KHÔRA – Ananke (Les Acteurs de l’Ombre)

Chronique de François Kärlek

Frustration, voilà le premier mot qui me vient à l’esprit pour commencer cette chronique que je voulais rédiger depuis la toute première écoute de Ananke et n’attaque que mi-août.  D’un autre côté, ce délai quasiment indécent à l’ère du numérique et du « tout ! tout de suite » m’a clairement permis de confirmer que mon coup de cœur n’était pas une toquade fugace mais bien voué à du long terme. Cet opus m’accompagne régulièrement et continuera de le faire, j’en parie ma collection d’albums cultes de BM norvégien. 

Car c’est bien de ce côté-là qu’il faut rechercher, aucun doute n’est permis. J’ai croisé des avis assez mitigés : hommage trop prononcé, manque de personnalité. Sauf que c’est tout sauf un défaut à mes yeux. Soyons pragmatiques, j’adore ce que la Norvège a réussi à proposer avec la deuxième vague de BM et je ressens ici l’influence et des sonorités de 3 groupes que j’adore : Emperor, Arcturus, Dimmu Borgir. Les derniers albums de ces groupes qui m’ont fait vibrer sont respectivement : Anthems to the welkin at dusk (1998), The Sham Mirrors (2002) et Death Cult Armageddon (2003), ça commence donc à sérieusement dater ! Voilà ici une des très rares fois depuis 25 ans que je retrouve VRAIMENT les sensations de la découverte d’un excellent album de BM « à la norvégienne » (mais pas norvégien puisque l’équipage du navire Khôra est largement cosmopolite). Et c’est là l’aspect le plus bluffant de ces 9 compos : assimiler un style musical et ses codes dans son entièreté, se l’approprier et… défier, voire surpasser ses maîtres.

Mettons maintenant de côté cet aspect pour apprécier pleinement cet album d’une oreille vierge et estimer cette œuvre à sa juste hauteur : un album poignant, majestueux, façonné et peaufiné par des esthètes.

On tient ici un diamant noir, parfaitement pensé dans son alternance entre morceaux accessibles et plus aérés.  Chaque piste est un tube en puissance et aurait pu être pensée en tant que single. Je soupçonne les compositeurs d’avoir dégraissé ceux-ci de tout passage superflu ou trop long. Là où certains groupes atmos répètent leurs bonnes idées jusqu’à l’écœurement, Khôra enchaîne les plans qui déchirent sans temps mort et ne nous laisse d’autre choix que relancer plusieurs fois les morceaux pour bien s’en imprégner et capter leur génie. J’ai écouté littéralement en boucle le morceau « Wrestling With The Gods »  ce qui ne m’arrive jamais à ce niveau quasi obsessionnel.  Mais bon sang cette entrée furieuse avec LE riff mélodique parfait, ce passage de chant clair, la structure progressive de l’ensemble, les solos échevelés. Tout est à sa place : tellement évident, logique.  Et il en va de même pour chaque piste, leur appréciation n’étant qu’une question de sensibilité personnelle, puisqu’elles ont chacune la même somme de qualités intrinsèques : équilibre, feeling, interprétation de haut vol. Que l’on ne s’y trompe pas, même si leurs qualités sont les mêmes, il y a énormément de variations sur l’album, très bien pensé dans la répartition des morceaux.  Des tubes idéalement répartis sur la galette : Empyreal Spindle, In The Throes Of Ascension, SupernalLight. Et d’autres morceaux et divers passages moins denses, moins immédiats, pour proposer un grand panel d’ambiances. 

Et puis zut, j’arrête de tourner autour du pot, Le frenchie Frederic Gervais (cocorico !) livre ici ce que je considère comme sa meilleure prestation. Son chant saturé est vitupérant, acerbe, son chant clair est ultra juste et surtout Monsieur a un timbre ultra reconnaissable qui donne une identité forte au groupe, tout comme il le faisait avec Oraklemais avec encore plus de naturel selon moi.

Je ne vais pas tout détailler car chaque musicien donne le meilleur sur cet album. On sent une belle dynamique de groupe malgré la distance (ont-ils déjà pu jouer tous ensemble ? j’en doute) et un tel rendu global, au regard descontraintes géographiques, n’est donné qu’à des musiciens hors pairs.

En résumé, Khôra sublime son lourd « héritage stylistique » et nous propose ici un des tous meilleurs albums de Black Metal à l’ancienne tout en le boostant avec les moyens de production actuels. On ne voit pas le temps passer, les morceaux restent collés au cortex et on prend son pied à les écouter plein de fois, ce qui me semble l’idéale définition d’un excellent album.

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