Blut Aus Nord – Ethereal Horizons (Debemur Morti Productions)

Chronique de Funeral Scribe

« L’esprit ne s’égare jamais : il retourne simplement vers ce qui l’a précédé. »

Lorsque Ethereal Horizons prit possession de mes sens, ce fut comme si le monde intérieur s’était mis à tourner autour d’un point unique, un point que je n’avais jamais su nommer mais qui avait toujours été là, tapi au centre du crâne, juste derrière le souffle.

La première note ne se contenta pas de vibrer : elle fit se plier le réel autour d’elle, comme si la pièce tout entière se courbait à sa fréquence. Je sentis la table s’éloigner de moi, non pas physiquement, mais par un recul intime, presque spirituel, comme si elle ne faisait plus partie de mon histoire. Le grain du bois devint flou, les murs perdirent leur certitude.
Je me retrouvai suspendu, simple point de conscience flottant dans un espace qui ne demandait plus la permission d’exister.

Là, dans ce demi-flou d’éther et d’inquiétude, les sons s’élevèrent. Ils n’avaient ni début ni fin, seulement des surgissements, comme des souvenirs qui n’auraient jamais dû revenir. Ils se déployaient en arcs lents, presque religieux, traçant dans l’air des silhouettes colossales que je ne voyais pas mais que je sentais m’observer, immobiles, patientes, bien au-delà de toute intention humaine.

Blut Aus Nord me convoquait.

Et moi, pauvre scribe fragile, j’avançais dans cette immensité comme un pèlerin qui aurait oublié jusqu’à la raison de son voyage. Les horizons se construisaient sous mes yeux avec la lenteur majestueuse des phénomènes cosmiques.
Des falaises de lumière grise s’élevaient puis se repliaient sur elles-mêmes.
Des gouffres sonores s’ouvraient dans le vide, avalant des pans entiers de silence avant de les recracher sous une autre forme, plus profonde, plus lourde, comme chargée d’une mémoire supplémentaire.

À mesure que j’avançais, je sentais mon propre corps se dissoudre en particules de perception.
Mes mains n’étaient plus des mains, mais des traces, des lignes mouvantes, des intentions qui n’avaient plus besoin de matière pour exister.
Mon visage se faisait abstrait, un simple écho suspendu dans le flux. Il n’y avait plus que la sensation d’être regardé par quelque chose d’immense, sans chaleur ni cruauté, une entité pour qui le temps n’avait jamais eu d’épaisseur.

Et l’album continuait.
Impitoyablement beau.
D’une beauté tellement dépouillée qu’elle en devenait tranchante.
Les guitares, ces spectres métalliques, se déployaient comme des ailes faites d’un matériau qui n’appartenait pas au monde solide.
Elles déchiraient l’horizon, créaient des failles, des ouvertures, des lueurs qui ressemblaient à des questions auxquelles aucun mortel n’aura jamais la force de répondre.

À un moment, je crus tomber. Non pas physiquement mais tomber comme on tombe dans un souvenir ancien, celui où l’on comprend que l’on n’a jamais été maître de rien.
La musique prit alors une tonalité presque sacrée, non pas religieuse mais cosmologique, comme si elle récitait les lois d’un univers parallèle où nos peurs n’étaient que des traces primitives laissées par des civilisations de lumière.

J’eus la sensation étrange que quelque chose voulait me traverser, pas pour prendre ma place, mais pour vérifier si j’en avais encore une.
Un froid subtil passa dans ma poitrine, un frisson vertical, ancien, qui ne venait ni de l’air ni du corps, mais du centre même de l’âme.
Et alors, les horizons s’ouvrirent une dernière fois.
Je vis sans voir.
Je compris sans saisir.
J’entendis un souffle qui n’était pas un son, un souffle qui avait l’âge des premières constellations.

Puis le silence revint, brutal, massif, définitif.
Je rouvris les yeux.
La pièce était redevenue pièce, mais elle semblait minuscule, presque ridicule face à ce que je venais d’arpenter.
Mes mains tremblaient encore légèrement, comme si elles avaient laissé une partie d’elles-mêmes derrière ces parois éthérées.

Et l’ombre… mon ombre refusa de revenir immédiatement.
Elle resta collée au mur quelques secondes supplémentaires, comme si elle hésitait à me suivre, comme si elle savait que le monde que j’habitais n’avait plus tout à fait le même poids qu’avant.

Depuis ce moment, un faible bourdonnement persiste dans mon crâne, un bruit presque trop bas pour être réel, comme un rappel.
Une marque.
Un fil ténu qui me relie encore aux horizons que j’ai traversés.
Car Ethereal Horizons n’a jamais vraiment cessé.
Il tourne encore, derrière la matière, derrière les pensées, dans ce lieu secret où le son devient lumière et où la lumière devient forme.

Puis… tout retombe dans le silence, sauf ce fil invisible qui continue de me tirer vers l’ailleurs.

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