Chronique écrite par François KÄRLEK
La scène metal française est vraiment exceptionnelle par son underground foisonnant.
Je suis tombé par hasard il y a quelques semaines sur INERTE, projet solo dont l’EP vient à peine de sortir (mars 2023) et j’ai été scotché par la très forte personnalité qui se dégage de ces 6 morceaux (6 en physique et 5 sur Bandcamp).

Un chant possédé, une basse qui a une place à elle, des guitares qui se complètent, une batterie très atypique et intéressante (malgré le fait qu’elle soit programmée), toute cette première œuvre transpire l’artisanat et le travail d’orfèvre, loin des standards souvent trop policés et des styles codifiés.
Une sortie très noire et terriblement addictive qui justifiait pleinement d’en savoir plus auprès de son géniteur, Nicolas.
Bonjour Nicolas, INERTE est un projet naissant mais tu baignes dans la musique depuis déjà pas mal de temps, peux-tu nous décrire ton parcours ?
Tout à fait, je joue depuis mon adolescence, j’ai fait partie de groupes de rock, death, black et mon projet le plus notable avant Inerte a été Sin Cera, pratiquant du Thrash/Death groovy chanté en français et qui a produit un album « L’autre fera lien » avec pas mal d’influences diverses.
Cependant, on a connu les affres habituelles que peuvent rencontrer un groupe : difficulté à trouver des dates qui vont à tous les musiciens, changements de line-up, répétions laborieuses car tout le monde n’avait pas le même investissement personnel et temps à consacrer à la musique. Au final, toute mon énergie n’a pas suffi à maintenir Sin Cera en activité.
Autour de 2019 l’envie m’est revenue de composer. Des riffs et idées diverses me sont venus spontanément, c’est d’ailleurs le sens de S/C qui signifie « sous couvert de », comme si j’étais l’aboutissement final d’une musique dont je ne suis peut-être que le vecteur.
Je me suis lancé très sérieusement dans l’écriture et la production en solo, j’ai investi dans du matériel dont une bonne carte son et mis en pratique mes connaissances pour donner corps tout seul à mes idées en m’appuyant sur 5 ans de solfège, ma maîtrise de la guitare (il y en a 3 sur cet EP), la basse, le clavier, la batterie.
Cet EP a été un travail et un investissement énorme à titre personnel, j’ai passé des nuits blanches à apprendre à maîtriser les techniques de mixage et en particulier à apprendre à composer une batterie programmée et la faire sonner comme je le souhaitais.
J’ai reçu quelques remarques sur la production de cet EP (manque d’ampleur par exemple) mais cela ne m’a pas trop affecté car elle correspond parfaitement à ce que je souhaitais faire et exprimer émotionnellement.
Effectivement on ressent une vraie patte et une approche musicale très personnelle sur cet EP. Les titres ont des ambiances profondes, transpirent la sincérité et marquent l’auditeur chacun à leur manière. Pourrais-tu nous présenter chaque titre en le décrivant par 3 mots clés et en développant leurs intentions ?
L’exercice n’est pas si facile mais allons-y !
- Icone sale : Tristesse, mélancolie, colère.
Ce premier titre prend la forme d’une déclamation de textes que j’ai écrits quand j’ai ressenti un besoin viscéral de coucher sur papier mes pensées.
Il exprime une grande colère, un concentré de frustrations qui s’exprime par une instrumentation très violente et dense et des cris mixés en superposition.
- Ruines : Complexité, effondrement, rage.
Ruines tourne autour de riffs principaux qui sont éclairés différemment selon les accompagnements rythmiques, il en ressort une ambiguïté et une incertitude entre des passages très sombres et d’autres plus lumineux avec des chœurs mélodiques.
Il exprime une situation d’effondrement personnel et la difficulté de savoir où on en est de sa propre vie.
- Seccare : Meurtre, sexe, folie.
C’est un titre très brut, presque animal, à la rencontre entre les pulsions les plus extrêmes de l’humain. Ce morceau est obsédant et entêtant, c’est peut-être le plus accrocheur de l’album à mon sens. La thématique abordée est illustrée par un extrait de « La Nuit du Chasseur », un film de 1955 avec Robert Mitchum dans un rôle très ambigu et malsain, à savoir un prêcheur misogyne qui épousait des veuves puis les tuaient.
- Béance Grise : Plaisir, passion, haine.
Ce morceau fait part de l’abysse mental présent en nous qui peut nous conduire de la passion à la haine exacerbée envers une même personne. Il comporte dans sa 2ème partie des passages parlés soutenus par un riff principal sinueux appuyé sur un midtempo qui aère le morceau et évoque la notion du vide.
- Gras : Autodestruction, douleur, catharsis.
« Gras » évoque la prise de conscience que s’apitoyer sur soi et s’autodétruire n’est pas une solution. Le titre retranscrit un processus pour trouver une échappatoire en se reprenant en main. Le pont au piano et la montée qui le suit accompagnent ce processus de libération de nos propres démons.
- Hole in Hell : Noirceur, fatalité, espoir.
Le thème de fond est assez proche de « Gras » mélangeant des sentiments contradictoires à cheval entre ombre et espoir.
C’est une compo datant de mon adolescence mais totalement repensée et explorant d’autres horizons musicaux par son côté industriel. Je trouvais que ce morceau complétait bien l’album, en le concluant de manière assez inattendue mais cohérente.
Pour compléter ces descriptions il me semble que la basse et la batterie jouent un rôle essentiel dans ta musique, sur un morceau comme « Ruines » cela semble vraiment frappant, est-ce volontaire ?
Tout à fait, je considère la basse comme un instrument « noble » à part entière qui n’a aucune raison de se cantonner à doubler des guitares. Les parties de basse de S/C sont très mises en valeur et ont une identité propre contribuant au sentiment de lourdeur de certains passages. Son traitement contribue, entre autres, à rendre le style d’INERTE pas si facile à définir, d’où la notion de Dark Metal à la croisée du Death, du Black, du Sludge et du Gothique.
La batterie, pour sa part, se veut variée et ne se résume pas à des motifs simples et standardisés, j’y ai passé beaucoup de temps aussi bien sur sa composition que son rendu sonore.
La musique et les thèmes que tu évoques confirment une identité déjà très forte pour un projet naissant, comment as-tu procédé pour compléter cela par les aspects visuels d’INERTE ?
J’ai découvert de travail de l’illustrateur Hugo Gravel avec la pochette du premier album d’Etat Limite, « l’Affrontement de l’Intime ». J’ai trouvé celle-ci très réussie et ai fait appel à lui en lui expliquant mon projet tout en lui laissant carte blanche. L’artwork représente un soldat, symbole d’obéissance qui semble allongé, enfoui et bâillonné mais s’avère sans doute prêt à se libérer. L’idée est qu’il reste un espoir derrière l’abnégation de ce personnage, tout comme l’arbre du logo tend à sortir de terre.


Quel est l’avenir d’Inerte ? Une suite est-elle à attendre sur disque / sur scène ?
Pour l’instant je n’ai pas encore matière pour une nouvelle sortie et je souhaite laisser un maximum de chances à cet EP de trouver ses auditeurs. L’étape prioritaire suivante pour Inerte est d’arriver à former un line-up afin de le défendre et le faire vivre sur scène, c’est en cours et assez bien engagé avec des musiciens que j’ai rencontrés récemment ou d’autres avec lesquels j’avais gardé de très bons contacts.
Avant de conclure et afin d’en savoir un peu plus sur toi et tes goûts musicaux que je suppose variés au regard de ta musique, pourrais-tu citer les albums qui t’ont le plus influencé ou marqué ?
Pour ce qui concerne le metal actuel je suis très amateur des groupes « Der Weg Einer Freheit », « Hypno5e » et « Decapitated » qui débordent de talent.
Pour ce qui concerne mes albums « cultes » en voilà quelques-uns parmi ceux qui m’ont vraiment marqué à leur sortie :
Type O Negative – Bloody kisses / Gun’s Roses – Appetite for Destruction / Marylin Manson – Antichrist Superstar / Pantera – Far Beyond Driven / Cradle of Filth – Dusk And Her Embrace / Emperor – Anthemns to the welkin at dusk / Samael – Passage / Arcturus – La Masquerade Infernale.
Une sacrée liste qui donne envie de se replonger dedans !
Merci encore Nicolas pour cet entretien en te souhaitant le meilleur pour la suite.
C’est moi qui te remercie pour la mise en avant d’INERTE.