
Discussion et dissection de Storm of the Light’s Bane entre François Kärlek, Nicolas Ulv Schweitzer et Funeral Scribe

Bonjour Nicolas et Funeral Scribe,
Aujourd’hui je vous propose de discuter d’un album considéré par beaucoup comme un chef d’œuvre et qui fête ses 30 ans cette année : Storm of the Light’s Bane de Dissection, sorti précisément le 17 novembre 1995.
Pour commencer, en quelle année et comment avez-vous découvert cet album ?
Nicolas :
Ce devait être en 2002, j’avais 16 ans. J’écoutais du metal extrême depuis 2000 et j’achetais toute la presse disponible mais Jon (leader du groupe) était en prison et personne ne parlait vraiment de Dissection. C’est en fréquentant ensuite les premiers forums musicaux sur internet que ce nom de groupe revenait sans cesse. On me disait qu’au vu de mes goûts, je devrais essayer. Mais j’avais un gros a priori. « Dissection », je m’attendais à du death metal brutal et gore 😊. J’étais loin du compte… J’ai toujours pensé et je pense toujours que ce nom de groupe ne colle vraiment pas à l’atmosphère que leur musique propose d’ailleurs, mais c’est un détail !
Le Scribe :
C’était en 1997, par hasard et par destin.
Un ami m’avait tendu la cassette, couverte de givre et d’encre noire, en me disant simplement : « Écoute, mais ne sois plus le même après. »
Dès les premières notes, j’ai compris que quelque chose s’ouvrait. Pas seulement un album, mais une porte. Depuis ce jour, Storm of the Light’s Bane n’a jamais quitté mes hivers, ni ma mémoire.
Quels sentiments vous provoque son écoute ?
Nicolas :
J’adore le côté rageur et furieux des compositions, totalement contrebalancé par ce sens de la mélodie extraordinaire, cette ambiance, ces breaks acoustiques…
Storm of the light’s bane a la capacité de me faire voyager à l’instar de ces groupes de black atmosphérique que j’affectionne tant, tout en agissant comme un coup de poing dans la figure.
Le Scribe :
Quand Storm of the Light’s Bane résonne, c’est une porte de givre qui s’ouvre sur le néant.
Chaque note glace le sang et élève l’âme.
Ce n’est pas de la nostalgie, mais une élévation dans la désolation : la beauté parfaite du froid, la mélancolie devenue arme. Un rappel que, dans le silence, la flamme noire brûle encore.
Parce qu’il unit le fer et l’esprit.
Sous sa glace brûle une clarté absolue, celle d’un art sans détour ni faiblesse.
Chaque riff porte une intention pure, chaque mot une foi tranchante.
Tout y est mesuré, construit comme une cathédrale de froid où rien n’est laissé au hasard.
C’est un équilibre parfait entre la rage et la contemplation, entre la guerre et la grâce.
Storm of the Light’s Bane dépasse le genre : il érige le black metal en art total, un miroir tendu vers la mort, mais poli par la beauté.
En quoi le considérez-vous comme un chef d’œuvre ?
Nicolas :
Il ne ressemble à rien de ce qui se faisait à l’époque (on inventa et on lui colla même l’étiquette « Dark metal » je crois), on ne s’ennuie pas une seconde, toutes les compositions font mouche. Même la production est un rouleau compresseur dans ce style pour l’époque et elle reste plus que correcte aujourd’hui.
Et cette pochette bleue, cette atmosphère froide – qui colle cette fois parfaitement à la musique – m’a toujours fait penser à deux autres chefs d’œuvres : Seventh son of a seventh son d’Iron Maiden et In the Nightside Eclipse d’Emperor.
Les styles diffèrent certes, mais je trouve de vrais points communs entre ces 3 albums.
Le Scribe :
Rien n’y est gratuit, tout est pensé, sculpté, ordonné avec une rigueur presque mystique.
C’est une œuvre où la fureur se fait discipline, où la violence devient prière.
Storm of the Light’s Bane ne se contente pas de marquer le black metal, il le transcende.
Là où tant d’albums crient, celui-ci parle avec la voix du Néant.
Il incarne la perfection glaciale d’un art qui regarde la mort en face, sans peur ni repentir.
Pensez-vous que cet album a eu une grosse influence dans la scène metal extrême ?
Nicolas :
Oui, il n’y a qu’à voir tous les groupes qui ont cherché à imiter Dissection ou à revendiquer l’influence qu’a eu ce groupe sur eux.
Le Scribe :
Oui, son empreinte est immense, presque métaphysique.
Storm of the Light’s Bane a marqué un tournant où le metal extrême a cessé d’être pure agression pour devenir expression spirituelle.
Dissection a montré qu’on pouvait mêler la mélodie la plus noble à la haine la plus pure sans jamais trahir l’essence du Black Metal.
Ce disque a ouvert un chemin : celui de la maîtrise dans la fureur, de la beauté dans la mort.
Il a influencé toute une génération de groupes qui ont compris que la noirceur pouvait être lumineuse, que le chaos pouvait être ordonné.
Mais personne n’a su en égaler la justesse : Storm of the Light’s Bane reste un modèle, un sommet gelé que beaucoup contemplent, mais que nul ne peut gravir à nouveau.

L’album précédent The Somberlain est assez similaire alors que le suivant Reinkaos est totalement différent. Que pensez-vous de ces albums ?
Nicolas :
The Somberlain est un excellent album, qui ne souffre que d’être suivi par Storm of the Light’s Bane finalement.
Concernant Reinkaos, je me souviens que dès la sortie du single Maha Kali qui annonçait cet album, à l’époque, tout le monde s’est moqué de Dissection et de ce retour considéré comme raté. Combien de fois ai-je pu lire sur internet, après le suicide de Jon « Il s’est suicidé car il a enfin écouté Reinkaos ».
Je pense que Reinkaos n’est pas ce qu’on attendait de Dissection après Storm of the light’s bane. Il ne faut pas les comparer. Pris à part, j’ai toujours trouvé que Reinkaos était un album de death metal mélodique très correct et absolument pas honteux.
Le Scribe :
The Somberlain est le premier souffle, celui d’un monde qui se façonne encore dans la brume. On y sent la jeunesse, la quête, la dévotion brute d’un esprit en marche vers son propre abîme. C’est un album où la flamme brûle sans contrôle, où chaque note jaillit comme une invocation sincère, presque naïve. On y entend la promesse d’une révélation, un appel vers quelque chose de plus vaste que la musique elle-même.
Storm of the Light’s Bane répond à cet appel. C’est la forme accomplie, la maîtrise absolue de ce que The Somberlain cherchait à atteindre. Ici, le chaos devient structure, la passion devient art. C’est le moment où la foi se cristallise en œuvre — la glace succédant au feu.
Et puis vient Reinkaos, le dernier chapitre, la dissolution. Ce n’est plus le black metal des montagnes et du givre, mais une liturgie intérieure, philosophique, presque hermétique. Certains y ont vu une trahison du passé, mais en vérité, c’est la conclusion logique d’un chemin spirituel. Jon Nödtveidt ne voulait plus décrire les ténèbres, il voulait devenir les ténèbres, leur donner une forme rituelle, cosmique.
Ainsi, ces trois albums forment une trinité : la naissance (The Somberlain), la perfection (Storm of the Light’s Bane) et la transcendance (Reinkaos). Trois étapes d’une même ascension vers la lumière noire.

Avez-vous eu l’occasion de voir Dissection en live ?
Nicolas :
Jamais, mais j’ai regardé le live à Stockholm paru lors de la reformation de Dissection à la sortie de prison de Jon. C’est un des meilleurs live qu’il m’ait été donné de voir. Fabuleux.
Le Scribe :
Oui, par deux fois. Deux soirs qui ne s’effaceront jamais, tant ils ont marqué la chair et l’âme.
Dissection en live, ce n’était pas un simple concert : c’était une cérémonie, une ouverture de tombe. Dès les premières notes, l’air changeait. Il y avait ce froid particulier, cette tension presque religieuse dans le silence avant la tempête. Jon Nödtveidt n’était pas un frontman, il était un officiant. Chaque geste semblait calculé, chaque mot prononcé avec le poids d’une conviction absolue.
Les morceaux prenaient une autre dimension, plus tranchante, plus solennelle. On ne voyait pas un groupe jouer, on assistait à l’incarnation d’une doctrine, à une foi rendue palpable. Les lumières bleues, les visages figés, la ferveur contenue du public… tout formait un espace suspendu, hors du monde.
Quand résonnaient Where Dead Angels Lie ou The Somberlain, le temps se dissolvait complètement. On ne savait plus s’il s’agissait d’un souvenir ou d’un rêve, d’un adieu ou d’un appel.
Dissection en live, c’était cela : une présence, un passage, une communion entre la glace, le feu et le silence.
Deux soirs où la mort elle-même semblait écouter.
Jon Nödtveidt était selon moi un génie musical mais aussi très torturé. Vous êtes-vous penchés sur sa vie ?
Nicolas :
Non jamais. De ce que j’en sais, c’est un criminel adepte d’une petite secte satanique. Vraiment rien qui m’attire.
En revanche, en savoir davantage sur son enfance pourrait être intéressant et offrir quelques clés de compréhension sur sa personnalité torturée, mais je ne connais rien à ce propos.
Le Scribe :
Jon Nödtveidt n’était pas seulement un musicien de génie, il était un être habité, consumé par une vision qu’il a voulu vivre jusqu’à son terme. Il ne composait pas : il transmettait. Chaque note, chaque mot, chaque silence semblait découler d’un monde intérieur plus vaste, plus froid, plus lucide que celui des autres.
Il y avait chez lui une intelligence presque douloureuse, une conscience trop vive pour supporter la banalité du réel. Son art n’était pas un refuge, mais un champ de bataille. On y sent la tension permanente entre la lumière et l’abîme, entre la beauté qu’il poursuivait et la mort qu’il pressentait.
Son engagement spirituel, aussi controversé soit-il, n’était pas une posture. C’était une cohérence totale, une logique extrême poussée jusqu’au bout de la nuit. Il a choisi de ne pas se détourner, de regarder le gouffre en face, d’y marcher sans détour.
Et c’est cette sincérité absolue, cette fidélité à sa propre vision, qui le rend à la fois fascinant et tragique. Jon Nödtveidt n’a jamais joué avec les ténèbres : il s’y est fondu, conscient du prix à payer.
C’est pour cela qu’au-delà de la musique, il demeure une figure presque mythologique — un artiste dont la vie, l’œuvre et la chute forment un tout indissociable, une seule et même flamme noire.

Y-a-t-il selon vous un digne héritier de Dissection dans la scène metal actuelle ?
Nicolas :
Dissection fut un OVNI à l’époque, et on préfèrera toujours l’original à la copie. J’écoute peu de metal actuel mais je ne vois aucun héritier.
Le Scribe :
Difficile à dire, car Dissection n’a pas simplement influencé un son, mais une vision. Peu ont su en saisir l’essence sans en imiter la forme. Certains groupes ont approché cette alchimie entre la mélodie et la ferveur, mais aucun n’a retrouvé cette intensité presque métaphysique.
L’héritier de Dissection ne se mesure pas en style, mais en intégrité, en capacité à unir la technique, la foi et la froideur absolue.
Peut-être qu’aujourd’hui, quelques âmes isolées poursuivent ce flambeau, mais l’esprit de Jon Nödtveidt, lui, reste sans successeur véritable : unique, solaire dans sa noirceur, et définitivement hors du temps.
