Interview Michel Munier, Disparition d’une espèce emblématique du Massif Vosgien – le Grand Tétras

Chronique écrite par Nicolas Ulv Schweitzer

Michel Munier est photographe et écrivain, fervent défenseur des forêts vosgiennes. Il a écrit notamment L’Oiseau-forêt, paru aux éditions Kobalann.

Convaincu par Fabrice Nicolino que son demi-siècle d’observation et de notes concernant le Grand Tétras valait la peine d’être partagé, Michel Munier nous a offert un livre sublime en fin d’année 2022.

« L’oiseau forêt » n’est pas seulement un témoignage riche et précieux, il a le pouvoir de changer notre regard sur le monde, en même temps que notre rapport à celui-ci.

L’histoire débute dans les années 1970, avec cette descente en ski de randonnée et cette ombre fugace que Michel voit traverser devant lui. Sa fascination pour cet oiseau mystérieux qui vit dans un environnement particulièrement hostile démarre à cet instant.

S’en suit des centaines de nuits caché sous un sapin à pratiquer l’affût, cet art de la dissimulation avec, au bout, la récompense suprême : Voir et/ou entendre un Grand Tétras. Ou une autre espèce de la faune sauvage d’ailleurs. Ou rien du tout, ce qui ne rend pas forcément l’expérience inintéressante.

En parcourant ce livre chronologique, établi sur la base de carnets rappelons-le, on oscille entre émerveillement et tristesse.

Émerveillement lorsque l’auteur nous fait partager ses sensations et sa sensibilité, parfois avec son fils (un certain Vincent, qui finira par suivre les traces de son père !), le tout illustré par de sublimes photos tantôt en noir et blanc, tantôt en couleurs.

Tristesse et colère lorsqu’on découvre Michel Munier se battre pour la préservation des milieux sauvages, des zones de quiétude, et contre certaines logiques économiques mortifères (le développement des loisirs, du ski, des forêts de production etc.) ainsi que l’égoïsme de certains indélicats particulièrement intrusifs.

Bien entendu, on découvre au fur et à mesure de la lecture de l’ouvrage qu’à cause de tout cela la population de ces oiseaux du froid décroît fortement, décennie après décennie. Et comme si cela ne suffisait pas, le réchauffement climatique en toile de fond accentue et accélère encore le phénomène.

On est ému, parfois aux larmes pour ma part, par la poésie qui se dégage de l’ouvrage.

Aujourd’hui il n’y a plus que quelques individus, âgés de surcroît, de Grand Tétras dans le massif vosgien. L’espèce est donc virtuellement éteinte. On peut imaginer la détresse de l’auteur qui constate, sur ses vieux jours, cette issue tragique contre laquelle il s’est battu toute sa vie.

Mais Michel Munier n’est pas homme à se laisser abattre. Avec lui, la lueur d’espoir n’est jamais loin, et il invite ceux qui l’écoutent à mener les grands combats écologiques de notre temps.

Un témoignage précieux et bouleversant, à mettre dans toutes les mains, ne serait-ce que pour construire l’avenir intelligemment…

A l’heure où nous publions cet entretien, les lâchés de 9 grands Tétras norvégiens ont déjà débuté dans le massif Vosgien, malgré les nombreux avis défavorables exprimés lors de la consultation citoyenne. En effet, le tribunal administratif de Nancy, suite au recours en référé déposé par plusieurs associations de défense de l’environnement, a rendu un avis favorable le 25/04/2024 au projet de repeuplement.

Joint par téléphone le 23 mars 2024, Michel Munier, me remercie pour cet entretien en me disant qu’il avait été surpris en parcourant ce webzine et qu’il n’était guère habitué à s’exprimer sur ce genre de support.

Il ajoute ensuite que les arts, la poésie et la musique en particulier, permettent de toucher les gens d’ordinaire indifférents à des causes humanitaires où environnementales et qu’il est lui-même fort sensible aux messages des chants et de la musique. Puis il m’explique que les passereaux, en chantant, créent des vibrations qui sont ressenties par les arbres. Que celles-ci ont ensuite un impact sur la sève et la croissance du végétal qui s’en trouve comme « accélérée », ce qui profite alors à tout l’écosystème (insectes, etc.).

Voilà pourquoi il porte en très haute estime la musique, la poésie et la danse, me dit-il, car cela va au-delà des émotions. Cela créé chez nous des vibrations particulières qui nous échappent mais qui nous apportent de l’énergie.

Le pouvoir de la musique en somme, qu’elle soit jouée par les Hommes ou par la faune de nos forêts est immense : quelle merveilleuse entrée en matière…

1) Une consultation publique sur la réintroduction du Grand Tétras a actuellement lieu. La préfecture des Vosges, le Parc Naturel des Ballons des Vosges et la Région Grand Est y sont favorables contre l’avis de plusieurs naturalistes et écologistes. Encore la logique économique mortifère contre laquelle vous vous êtes battu toute votre vie ?

Vous remuez le couteau dans la plaie. J’essaie de m’extraire du non-sens de cette obstination des pouvoirs publics à vouloir coûte que coûte réintroduire cette espèce car c’est très douloureux pour moi, mais je vous remercie tout de même de poser la question !

Aujourd’hui, lorsque je débats, on essaie parfois de me disqualifier en me disant que je suis vieux, que je ne suis plus dans le coup… alors que j’ai consacré ma vie non seulement à la connaissance de la biologie de cet oiseau sur le terrain, mais plus particulièrement à la perception profonde de son habitat.

C’est assez triste. Vous avez même des gens qui se disent sensibles aux causes de sa disparition qui soutiennent ce projet !

Cette réintroduction obéit effectivement à une logique de business. On nous martèle qu’en réintroduisant le Grand Tétras, on aidera la biodiversité, qu’on éduquera les jeunes à l’environnement, etc…, mais c’est un leurre.

Certes, c’est une espèce étendard qu’on met en évidence pour expliquer que sa présence est signe de grande diversité, mais à condition que cette présence soit naturelle et non forcée (artificielle).

On parle régulièrement de la perte de la « biodiversité ». La plupart de nos concitoyens y  sont indifférents car on emploie le terme à tout va. La biodiversité décrit l’ensemble des êtres qui vivent, qui meurent, et qui participent ainsi à la formation de la nécro masse pour former l’humus, l’élément source de la vie. On naît, on mange, on est mangé et on disparaît, ayant participé ainsi par notre mission et nos déchets à la capacité du renouveau.

Mais on oublie l’essentiel : l’habitat. Concernant nos forêts, il est important de bien repenser à leur rôle primordial et non pas à celui qui satisfait nos besoins. Il est vital pour l’ensemble des êtres vivants de préserver, voire de réhabiliter des habitats de haute naturalité.

Par exemple, il est nécessaire de maintenir de nombreux arbres dits « morts » debout ou couchés, car ils sont essentiels au développement de la vie. Ils permettent la reproduction de nombreuses espèces cavernicoles (insectes, oiseaux, chauves-souris, insectes…). Les espèces s’installent alors d’elles-mêmes. Ce n’est pas à nous de les contraindre à vivre là où nous l’avons décidé.

Les gestionnaires des parcs naturels qui ont choisi le grand Tétras comme étendard comme ici, dans le Jura ou dans les Pyrénées, se trompent en voulant maintenir l’espèce artificiellement pour faire croire aux visiteurs qu’ils se promènent dans un environnement de haute qualité naturelle. C’est une imposture, car les individus réintroduits seront en grande souffrance et leurs prédateurs naturels seront supprimés par piégeage. Quelle image dévoile-t-on de notre regard sur le monde vivant sauvage. Fantasme, chimère ?

Faire de la pédagogie à l’environnement, c’est aussi dire la réalité. Il y a deux autres causes qui sont en progression constante : le changement climatique, et les dérangements divers occasionnés par les activités du développement touristique. Certaines espèces ne peuvent plus vivre sereinement si ces causes perdurent, voire augmentent.

Les actions urgentes d’aujourd’hui doivent être orientées sur la mise en place de zones de quiétude, pour permettre à l’ensemble des espèces vivantes de trouver un peu de paix. Et les hommes d’aujourd’hui doivent s’ouvrir au chemin du respect de la vie de l’autre, qu’il soit homme, bête, ou plante. Toutes les qualités ou les capacités qu’ils mettront en œuvre pour construire cette piste seront celles qui nous seront utiles pour bien vivre ensemble.

Il faut savoir que lorsqu’on pénètre dans un milieu naturel comme la forêt, nous évoluons dans un monde secret et habité. Nous sommes observés par des êtres invisibles. Si on y prête attention, on peut alors voir leurs traces, découvrir des indices : les crottes, les plumes, les restes alimentaires…

C’est essentiel à observer pour intégrer la nécessité de savoir que nous sommes sur le territoire de l’autre, et donc d’ajuster notre comportement.

Marcher en silence sur le chemin pour ne pas perturber, être attentifs aux signes, aux chants, aux odeurs, s’arrêter souvent pour ressentir une présence sans vouloir provoquer un contact forcé. Cette démarche nous comble d’un doux bonheur.

Or, aujourd’hui on est davantage dans le plaisir d’aller où on veut quand on veut, indifférent aux stress destructeurs que l’on va engendrer, et poursuivre ainsi une succession de sensations jouissives et égocentriques car cet appétit est insatiable…

C’est dommage, car le bonheur de la quête, de la découverte d’un signe, d’un repère, nous engage à développer l’attention, la réflexion, l’esprit d’analyse, dans le respect de l’autre. Une pédagogie à l’environnement pratiquée par certains guides nature qu’il faudrait développer.

2) Le déclin de cet oiseau du froid est 100 % imputable à l’homme, à ses choix économiques, à ses activités… et ce malgré vos cris d’alarmes à vous et à d’autres. Vous conservez néanmoins un certain optimisme, la nature humaine ne vous désespère-t-elle donc pas ? Je pense aussi à cet homme qui s’adonne au plaisir solitaire après avoir dérangé les oiseaux dont vous parlez dans votre ouvrage ?

(Rires) J’aurais bien d’autres anecdotes à citer, mais celle-ci est la plus cocasse. C’était incroyable ; après avoir pénétré dans cette clairière située au cœur d’une forêt à 1 200 mètres d’altitude où chantaient depuis cinq heures du matin quatre Grands Tétras, puis les avoir dérangés les uns après les autres pendant leur parade nuptiale, ce photographe s’est masturbé sous un vent mordant du nord-est, par -10 degrés. C’est une démonstration de la pure jouissance égocentriste, malgré le désarroi qu’il a provoqué au sein de ces êtres sensibles.

Concernant les déviances de la nature humaine, ma réaction immédiate me plonge effectivement dans le désespoir. Mais si je reste figé dans cette situation, je n’ai plus qu’une seule chose à faire, c’est de me jeter par-dessus bord…

Ce qui m’encourage à croire au sursaut de bienveillance envers l’autre, ce sont ces grands mouvements de jeunes femmes et hommes sensibles, qui témoignent et s’engagent pour la protection de ce monde vivant. Je me dis alors qu’on n’a pas le droit de baisser les bras. On constate qu’il y a des petites voix partout dans ce monde qui s’élèvent dans la bonne direction et que des actions merveilleuses se réalisent.

Beaucoup d’évènements négatifs nous sont ressassés, pour ne pas dire martelés, par les médias, certes, mais ce monde est là et il est beau. Les Hommes sont là, ils font des enfants, des petits enfants, et ils sont toujours aussi beaux. Nous n’avons tout simplement pas le droit de renoncer.

Les humains sont capables du pire comme du meilleur, ils détruisent le bien commun, quand d’autres tentent de le reconstruire, donc j’ai foi en leur réaction de bon sens, au réveil de leur altruisme. De toute façon nous n’avons pas le choix.

3) Vous avez souhaité attendre l’extinction du grand Tétras dans les Vosges avant de publier votre livre. Pourquoi ? Ne pensez-vous pas qu’il aurait pu servir, publié plus tôt, à mobiliser le grand public pour tenter de conserver l’espèce au sein du massif le plus longtemps possible ?

Je ne pense pas. Pour faire écho à ce que je disais plus haut, nous sommes aujourd’hui gavés d’images, de récits d’aventures en pleine nature, qui sont devenus des incitations à faire les mêmes images, à vivre les mêmes aventures, sans passer par cette longue quête prudente qui construit notre réflexion sur la perception de ce monde vivant. De plus, chacun peut disposer de tous les moyens techniques pour se déplacer, se diriger sans se perdre, de photographier, etc. Nous sommes devenus des consommateurs de nature.

Quand vous réalisez un livre ou un film sur la nature et la faune si sensible et discrète, certaines personnes s’émerveillent et se disent : « C’est beau, pourvu que ça dure !». D’autres veulent voir en direct, refusent toute atteinte à leur liberté de faire comme bon leur semble, sans se soucier le moins du monde de perturber ce qui se trouve autour d’eux. C’est un travers du monde moderne.

Je vous donne un exemple : il y a une quinzaine d’années, j’ai animé au printemps une conférence pour des photographes sur le Grand Tétras et la problématique de sa conservation dans les Vosges, et j’expliquais à quel point il fallait souvent renoncer pour ne pas déranger. Beaucoup de participants me demandaient comment agir, s’ils pouvaient faire une cagnotte pour acheter des parcelles de forêts que l’on protégerait etc.

Une semaine plus tard, lors d’un affût, j’observe alors deux photographes qui, approchant les oiseaux en parade, déclenchent une panique magistrale au sein du lek (zone de parade) !

Les ayants contactés, je reconnais alors des participants à ma dernière conférence.

4) Des centaines de nuits (environ 800), seul, dans le froid, ça vous a appris quoi sur vous ?

J’ai un tempérament d’ermite qui s’est développé à travers ma quête du Grand Tétras. L’attente patiente au sein de la forêt, planqué sous un sapin des jours, des nuits, et au cœur des éléments, m’a convié à la méditation et enseigné l’humilité. Cet oiseau est devenu mon maître à penser, bien plus efficace lorsqu’il était absent, car c’est dans l’attente tenace et sereine que s’éveillaient mes sentiments les plus profonds.

Ces longues périodes donnaient du sens à mes affûts et à ma vie.

Que de questions sont venues se poser à mon esprit ! Au cœur de cet environnement sauvage, je prenais conscience que chaque oiseau, chaque être vivant, chaque élément de mon environnement, était unique. La feuille d’un même arbre n’est jamais identique à une autre. Je ressentais la puissance et la beauté de la différence. Tout devenait important avec ce sentiment d’appartenir à ce monde où chacun à sa place. J’étais unique mais au même niveau que l’ensemble de tous les êtres vivants. Une maille colorée dans la grande toile bigarrée de la vie de la terre.

Je percevais les bouillonnements sereins de la vie même dans les silences les plus apaisants. Je ressentais la présence de l’absence, c’est-à-dire celles des êtres disparus qui ont marqué leur passage.

J’ai pris conscience également des diverses facultés de mon raisonnement et de me méfier de celui qui émanait directement de mon intellect sans prendre le temps d’être analysé par mes sentiments les plus profonds.

« On ne voit bien qu’avec le cœur, l’essentiel est invisible pour les yeux » dit le petit renard au petit prince de Saint Exupéry. Cette phrase a souvent résonné dans ma tête. Elle prenait alors tout son sens.

5) Vous dites que les arbres vous ont sauvé lorsque vous étiez gravement malade en 1976… et que vous avez pris définitivement conscience à ce moment-là qu’il fallait s’occuper également de notre maison extérieure.

Les chocs et les épreuves qui nous brisent sur le chemin de la vie peuvent s’avérer nécessaires à l’éveil de notre conscience d’appartenir au monde global et non à celui de notre petite propriété que l’on soigne plus que de raison alors que notre terre et nos forêts souffrent. Notre conditionnement à posséder pour notre confort individuel nous recroqueville sur notre bien matériel alors que la maison commune est meurtrie par notre avidité de conquérants.

Quand on est bouleversé, affaibli comme je l’étais, notre rythme change. Et une autre réflexion s’invite, à condition de trouver le lieu ou l’être qui va nous apaiser, nous sortir de notre abattement, de notre révolte, de notre moi je : « Pourquoi moi ? Je ne suis plus rien ! Je n’existe plus !».

Ils sont souvent silencieux, accueillants, ils sont nos confidents et nous invitent à faire le vide de nos tourments.

Pour moi c’était un gros chêne de la forêt proche de la maison familiale.

Assis, dos contre son tronc massif, je passais là des heures, vivant des instants bouleversants et émouvants de combat contre les idées noires, et de longs moments d’apaisement régénérateurs et de réflexions constructives.

La solitude me direz-vous ! Pas du tout.

La vie grouillait de dessous les feuilles mortes jusqu’à la cime. Lombrics, insectes, oiseaux, bruissaient et chantaient la vie ; le bonheur de bien vivre l’instant présent.

En observant toutes ces petites bêtes et ces plantes du sous-bois, je prenais conscience de l’importance de la mission de chaque individu de chaque espèce, si petite soit-elle.

Il y avait comme une voix intérieure qui me disait que je faisais partie de ce monde, en tant qu’individu de l’espèce humaine, et que me préoccuper des travaux de ma maison était égoïste, que je n’étais que de passage sur cette terre. J’ai pris conscience alors que ma vraie maison était la forêt, les rivières et les océans. La maison commune. Ma mission, si petite soit-elle, était là ! 

6) Vous vous dites de plus en plus émerveillé par l’infiniment petit, les insectes… J’allais dire comme tous les enfants ou presque. Pourquoi sommes-nous tellement à nous laisser embarquer dans ce monde adulte qui tend à broyer notre rapport à la nature et notre capacité d’émerveillement ?

C’est la grande question. On perd notre innocence.

Adulte, on se doit de travailler pour nourrir et loger notre famille. Nous devenons actifs par nécessité pour subvenir à nos besoins vitaux et à ceux et celles que l’on porte, ce qui a toujours été.

Alors que notre époque nous offre la possibilité de temps libres bien plus importants que jadis, notre rythme de vie s’accélère. L’économie de marché de notre société contemporaine de pays dits « développés » a fait de nous des moutons de la consommation en nous faisant miroiter des tonnes de choses à nous offrir : La belle maison avec tout le confort moderne, les divertissements avec toutes les nouvelles techniques, la belle bagnole, les voyages organisés, les loisirs de pleine nature etc.

Tout ceci nous apporterait le bonheur. Alors on bosse pour le fric afin d’accéder à ces rêves aliénants, sans nous rendre compte que nous sommes devenus des « dévoreurs », entres autres choses de « nature », vidés que nous sommes de notre essence d’émerveillement…

Je reviens sur ce que je disais tout à l’heure, il nous faut parfois un grand choc pour que l’on s’arrête et que l’on se dise « Mais qu’est-ce que je fais ? Comment je vis ? ». Les publicitaires savent particulièrement nous laver le cerveau afin que nous devenions d’abord des acheteurs, et non des êtres vivants doués de capacités extraordinaires qui font de nous des humains réfléchis, sensibles et complémentaires.

Nous oublions l’essentiel, en décalage avec ces gamins qui batifolent dans le jardin, émerveillés devant ces petites bêtes que sont par exemple les « gendarmes » qui gesticulent discrètement dans les coins des allées.

Le développement de nos sociétés basées sur la stimulation du désir de profiter des biens sans retenue nous encombre et nous piège. C’est très compliqué de retrouver l’émerveillement.

Mais tout n’est pas perdu, car lorsqu’on change de rythme on peut retrouver nos valeurs endormies. Je suis agréablement surpris de voir, autour de moi, des gens qui une fois à la retraite se découvrent des dons artistiques, de musicien, de sculpteur, de peintre, etc.

Ils ont travaillé dur toute leur vie sans savoir qu’ils étaient des artistes, des penseurs, des poètes.

7) Vous évoquez dans votre livre le contraste saisissant entre les massifs forestiers naturels, et les massifs forestiers « de production », d’épicéas en général. Les premiers regorgent de vie lorsque les seconds semblent morts. Est-ce désormais quelque chose de pris en compte par les forestiers ?

Les forestiers sont des êtres humains aux sensibilités diverses et variées, formés à l’école de la production de bois, prioritairement. Ils sont conditionnés à la rentabilité des forêts pour alimenter la filière bois.

Quand j’ai rencontré, pour la première fois dans les années quatre-vingt, les forestiers, comme je le mentionne dans mon livre, ils m’ont fait comprendre que c’était uniquement le volume de bois qui comptait. « On est payé pour faire pousser des arbres et non des oiseaux. » m’avait dit un des responsables. Mais avec le temps, la patience, les rencontres avec certains d’entre eux qui ont la fibre de la naturalité, et qui agissent discrètement de longue date dans ce sens, nous avons progressivement mis en place des programmes de préservation. Actuellement, l’association « Groupe Tétras Vosges » dont je suis membre, travaille en étroite collaboration avec ces gestionnaires et malgré les pressions exercées sur la production du volume de bois à extraire, la prise en compte de la protection de la biodiversité devient une réalité, certes timide, mais l’espoir est là.

8) Un film sur le Grand Tétras avec votre fils est-il toujours d’actualité ?

Oui, mais pas sur le Grand Tétras, qui sera toutefois un fil conducteur discret. Vincent prend son temps pour réaliser ce film axé sur la naturalité des forêts tempérées de nos régions et des pays limitrophes avec, bien sûr, cette forte idée de mettre en évidence la transmission d’une démarche de respect et d’émerveillement aux générations futures.

9) Vous avez aujourd’hui 77 ans et plus d’un demi-siècle de combat. Quels conseils donneriez-vous aux jeunes générations ?

Comme le Grand Tétras je n’ai aucun conseil à donner. Je dirais simplement, « tout est en vous ». A vous de tracer votre chemin.

Je rajouterais seulement : J’ai pris du temps pour me retrouver seul. J’ai su, en partie, me désencombrer l’esprit du futile, sachant que c’est une des opérations les plus difficiles à contrôler car son flot pousse la porte avec rage.

J’essaie d’être à l’écoute de ce chant qui résonne au plus profond de moi, d’être attentif aux petites voix insignifiantes qui sont souvent les plus justes, et ne pas oublier de bien vivre l’instant présent.

Si vous n’avez pas le moral, alors prenez exemple sur les oiseaux, chantez et dansez, pour en revenir au début de notre entretien !

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