Singulier de INERTE

Chronique de François Kärlek et interview d’Elodie Lageyre et François

Chronique

Bon c’est un peu toujours le même scénario en fin d’année. Les enfants font leur liste au Papa Noël et je fais ma liste d’albums préférés, qui finissent d’ailleurs souvent dans ma propre liste au gros barbu tout rouge de Laponie qui travaille 1 jour sur 365.

Sauf que les groupes et labels sont soit facétieux (ceux qui sortent exprès leur chef d’œuvre le 31), soit tributaires de grosses contraintes et obligés de faire des sorties en décembre. En vrai je pense qu’ils s’en fichent carrément des tops albums de nos modestes rédactions de webzine… et ils ont bien raison. Manquerait plus qu’on fasse comme en littérature une « rentrée » avec tous les albums qui sortent en même temps ! Des albums qui tuent il en sort jusqu’au 31 décembre à 23h59 inclus, et c’est à nous chroniqueurs d’assumer que, de même qu’on ne peut pas tout écouter, on ne doit pas trop anticiper ces fameux tops et laisser leur chance aux chansons (big up à Pascal Sevran), et ce jusqu’au bout de l’année.

Toujours est-il que, si j’avais déniché 5 ou 6 coups de cœur jusqu’en octobre, les bonnes sorties semblent s’être concentrées sur la fin d’année, et c’est en relative dernière minute que INERTE s’est vu attribuer une place de choix dans les tops respectifs de ma collègue Elodie et moi-même.

Et pourtant, du Black Metal, j’en ai mangé énormément cette année ! Du très bon, du trve, du qui ne se foule pas trop, du copieur éhonté des 90 ‘s, du qui met sur le cul, du qui sort largement du cadre, INERTE faisant partie de ces deux dernières catégories, et ce à plusieurs titres.

Premier point bluffant avec Inerte c’est qu’avec un seul EP : S/C, chroniqué par votre serviteur dans ces pages, le projet de Nico avait déjà posé TOUS les jalons de ce qui en fait l’essence brute. Mélange entre un chant guttural hargneux, des riffs issus aussi bien du black que du death ou du thrash, des passages indus, une basse autonome et fluide et, pour couronner le tout, des thèmes sacrément sombres, voire carrément dépressifs.

A l’instar de Jours Pâles, autre grosse réussite française de cette année à mes yeux, INERTE n’empile pas les plans juxtaposés mais compose d’authentiques « chansons » portées par des vocaux à la très forte personnalité.

Pour l’aspect chanson, le format autour de 4 à 5min fait vraiment du bien quand on est habitués comme moi au Black atmo qui vous balance des boucles ronronnant sur 15min. D’autant plus que cette courte durée des pistes n’est en aucun cas révélatrice d’un art bridé, mais plutôt d’une remarquable densité. INERTE explore et varie énormément ses effets en cours de morceaux : « Non Serviam » et « Levitation » sont en crescendo émotionnel, « Renaissance satanique » vous violente sauvagement pour vous caresser à partir de sa partie centrale et sa basse ultra sexy, genre remake de 9 semaines ½. « Avant que tu ne la prennes » est un midtempo ravageur, incompressible de lourdeur, un parpaing de ressenti en oxymore (Amour noir de velours…).

Chaque piste fourmille de détails, d’ambiances qui lui sont propres et s’autosuffit par ses qualités : mélodie, groove, puissance, sentiments exacerbés.

En ce qui concerne le chant, notre hurleur porte avec brio ses textes, portant le plus souvent sur la mort, l’amour, la contradiction permanente entre élans morbides et vitaux. Le couple, à la fois source de vie par la reproduction qu’il induit, et de mort par les ruptures et conséquences dramatiques qu’il peut générer : « Jamais ne tombez amoureuse » est ici un avertissement explicite, à l’image de ce superbe artwork où l’étreinte induit un coup de poignard.

Le cycle de l’exaltation et la déchéance se pose en thématique récurrente de l’album, et les métaphores et figures de styles sont légion dans une langue parfaitement ciselée : « Et même si l’horizon se veut funeste, accroupis-toi, déploie tes ailes. Je les découperai, délicatement, t’accueillerai dans mon Antre », sommet de poésie noire sur l’excellent « Renaissance Satanique », ou encore ce passage à la mélodie tortueuse, sensuelle et horrible à la fois, sur « Lévitation » : « Je te rends folle, mon ange, venin, Ma proie, mon coeur, petite sotte, ma douleur, Mon refuge et ma foi, le poignard, les clous, la croix, L’épitaphe que jamais personne ne lira ».  Les sentiments s’imbriquent et la musique sert les mots avant tout.

Les textes sont forts et habités par un Nico au sommet de son art, martial, emphatique, empli de douleur, souvent doublé par lui-même pour renforcer l’ambiguïté ou le malaise. Même si les intentions sont quasi DSBM, la musique et les ambiances vocales sont, heureusement, aussi loin que possible de ce style que je n’apprécie que moyennement. 

Ici les riffs lancinants et répétitifs du premier groupe dépressif venu sont remplacés par un concentré de brutalité et de frustration, rarement contenu, souvent expulsé. « Misère » est une piste géniale par exemple, alternant entre mandales punk et respirations lyriques, tout en gardant ce son INERTE, ultra reconnaissable. Au même titre que beaucoup de morceaux, « Misère » est transpercé par un solo de haute volée, majestueux et inspiré, en point d’orgue.

Tout l’album recèle de passages marquants, ici un break avec un cri à nu, ici des riffs sinueux et obsédants, ici un blast fulgurant…

2025 a été une année riche, mais gâchée par la multitude de foutages de gueules permis par cette saleté d’IA, qui est passée en quelques mois d’un développement sournois à un usage de plus en plus décomplexé. A l’heure ou un ancien ministre de l’éducation (censé montrer un minimum l’exemple) s’est complu récemment dans sa propre bêtise en présentant comme une « composition » un pauvre morceau dont il n’a réalisé ni le texte ni la musique, il me semble capital de favoriser les artistes authentiques et prendre le temps d’apprécier leurs œuvres comme il se doit.

Je suis donc ravi que ma dernière chronique de l’année mette en avant un album que nul ordinateur n’aurait su produire. 

Manifestement humain, touchant dans ses imperfections, viscéral, personnel, surprenant, inspiré, INERTE a sorti un diamant brut, rugueux mais terriblement précieux à l’ère de l’imposture qui gangrène désormais tous les milieux artistiques.

Tant qu’il saura proposer de telles œuvres, l’humain m’inspirera un infini respect.

Merci à toi Nico pour cet opus si singulier.

Interview

On tenait déjà à te renouveler officiellement nos félicitations pour ce nouvel album !
3 années séparent S/C et SINGULIER et ce qui est flagrant c’est ton évolution artistique. On devinait ton potentiel dans le 1er opus mais on ressentait une forme de timidité, de retenue qui me paraît maintenant évidente quand on le compare avec le 2nd. Qu’est ce qui a permis cela ?
Merci beaucoup. Je tenais dans cet album à lâcher davantage prise, à composer et écrire de manière plus instinctive, sans trop retravailler le contenu pour lui donner un aspect plus brut, plus direct, moins policé… J’y tenais car cet album se voulait être « pulsionnel », « animal », presque « écorché vif ».

On sent une urgence et une quasi rupture sur tes lignes de chant, t’es-tu mis en danger émotionnellement sur certains morceaux ?
Je ne pense pas m’être mis en danger, mais plutôt qu’une fois de plus, les morceaux m’ont permis d’exprimer des émotions assez extrêmes que j’éprouvais… Il fallait que ça sorte de cette manière. Le danger aurait été de ne pas le faire.

Les textes sont très travaillés, avec une imbrication récurrente entre les thèmes de l’amour et la mort.  Ces deux notions te paraissent-elles indissociables ? Quels sont les autres thèmes moins « évidents » que tu as abordés ?
Ce couple amour/mort est en effet présent de manière récurrente dans l’album. Ces deux notions vont de pair ici car, outre la beauté et l’innocence du sentiment amoureux, j’évoque aussi sa face sombre, toxique, déviante, perverse. Les textes s’articulent très souvent autour des pulsions de vie/pulsions de mort sous le regard de la foi, du divin comme je l’appelle. On va aussi retrouver le désir de s’affranchir de l’autre, et inversement celui de fusionner entièrement avec.
L’album exprime donc bien cette lutte entre recherche de fusion et le désir de se tourner vers autre chose… On trouve pas mal de réflexions sur la sexualité, les fantasmes, ainsi que l’envie de ne plus exister, l’idée obsédante de se voir mourir…

Tu avais absolument tout fait sur ton premier EP, est-ce encore le cas ?
Non haha !! La démarche cette fois ci est différente. A l’écoute des morceaux de l’album, j’ai fait le choix de m’orienter vers une production plus moderne que pour S/C… C’est pour cela que j’ai fait appel à Alexandre Lrt pour le mix/master, un mec très cool, abordable et compétent qui a réussi à insuffler l’énergie dont cet album avait besoin.
Je me suis également entouré de zicos qui ont parfaitement réussi à ajouter aux compos leur feeling… J’aurais certes pu enregistrer tout comme pour S/C mais je voulais un meilleur résultat, trouver des personnes bien meilleures que moi techniquement. Je me suis chargé de la composition des titres et les copains ont apporté leur touche dessus…
Même si on a trouvé sur le tard un batteur, à l’époque de l’enregistrement de l’album, nous avons dû faire appel à un batteur de session (Nathan Faure de Skaphos a répondu présent). Je ne voulais plus de batterie programmée mais qu’on sente bien l’énergie de l’humain derrière, quelque chose de plus vivant.

L’artwork est sublime, qui l’a réalisé et quel en est le sens ?
Encore une fois Hugo Gravel a fait un excellent travail. Le résultat m’a bluffé et bouleversé. On y retrouve plusieurs symboles présents dans l’album : la notion de dualité, la fusion, l’enfermement dans la relation, la séduction, la religion vue comme conscience morale, la mort… Je pense qu’on ne peut pas donner un unique sens à cette pochette mais elle questionne, suscite plusieurs interprétations…

Pour cet album tu t’es donné les moyens de voir plus grand en faisant un clip pour le titre “s’il te plaît”. Dis-nous tout sur ce clip !
« Voir plus grand » c’est vraiment ce qui pourrait qualifier ma démarche pour cet album.
« S’il te plaît » est un morceau qui reste à part pour chacun de nous… Il allie désespoir, religion, sexualité de manière naturelle… une forme de passerelle entre le désir et l’effondrement…
A l’époque de la promotion de « S/C… », j’ai rencontré Roman Dagbert sur les réseaux et nous avons de suite sympathisé grâce aux nombreux points communs que nous avions : musicaux, artistiques, etc. On s’était dit que ce serait cool de bosser ensemble mais ce n’était pas encore le moment. Une fois l’album composé, je lui ai dit : « je pense qu’on tient un truc qui vaudrait le coup d’être mis en image », Roman s’est de suite montré enthousiaste par rapport à ce projet et a commencé à proposer des idées. La collaboration fut spontanée, on allait dans le même sens et très rapidement le casting a été fait, le lieu trouvé, le scénario validé. En vrai, ce sont plus les autorisations qui ont été longues à obtenir (tourner dans une église se mérite lol) mais on les a eues et après on a foncé !

L’énorme virage qu’a pris Inerte est assurément sa transformation de one man band à groupe qui va se produire fin novembre à Lille. Présente-nous ton line up.
Inerte est désormais un groupe de cinq personnes. Les premiers à avoir intégré la formation sont Xavier et Alex.
Xavier, guitariste lead (mais qui a aussi enregistré les rythmiques pour les besoins de l’album), joue aussi dans un groupe de hardcore : Nobody’s straight. Il fut le premier à rejoindre Inerte et l’entente musicale fut tellement facile que nous avons très rapidement bossé ensemble sur les riffs du futur album.
Alex, à la basse, a eu plusieurs projets par le passé mais qui sont toujours restés dans l’ombre. Comme pour Xavier, l’entente musicale et l’adhésion à l’univers que propose Inerte fut instantanées.
Jon, par la suite, nous a rejoint en tant que guitariste rythmique. Il a participé à de nombreux projets mais principalement il a formé son propre one man band depuis quelques années : Apanthropia.
Max, aux fûts, vient de la scène plus death old school, sans avoir eu de projets menés à terme.  

Tu remontes sur scène après des années sans, j’imagine que cela doit être source de beaucoup d’émotions, comment tu te sens ?
Dire que ça ne me fait rien serait mentir mais ça ne me bouleverse pas non plus. Les expériences scéniques passées font que je n’arrive pas en terre inconnue.
Je me sens fier de proposer un nouveau projet et j’espère qu’Inerte arrivera à marquer d’avantage les esprits de ce fait.

Est-ce que le format live de ta musique reste fidèle à l’ambiance de l’album ? Est-ce que la dynamique change ?
En format live, je ne me voyais pas transposer certains morceaux… J’ai préféré prioriser l’efficacité sans, évidemment, bannir totalement les atmosphères. On retrouve donc bien des samples, des plans atmo en live. La différence réside surtout dans l’intention. Pour la scène, mon intention est davantage centrée sur le mouvement, l’efficacité de certains titres, la rage.

Est-ce que tu as déjà d’autres dates en vue ?
Pas d’autres dates pour le moment mais on y travaille actuellement. On aimerait vraiment avoir l’opportunité de jouer dans différents endroits afin d’exporter et faire connaître ce groupe un peu partout.

Est-ce que la création d’un line up pour assurer les lives s’étendra jusqu’à la naissance d’un prochain album qui sera composé avec tes musiciens ?
Les choses sont posées depuis le départ : Inerte restera mon projet dans lequel je serai aux commandes, y compris au niveau de la composition. Par contre, je laisserai toujours la place à l’expression des membres car c’est pour moi une réelle richesse pour ce projet.

Inerte est un one man band sans label depuis le départ. Tu as toujours assuré ta promotion en solo en créant ton propre réseau pour assurer ta visibilité. Est-ce qu’on peut imaginer qu’un de tes prochains objectifs serait de signer dans un label connu pour sortir de la trop confidentielle sphère underground ?
Je reste réticent à l’idée de signer chez un label. Je me méfie un peu et j’aime vraiment cette liberté de pouvoir faire comme bon me semble. Après rien n’est gravé dans le marbre, mais pour être honnête, pour le moment, ce n’est pas ma priorité. Je préfère attendre un peu pour financer un prochain opus que de signer sur un label à qui j’aurai des comptes à rendre, d’une manière ou d’une autre.

Merci pour le temps consacré à nous répondre, on te souhaite de tout cœur le meilleur pour la sortie de « Singulier ».

Vous pouvez commander l’album sur ce lien Bandcamp

Et un extrait pour finir:

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