Chronique rédigée par François KÄRLEK
Nous allons aborder aujourd’hui mon style de prédilection : le Black Metal, à travers le livre d’un passionné, à savoir Pierre Avril, aussi connu en tant que « Scribe du Rock ».
« Black Metal – Quand le metal devint noir » est la première pierre d’une série de cinq (oui oui !) livres sur le sujet, tous à paraître aux éditions des Flammes Noires.
4ème de couverture : Black Metal, Quand le Metal Devint Noir est le premier volume d’une série de cinq livres consacrés au black metal écrite par Pierre Avril, le Scribe du Rock. Chaque volume est illustré intégralement par un artiste phare de la scène extrême et c’est Maxime Taccardi qui y contribue avec plus de 40 dessins, pour ce premier volume.
Ce premier livre explore la genèse du metal noir avec des groupes incontournables qui ont fait cette scène (Mayhem, Burzum, Sarcófago, Conqueror, VON…) et certains artistes viennent apporter leur vision et expérience de cette musique impie : Ryan Förster de Blasphemy, Dayal Patterson, auteur et éditeur à Cult Never Dies, Ash de Nargaroth, Cultus Sanguine…). Au total, 210 pages de pur black metal. Cette introduction ouvre la voie à quatre autres livres qui se pencheront sur des scènes bien spécifiques et chaque volume sera aussi illustré par un artiste incontournable.

Saluons pour commencer la qualité de cette édition au format très agréable à manipuler et rythmée par des illustrations de Maxime Taccardi, un tantinet torturées et semblant pour la plupart tracées avec des tâches de sang. Mention spéciale aux pochettes cultes revisitées (Darkthrone…) et aux portraits.
L’ouvrage commence donc par les années 1980, mais peut-on parler déjà parler de Black Metal dès cette époque ? Vaste sujet que l’auteur aborde dans la première de ses 3 parties :
KYRIE « première vague du black metal ? ».
Découvert par le biais d’une moche cassette prêtée par un pote, d’un CD + magazine avec des gens flippants en couverture ou d’un obscur vinyle avec un nom illisible, l’acquisition du premier disque de metal noir marquera à jamais son auditeur.
Je suis persuadé que tous les amateurs de musique extrême se rappellent l’écoute de leur premier album de Black Metal, provocateur par son imagerie et ses paroles, enregistré au fond d’une cave et basé sur le triptyque suivant : batterie à fond de train, guitares nasillardes et cris déchirés.
En l’occurrence c’est avec le très connu Bathory et son deuxième album The Return que Monsieur Avril a mis un pied dans le Black Metal en 1986, s’ouvrant une porte sur un univers musical qui l’accompagne encore quelques 36 années plus tard.
Ici point de prétention encyclopédique, Pierre Avril nous fera surtout part du choc de la découverte avec ce fameux album de Bathory puis l’exploration d’autres albums qui l’ont marqué dans les années 1980.
Cette partie du livre m’a beaucoup plu par l’approche passionnée et l’écriture très sincère de son auteur. Je ne l’ai pas lu comme un essai mais plutôt comme une discussion (certes un peu à sens unique) avec un grand frère qui me parlerait de sa passion, de son point de vue forcément personnel et unique sur l’émergence d’un courant musical à l’identité forte.
De ce discours émergera l’idée que le black metal semble être issu entre 1980 et 1990 d’un désir commun de pousser plus loin la brutalité musicale et conceptuelle du heavy metal, comme en témoigne les premiers méfaits et le parcours de groupes tels que Beherit, Sabbat, Von ou Necromantia. La théorie principale à laquelle j’adhère est qu’ils ont eu la même approche de manière simultanée mais sans concertation ou influence réciproque.
Pour confirmer l’absence de cohérence géographique dans la genèse de ce mouvement, je me suis d’ailleurs amusé à réaliser une carte de ces groupes qui ont posé les premiers jalons, d’une part parce que c’est plus attractif qu’une simple liste pour inciter à les écouter, d’autre part pour ne pas oublier de mentionner mon groupe favori : Samael.


En effet, c’est par Ceremony of Opposites des suisses de Samael que j’ai personnellement ouvert une porte sur le black metal. J’avoue que la mise en avant de cet excellent groupe suisse par le Scribe, à travers un avis largement partagé sur la qualité et l’importance de leurs premiers albums dans cette première vague du black métal, m’a semblée très pertinente avant d’aborder la déferlante sombre de la deuxième partie.
DIES IRAE « deuxième vague du black metal ? ».
Focalisée sur les groupes immanquables, cette deuxième partie aborde en détail Mayhem, Burzum, Darkthrone, Dissection, Marduk, Dark Funeral, Impaled Nazarene etc… avec pour intérêt de détailler quasiment toutes leurs sorties jusqu’à présent, témoignant de la richesse d’une scène qui à partir d’un substrat tout de même assez proche a donné ensuite des albums aussi différents qu’Ordo ab Chao, Anthems to the Welking at Dusk, Latex Cult ou At The Heart Of Winter.
Et quel plaisir de retrouver les sensations procurées par la découverte de certains albums cultes à travers les mots du Scribe : la sophistication de In the Nightside Eclipse, la noirceur de De Mysteriis, la fureur de Secrets of the black Arts, l’inspiration surnaturelle de Storm of the Light’s Bane !
La prose est très agréable sur cette partie et le parallèle entre les aspects musicaux et personnels de la vie de certains musiciens (forcément on pense tout de suite à Euronymous ou Notveidt) est suffisamment mis en avant, sans toutefois tomber dans l’excès, pour mieux éclairer sur ces œuvres qui ont parachevé de définir les contours d’un Black Metal qui s’assume en tant que tel tout en amorçant les courants principaux : le True Norwegian Black Metal de Mayhem, le Black Symphonique d’Emperor, le Black/Death Mélodique de Dissection, le Black Brutal de Marduk etc… donnant naissance à autant d’albums majeurs dont l’influence est encore très fréquemment citée de nos jours pour définir le style de la pléthore d’album qui sortent chaque mois.
A partir de la fin des années 1990, le succès commercial commence à pointer le bout de son nez pour certaines formations qui rendent le Black Metal à la fois plus accessible et plus séduisant (un comble pour un style qui se voulait imparfait et sans compromis début 1990).
ADDENDUM ENTRACTE
Là encore le Scribe a dû faire des choix et s’est donc focalisé sur trois groupes pour représenter les « vendus » (terme mainte fois croisé sur les webzines et forums) qui ont rendu le black métal plus abordable et écoutable.
Cette partie s’avère différente car elle se focalise seulement sur trois groupes et induit une réflexion intéressante sur la rançon du succès, la capacité à maintenir une sincérité artistique après la sortie d’albums au succès colossal, la compromission comme écueil à fuir ou à assumer.
L’auteur commence par aborder Cradle of Filth, groupe anglais injustement décrié à l’époque comme ne jouant pas vraiment du black metal et ce malgré un premier album « The Principle of Evil Made Flesh » pourtant très brut, radical et inspiré (écoutez To Eve The Art Of Witchcraft).
En affinant ensuite sa recette, Cradle of Filth a peaufiné son art et accouché de deux monstres de pur black symphonique : Dusk and her Embrace et Cruelty and the Beast, des albums à l’inspiration telle que la suite nous semblera bien fade.
Sont ensuite abordés les norvégiens de Dimmu Borgir avec leurs premières œuvres sans compromis puis l’album du succès « Enthroned Darkness Triumphant » et une suite qui sortira du cadre du Black Metal avec des albums puissants et orchestraux comme une musique de film.
Enfin Behemoth, le vilain petit canard qui deviendra cygne, à savoir un obscur groupe de black métal polonais qui deviendra à partir de Satanica un groupe de Death/Black Metal apte à remplir des stades, porté par une imagerie satanique poussée et une musique grandiose.
Force est de constater en tout cas que Pierre Avril, loin d’enfoncer les trois groupes évoqués réhabilite dans son analyse la démarche de ces forçats du black metal (tous les trois très productifs entre 1995 et 2010) décriés mais au final jamais égalés par la qualité indéniable de certaines de leurs œuvres qui sont (étonnamment ?) celles qui ont eu le plus de succès.
En effet je m’interroge et je rejoins totalement Pierre Avril sur le fait que simplifier son raisonnement à « cela se vent donc c’est édulcoré » est une caricature facile pour dénigrer des albums certes très populaires et objets d’une publicité excessive à l’époque, mais dont les qualités intrinsèques et le passage du temps n’ont fait au final que confirmer leur statut exceptionnel.
Fait amusant, les albums que je considère comme les plus réussis sont systématiquement ceux qui suivent l’album de la consécration, à savoir : Cruelty and the Beast, Spiritual Black Dimensions et Thelema 6. Le succès des œuvres précédentes déverrouillerait-il un processus créatif décomplexé et foisonnant ?
La conclusion approche et je me dois de mentionner les 5 interviews qui parsèment le livre et le rendent plus digeste car elles viennent en fin de chapitres et apportent par l’effet de question/réponse un éclairage complémentaire, évitant de nous limiter au seul point de vue de l’auteur.
L’interview de Ryan de Blasphemy est intéressante car elle met un coup de projecteur sur de bons groupes assez méconnus de la première vague : Blashemy et Conqueror, du lourd.
Dayal Patterson, auteur et éditeur à Cult Never Dies, vient éclairer la fin de la première partie et nous parler de son œuvre sur le black métal (très recommandable).
Celle de Ash de Nargaroth m’a beaucoup amusé car le Scribe le titille sur les similitudes avec Burzum et l’excède un peu à mon avis puisqu’elle se finit par un « Je ne suis pas d’humeur pour ça aujourd’hui » plutôt sec. Ash se prend beaucoup au sérieux et il y a un véritable décalage entre son attitude distante et sa musique (écoutez Frühling).
L’interview de Cultus Sanguine, groupe italien, est très courte et ne m’a pas vraiment marqué, mais a le mérite d’inciter à réécouter le très bon « The Sum of All Fears ».
Enfin, Byron de Bal Sagoth nous offre de belles tirades de passionné. Il est aussi bavard que sur disque, d’ailleurs ses paroles ont toujours débordé des chansons avec des albums aux livrets très fournis. Evidemment ses paroles m’ont parlé car j’aime beaucoup les premières œuvres du groupe et cet univers étendu et riche d’héroïc fantasy.
A tout seigneur tout honneur, je n’ai fait dans cette chronique que reprendre, parce que je les partage, les idées principales de ce Black Metal Volume 1 qui fournit à la fois un éclairage personnel et très complet de ces premières vagues du Black Metal qui, pourtant basées sur une volonté initiale de choquer et provoquer, ont quelques années plus tard conduit beaucoup de groupes à une reconnaissance et un succès international. On ne considère plus Mayhem de la même manière en 2022 qu’en 1990, c’est un fait.
Et les groupes français me direz-vous ? c’est justement l’objet du volume 2 qui vient tout juste de sortir !