pistis Sophia dans Apocryphal Gospels ont laissé en moi. Comprenez-moi ! C’est que le cheminement intérieur et musical se fait dans le silence du cri intérieur, rythmé par des voix saturées sublimement doublées. Et pourtant, je retrouve là des influences de Moonspell qui ne sont vraiment pas pour me déplaire. Riffs et rythmes puissants, mélodies troublantes et chantantes. Dommage. Il est des moments clés où on a besoin de laisser se dérouler le fil de notre destin, messieurs. Push the reset button et l’Hypostase des Archontes cloturent en toute beauté ce premier opus aux sonorités parfois black’n roll, intenses et froides, qui ne seraient pas sans rappeler quelques morceaux de Satyricon, ni le sublime génie d’Ultime éclat de Glaciation, ou Internal Fire de Dissection. Ou même encore, des couleurs du dark rock de Varsovie, Va dire à Sparte. Vraiment cultes ces morceaux ! En miroir parfait entre ombre et lumière comme deux faces d’une même médaille. Un Metal noir bien frenchy.

A travers ces 8 titres inspirés, Sans Roi s’inscrit sans conteste dans cette nouvelle génération des groupes français de grande envergure, en équilibre entre metal noir et dark rock. J’ai vraiment hâte de découvrir la suite, histoire de voir si je peux descendre un peu plus dans les oubliettes de mes souvenirs célestes. Espérons que leurs futurs concerts permettent à ce jeune combo à nous révéler la suite, la voie de ceux qui espèrent la liberté sans le maître de ce monde. La voie des Sans roi.

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