Jours Pâles – Résonances (Sortie le 5 décembre 2025 chez Les Acteurs de l’Ombre)

Chronique de François KÄRLEK

J’ai un lien particulier avec Jours Pâles, et ce pour deux raisons.

Premièrement c’est le projet de Spellbound, parolier talentueux d’Aorlhac, qui est clairement parmi les groupes de Black Metal français que je porte au firmament depuis leur « Trilogie des Vents ».

Deuxièmement c’est un groupe que j’ai découvert en live bien avant de me pencher sur leurs albums.

Et depuis le début cela change mon approche, car j’écoute chaque morceau en ayant en tête ce que le frontman et compositeur du groupe, accompagné d’un line up ultra solide, pourra transmettre au public en termes de charge émotionnelle…

Jours Pâles est ambigü, c’est indéniable, les textes sont écrits à cœur ouvert mais leur auteur est pudique. La musique est violente, particulièrement sur cet opus, très Black côté batterie et chant, et en même temps d’une finesse rare. L’ensemble vous attrape direct le cœur et ne vous lâche pas.

Tout l’album est une montagne russe, entre phases de manie et de déprime, souvent dans l’excès. Et si vous pensez avoir un peu de répit sur un passage de blast, c’est pour mieux vous faire retourner l’âme au détour d’un break bien senti qui ira chercher au plus profond de vous. Le passage à 4 min 10 de « Cinéraire » est un exemple magistral, liant la beauté du texte à une guitare acoustique et des effets de spatialisation absolument géniaux. « Le feu si frêle s’étiole, Et les cendres s’envolent, Je n’ai jamais assez d’temps, Pour te dire mon amour, Et retenir ces moments, Qui ne reviendront pas ». Lorsque texte et musique se combinent aussi bien le frisson est total, j’en reste sur le carreau.

En termes de styles, Jours Pâles touche à tout, Black, Punk, Rock, Death mélo, en fait c’est bête à dire mais je ne vois pas Jours Pâles comme du metal mais vraiment comme un groupe de chanson française porté à son paroxysme, éclatant les barrières stylistiques pour que son art atteigne des climax qu’aucun groupe non extrême ne pourrait atteindre.

En cela, le côté extrême n’est jamais gratuit, mais parfaitement expressif et en permanence au service de la musique. Le blast et la saturation des cordes (vocales et de guitares) ont une volonté palpable chez Jours Pâles, contrairement à tous ces groupes aseptisés et sans âme qui déguisent de la pop facile derrière un mur de son et n’ont d’extrême que la forme, pas le fond.

Chez Jours Pâles, les sentiments sont extrêmes, et la musique n’en est que le vecteur logique, il est impossible de différencier les textes de la musique, et les intentions de son géniteur, torturé, à fleur de peau, nourrissent chaque instant, chaque note.

L’identité du groupe repose sur deux atouts irrésistibles, la mélodie et l’émotion, et tout l’opus est traversé de fulgurantes mélopées et de sentiments exacerbés.

Une piste comme « L’essentialité du frisson » est un parfait exemple, évoquant à la fois la rupture et les relations charnelles (avec ou sans lendemains) : « En moi des transes qui me feront si souvent oublier, Que mon foyer est éternellement brisé ». Il est à noter le sublime accordéon en fin de ce morceau qui rappelle la nature que ce projet est lié à ses racines, et vient magnifier le texte « Sois mon tout, sois le néant, Entre les deux nous trouverons, L’instant immense, L’instant qui nous rendra vivant ». On touche au sublime dans le mélange des genres entre Black Metal puissant et cette mélodie « traditionnelle », ni ringarde ni surannée, juste émouvante et sincère, à la parfaite image du groupe.

J’écris cette chronique au fil de l’eau, juste après la découverte l’album, et je me dis « tant pis si ce n’est pas parfaitement construit, il faut que mes idées sortent pour partager mon enthousiasme ».  Car oui ! je trouve cet opus fabuleux et espère que mes mots permettront de mettre en lumière cet album. Il y a chez Jours Pâles une nécessité impérieuse d’exprimer son art. Béquille nécessaire pour tolérer nos vies bancales, imparfaites, la musique est ici une « thérapie » qui, en mettant en lumière la merditude des choses, les rend plus tolérables.

On ressent cette impérieuse nécessité sur les pistes les plus vindicatives, celles que je citerais pour définir à un non-initié ce qu’est Jours Pâles :
« Mouvement ostentatoire rémanent totalitaire », parfaite hybridation entre Black Metal ultra efficace (avec les blasts les plus virulents de l’album) des ponts / breaks qui relancent l’intérêt sans cesse et un final magistral, parsemés d’arpèges limpides, amorcé par les mots de Kim Carlsson (de Lifelover) : « Mort à nos hontes, Mort à nos haines, Mort à nos hontes, Mort à nos peines… ». Epoustouflant.

« Viens avec moi » très rock, à la basse vrombissante et groovy, aux guitares virevoltantes et au chant harangueur, pas si loin des sommets de « terroir lyrique » pratiqués chez Aorlhac : « Dérivons sur les hauts plateaux de Gergovie, Ou pourquoi pas sur les plaines qui sourient, Nos jours heureux fertiles comme la Beauce, Faisons de ce carcan le meilleur des désastres ».  Je trouve génial qu’il y ait presque des passerelles entre les deux groupes, très différents mais tous les deux transcendants dans leur approche musicale.

« Savile » et son début Black Punk, braillard, terriblement énervé, à juste titre puisqu’il évoque les pédophiles, abuseurs, ordures du quotidien bien souvent impunies. Contrepoint à la touchante instrumentale « chanson pour Aldérica II », on palpe ici la rage d’un père qui constate avec effroi toutes ces affaires, procès, faits divers, dont les criminels ne souffriront aucune peine à hauteur de celles qu’ils font subir. En tant que papa, ce morceau est celui qui a le plus touché ma corde sensible, par sa forme, ultra violente, et son message : « On Vomit vos outrances, Finissez tous au fin fond des abîmes ».  Impossible de rester de marbre, je retiens difficilement mes larmes.

Ma chronique a pris une tournure à la limite du track by track, mais c’est logique, tant les enchaînements sont fluides et bien pensés.

Ici la douceur de « La plus belle des saisons » prend tout son sens après la fureur de « Savile » et n’en est que plus belle. Guitare acoustique, basse ronde, solo heavy à l’ancienne mais tellement bon, et un final une fois de plus sublime, entre ces cris poussés comme autant d’appels et le piano, simple et émouvant qui porte le tout : « Je ne suis pas une option, Qu’on oublie, Qu’on salit, Je ne suis pas une option, Tu es mon royaume… ».

J’attends d’un album qu’il me fasse sentir vivant, qu’il me transcende et m’émeuve. Jours Pâles le fait avec tant de talent que c’en est indécent.

Avec déjà 4 albums depuis 2021, on pourrait croire que l’inspiration se tarirait et que la recette ronronnerait, mais que nenni ! Jours Pâles livre ici son meilleur album à mes yeux, une réussite totale, un must de 2025.

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