
Chronique du Funeral Scribe
« Toute conscience porte en elle une nuit plus vaste que le monde qui la contient. »
L’ouverture d’Even Light Decays est une intrusion, subtile et sans visage.
On croirait d’abord entendre un souffle étranger, une poussière de cosmos s’insinuant dans la cage thoracique.
Une tension subtile, presque imperceptible, mais qui altère déjà la respiration, comme si l’air lui-même pressentait qu’il n’a plus sa place ici.
Aethervoid ne se présente pas ; il s’impose en silence, comme une constellation apparue trop près, trop brusquement, dans un ciel qui n’était pas prêt à l’accueillir.
Les premières notes étirent l’espace.
Littéralement.
Je sens la pièce se courber, ses angles se ramollir, sa géométrie hésiter, comme si les lois qui la maintenaient debout avaient soudain été renégociées.
Les sons avancent, lourds et graciles à la fois, tels des astres en lente collision.
Rien ne semble forcé : tout paraît inévitable.

Les guitares tracent des sillons lumineux d’une froideur superbe, comme des comètes privées d’atmosphère, qui brûlent sans flammes.
Elles inscrivent dans l’air des figures géométriques dont je ne connais pas le nom mais dont la logique me dépasse une écriture ancestrale, peut-être, celle des premiers mouvements du vide avant que la matière ne décide d’exister.
Les voix, elles, viennent de profond.
Pas seulement du ventre ou de la gorge : de cette zone obscure entre l’âme et le souvenir, là où l’être hésite entre l’élan et l’effondrement.
Le chant clair avance comme une lueur fragile, non pour guider, mais pour dévoiler ce qui n’aurait jamais dû être vu.
Le growl, lui, ressemble à un éboulement de galaxies, un grondement d’étoiles en fin de cycle.
On a l’impression que la voix humaine n’est qu’un médium : que quelque chose parle à travers elle.
La basse pulse comme une résonance archaïque, une onde qui roule à travers les os et vient réveiller d’antiques frissons enfouis derrière la mémoire sensorielle.
Quant aux percussions, elles tombent avec la rigueur d’une mécanique cosmique.
Pas un battement ne semble terrestre.
Ce sont des impacts qui rappellent les frappes d’un destin impartial, des chutes de masses stellaires réglées sur une chronologie que l’homme ne pourra jamais comprendre.

À mesure que j’avance dans l’EP, je sens mon esprit se dilater comme s’il ouvrait d’anciens couloirs, oubliés depuis longtemps, entre la conscience et l’inconnu.
Chaque morceau semble être la mutation lente d’un même organisme, différentes phases d’un effondrement lumineux.
On voit, ou plutôt on ressent, la lumière se fatiguer, se ternir, perdre ses certitudes.
Non pas mourir : accepter sa fragilité.
Le thème de l’EP s’incarne alors pleinement.
On ne parle plus de black atmosphérique, de textures progressives ou de densité sonore : on parle d’un phénomène. D’un phénomène où la lumière elle-même se désagrège comme une idée trop ancienne pour continuer à briller.
À certains moments, j’ai l’impression d’assister au dernier souffle d’un soleil. À d’autres, c’est l’aube d’un univers qui n’aura jamais de nom.
On traverse ces compositions comme on traverse un rêve qui ne nous appartient pas.
Et pourtant, tout semble étrangement familier, comme si l’EP réveillait un souvenir enfoui dans la moelle : celui du moment où la conscience s’est éveillée pour la première fois, au milieu du néant.
Lorsque l’ultime onde sonore s’évapore, j’ai la sensation que quelque chose a été déplacé — non pas autour de moi, mais en moi. Comme une infime altération de la gravité intérieure. Comme si la lumière que j’avais en tête n’avait plus tout à fait la même forme.
Je reste immobile, suspendu, avec cette impression sourde d’avoir contemplé un phénomène qui ne m’était pas destiné.
Et pourtant, je m’y sens lié.
