Chronique écrite par François Kärlek
Nouveau sur ce blog, j’ai choisi de commencer par une série de chroniques des romans (de tous styles) qui m’ont marqué ces dernières années.
Et j’ouvre donc le bal avec « la Horde du Contrevent », d’Alain Damasio, publié aux éditions La Volte en 2004.

4ème de couverture : «Imaginez une Terre poncée, avec en son centre une bande de cinq mille kilomètres de large et sur ses franges un miroir de glace à peine rayable, inhabité. Imaginez qu’un vent féroce en rince la surface. Que les villages qui s’y sont accrochés, avec leurs maisons en goutte d’eau, les chars à voile qui la strient, les airpailleurs debout en plein flot, tous résistent. Imaginez qu’en Extrême-Aval ait été formé un bloc d’élite d’une vingtaine d’enfants aptes à remonter au cran, rafale en gueule, leur vie durant, le vent jusqu’à sa source, à ce jour jamais atteinte : l’Extrême-Amont. Mon nom est Sov Strochnis, scribe. Mon nom est Caracole le troubadour et Oroshi Melicerte, aéromaître. Je m’appelle aussi Golgoth, traceur de la Horde, Arval l’éclaireur et parfois même Larco lorsque je braconne l’azur à la cage volante. Ensemble, nous formons la Horde du Contrevent. Il en a existé trente-trois en huit siècles, toutes infructueuses. Je vous parle au nom de la trente-quatrième : sans doute l’ultime. »

Le ton est déjà bien donné par cette entrée en matière « airpailleurs », « extrême aval », « traceur », on devine le sens et le contexte mais on sent déjà les libertés prises avec la langue par l’auteur, Alain Damasio, né en 1969 à Lyon.
Et effectivement, ce roman va très vite immerger le lecteur dans un univers à la fois très cohérent, codifié, mais aussi complètement hors norme par la multitude de concepts physiques, psychologiques et philosophiques qu’il va aborder.
Ainsi plongé dans la horde, sans préambule dès les premières pages, il va vite falloir se familiariser avec ses membres, leur manière de s’exprimer, leurs rôles et enjeux dans cette expérience extrême.
Car le récit est choral et seuls des symboles nous permettront de savoir qui prend la main sur la narration au fil des paragraphes, procédé que l’on retrouve d’ailleurs dans les 2 autres romans de Damasio (la Zone du Dehors en 1999 et les Furtifs en 2019).
Pour rester sur la forme, la pagination est à rebours, afin de sentir l’urgence, l‘impérieuse nécessité d’avancer car le temps nous est compté.
Je dis « nous », car vous l’aurez compris, le lecteur est totalement embarqué dans cette aventure d’exploration des confins du monde, inatteignables face à la force de plus en plus violente des vents (qui ne seront pas les seuls obstacles) à affronter.
Ce défi repoussera notre horde dans ses derniers retranchements, avec son lot de sacrifices à assumer pour réussir là où les 33 hordes précédentes ont échoué.
C’est un livre puissant et sensoriel, une lecture exigeante avouons-le, avec néologismes, personnages franchement perchés et descriptions complexes, entre autres , du vent sous toutes ses formes.
Il faudra être pugnace comme Golgoth (le meneur de la troupe) pour voir le bout du voyage, mais le périple en vaut vraiment la peine, rythmé par ses passages épiques, ses personnages puissants, ses concepts extraordinaires (dont le « vif », un concept génial) et accompagné par une langue riche et inventive qui rend limpide chaque action, chaque mouvement, et truculentes certaines joutes verbales.
On est tombés unanimement d’accord avec mon entourage : le lecteur sort de la lecture de ce livre marqué par un formidable expérience et soufflé (il fallait que je la fasse) par tant de virtuosité.