ARRAKEEN – Patchwork (1990)

Chronique écrite par Nicolas Ulv Schweitzer

Arrakeen n’est pas seulement la capitale de Dune, c’est aussi le nom du plus beau fleuron du néo-rock progressif français. Formé à la toute fin des années 80’s et originaires d’Aix-en-Provence, le groupe sort un EP épatant nommé « Patchwork » en 1990.

Avec sa jolie pochette, où apparaît une créature étrange nommée « Fourreux » (qui deviendra, en quelque sorte, leur mascotte), la galette dépasse les 30 minutes pour 4 morceaux.

Entrons dans le vif du sujet avec « Le Monde du quoi ? ».

Mélodies en pagailles très entraînantes (les plus rétifs à l’usage du synthétiseur diront que ça en est même niais), on est rapidement envoûtés par le chant soprano de Maïko (Marie-Claude Taliana à l’état civil) et par la qualité de composition du groupe. Fortement comparé à Marillion, une influence évidente pour le groupe, insistons sur le fait que le groupe a sa propre patte et son propre univers.

Les paroles laissent apparaître une conscience écologique marquée « Ont-ils au moins écouté la douleur de leur terre ? Comment ont-ils fait pour faire disparaître leur forêt ? »

On enchaîne avec « Différences », premier gros morceau progressif et mélancolique, alternant différentes structures et différents personnages (vous y trouverez « Elle », « Lui », « L’Elfe », « Le Peintre », « L’autre »…). Tout y est : les breaks de batterie, les majestueux claviers d’Eric Bonnardel qui répondent aux excellents solos de guitare de Sylvain Gouvernaire. Ce dernier assure d’ailleurs les chœurs avec le bassiste Yves Darteyron. Le tout est servi par la voix douce et haute perchée de Maïko qui pourra en iriter certains mais qui, à titre personnel, m’ensorcelle littéralement. C’est la tessiture vocale parfaite pour la musique proposée par Arrakeen. On pourra simplement regretter que la production, très bonne dans l’ensemble, ne lui rende pas hommage sur certains passages où elle demeure malheureusement trop en retrait.

Après ce morceau-fleuve vient « L’Entaluve », qui reprend un format plus court, dans la veine du titre d’ouverture mais avec une tonalité plus sombre. On ressent comme jamais cette nostalgie, cette mélancolie, qui demeure en filigrane tout au long de cet opus. « Comment était l’air il y a longtemps ? Où sont passées les neiges d’antan ? » peut-on entendre sur le refrain ultra-efficace. Le morceau le plus accrocheur de l’album, à coup sûr !

L’EP s’achève avec le titre « Folle Marie » (initialement paru sur une cassette demo en 1989), enregistré lors d’un concert d’avril 1990 lorsque le groupe assurait les premières parties de Marillion !

On peut d’ailleurs entendre le guitariste du groupe anglais, Steve Rothery, nous gratifier d’un sublime solo de guitare sur ce morceau pour l’occasion !

« Folle Marie », gros succès qui a permis à Arrakeen d’attirer l’attention à ses débuts, constitue donc dans sa version live l’autre gros morceau typiquement progressif de cet album. Assez épuré au début, avec ses arpèges qui viennent porter la voix cristalline de Maïko, (qui assure cette tournée alors qu’elle est enceinte), le morceau part ensuite dans tout un tas de directions pour notre plus grand bonheur.

« Patchwork » est une pièce maîtresse du rock progressif que tout amateur du genre se doit de posséder. Malheureusement, faire du rock ou du metal en France, à l’époque comme aujourd’hui d’ailleurs, constitue un véritable chemin de croix. Ange, autre groupe de rock progressif français actif depuis plus d’un demi-siècle, et malgré un talent indéniable, n’a jamais réussi à briser le plafond de verre lui non plus.

C’est donc après un album longue durée en 1992, l’excellent « Mosaïque », que le groupe va tirer sa révérence après un concert mémorable au théâtre Dunois de Paris le 27 février 1993.

1) Depuis qu’Arrakeen possède une page Facebook et un compte YouTube, on peut lire de nombreuses réactions enthousiasmées. Ça vous fait quel effet ?

Eric (claviers) : La page Facebook a été créée pour accompagner la parution du bel article de 8 pages que nous a consacré le magazine Rock Hard. On a voulu proposer un point de rencontre pour nos fans, anciens et nouveaux. Les réactions sympas que nous pouvons y lire nous touchent beaucoup car elles montrent que, 30 ans après, notre musique continue de vivre. Cela nous a confortés dans l’idée qu’il était important de proposer nos deux albums sur les principales plateformes de streaming, ce qui s’est fait dans la foulée. Et les vidéos publiées sur YouTube ont permis à certains de nous « voir » en concert pour la première fois, avec des réactions extraordinaires et souvent très émouvantes.

Maïko (chant) : Je dois dire que je suis absolument ravie, surprise aussi, et émue par l’enthousiasme de certaines personnes. C’est incroyable de penser et de voir que notre musique trouve un écho chez elles encore aujourd’hui. Recevoir un tel soutien me touche vraiment ! 

2) Arrakeen a marqué la scène rock progressive avec son premier EP, « Patchwork ». Succès d’estime, succès critique, mais le groupe n’explose pas commercialement. La faute à la France qui ne soutient pas ses pépites, ou à l’époque qui ne s’intéresse guère au style musical que vous pratiquez alors ?

Maïko : Je ne saurais pas dire pourquoi.

Eric : Principalement, nous pensons que nous sommes « tombés » à un moment peu propice pour notre style de musique : un style complexe (le rock progressif) + un chant féminin + des paroles en français. Peut-être étions-nous trop en avance… Dans le metal, les groupes avec chanteuse, que ce soit Nightwish, Theatre of Tragedy, Within Temptation, Epica, n’émergent que 5 à 10 ans plus tard…

3) Arrakeen a beaucoup été comparé à Marillion. Cependant, la singularité de la voix de Maïko et l’univers féerique du groupe me procurent personnellement des émotions bien différentes que le grand frère anglais. Qu’en pensez-vous ?

Eric : La voix et les textes de Maïko sont effectivement une particularité essentielle d’Arrakeen.

Maïko : La comparaison avec Marillion était et reste un compliment flatteur ! Nous avons passé de véritables bons moments ensemble lors de la tournée. Chaque groupe ayant son univers et son identité musicale propre, je pense. En tout cas, merci de nous confier ce que notre musique peut faire vibrer en vous / toi ! 

J’ai l’impression que ce que nous ressentons au plus profond de nous a pu ainsi se partager… Et ça, c’est que du bonheur !

4) A l’écoute de Patchwork, on sent une préoccupation écologique (rappelons que nous sommes alors en 1990) ainsi qu’un rejet du monde adulte. Le voyez-vous ainsi ? Et aujourd’hui, quel est votre regard là-dessus ?

Eric : Nous habitons dans une région magnifique, la Provence, et nous avons passé nos jeunes années à nous balader dans les collines, les calanques ou montagnes autour de nous. La nature fait partie de notre ADN depuis notre naissance. Malheureusement, à l’époque nous n’imaginions pas que tout irait encore plus vite et si mal.

Maïko : Je crois bien que je me suis sentie concernée très tôt par ce qui pouvait se passer dans le monde. Et je me questionnais sans cesse.  Dans l’album Patchwork, le morceau « Le monde du quoi » est celui qui évoque le plus ce sujet. Il faut se remémorer l’actualité des années 80/90, avec les conflits internationaux, la catastrophe de Tchernobyl, la déforestation en Amazonie, le racisme, etc. Ces événements étaient la toile de fond consciente ou inconsciente de mes textes qui révèlent en majorité une certaine noirceur de l’humanité, avec une propension à la guerre et à la destruction. Mais si nous portons tous une part sombre, nous avons aussi une part de lumière et c’est pour cela qu’il est question de transformation possible à travers différents archétypes et symboles.  

C’est ce qui m’a fait apprécier l’heroic fantasy qui offre un terrain fertile pour explorer une grande variété de thèmes et de questions sociales, philosophiques et morales, tout en offrant des mondes fantastiques remplis d’aventures et de merveilles. 

Quant au « rejet du monde adulte » évoqué dans la question, je dirais plutôt qu’il s’agit d’une critique de certains comportements humains. Je me dis parfois que les adultes sont des enfants qui jouent aux grands, et qu’ils se perdent peut-être entre « grandeur » et « pouvoir ».

Aujourd’hui,  je continue à me sentir profondément concernée par les enjeux écologiques et sociaux. Je crois que notre richesse est dans l’altérité. 

Et je me prête toujours à rêver, et je me prête toujours à croire, que si l’on est capable de détruire, on est aussi capable de construire. On a tous notre part à jouer.

5) Sortilège (groupe de heavy metal français) a fait son retour il y a quelques années après plus de 30 ans d’absence. Au théâtre Dunois à Paris, le 27 février 1993, Maiko clôture ce concert fabuleux en lançant « A bientôt ! ». Vous me voyez venir… un retour d’Arrakeen, ne serait-ce que pour des concerts, est-il envisageable ?

Eric : Ce n’est pas à l’ordre du jour. Le travail individuel et collectif à fournir est considérable pour, d’une part, réapprendre les anciens morceaux et, surtout, pouvoir proposer des nouveautés. De plus, l’organisation et la logistique à mettre en place pour une poignée de concerts rendrait l’aventure particulièrement risquée. Donner un seul concert, chez nous, serait très sympa mais en décalage avec l’investissement global, personnel et financier, que je viens d’évoquer. En revanche, sortir de nouveaux morceaux, pourquoi pas, si la bande suit !

Maïko : J’espère encore un « à bientôt » ! Mais, comme le dit Éric, ce n’est pas si simple. En tout cas, pour la scène, même si j’en ai très envie, il faudrait que les planètes s’alignent…

Pour suivre Arrakeen : https://www.facebook.com/Arrakeen

Et un lien d’écoute par ici 👉 : https://youtu.be/dFbcbjsQ7CA?si=fYtR384AdTP2N8ob

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