Grima – Nightside (2025) – Napalm Records

Chronique de Funeral Scribe

« Et la forêt reprit tout ce qu’on avait oublié »

Il n’y a pas de seuil, pas de premier mot.
Juste une haleine froide, un murmure venu de loin.
On ne pénètre pas dans Nightside, on y glisse malgré soi — comme happé par un rêve sans forme, ou par un souvenir enfoui sous trop d’oubli.

Ce n’est pas un album. C’est un creux.
Une béance dans le tissu du monde, un souffle venu d’avant le langage.
Nightside ne montre rien, ne guide pas. Il enveloppe. Il déforme. Il déracine.
On s’y laisse prendre sans même en prendre conscience. Et quand on ouvre enfin les yeux, on est déjà loin.

Tout commence dans un froid sans contours. Pas celui qui mord, mais celui qui vide.
Un froid qui arrache les bords du corps. Qui éteint ce qui palpite.
Un froid d’âme.
Un silence qui ne repose pas — qui résonne.
Et là-bas, au loin, quelque part entre le givre et l’écorce : une pulsation. Une vibration. Un appel.

Les guitares ne décorent pas : elles lacèrent. Elles serpentent, elles suintent, elles traînent leur fatigue dans les ombres.
Elles ne jouent pas des notes, elles tracent des cicatrices.
Chaque riff semble né d’un lieu reculé, oublié.
Un lieu sans nom, mais familier. Un espace entre deux pensées.
Le black metal de Grima ne pousse pas vers le haut. Il ramène vers les racines. Vers la forêt. Celle qui respire, celle qui attend.

Il n’y a pas de démonstration, pas de geste gratuit.
Rien ne cherche à briller — tout cherche à survivre.
La brume monte. Elle s’infiltre. Et bientôt, elle est là, en nous.
La batterie ne frappe pas. Elle vit.
Et cette voix, lointaine, étrangère, semble filtrer à travers la glace, comme un gémissement retenu trop longtemps.

Par instants, tout se suspend. Le temps s’arrête de marcher.
Des nappes de sons nous portent ailleurs, là où rien ne bouge mais tout vibre.
On ne sait plus si l’on chute ou si l’on flotte.
Et puis soudain, tout repart. Sec, brutal. Comme une bête qu’on croyait oubliée et qui se remet à mordre.

Il n’y a pas d’histoire. Pas de narration.
Seulement des images, des flashes.
Un cheval noir perdu dans une tempête.
Des ombres rassemblées autour d’un feu qui ne réchauffe plus.
Le reflet inversé d’un ciel mort dans un torrent figé.

Nightside est traversé par une solitude vaste, impénétrable.
On croit y entendre les traces d’un peuple qui n’a jamais existé.
Ou alors, c’était nous. Avant.
Avant l’oubli. Avant le froid.

Ce n’est pas un album qui s’achève.
C’est lui qui recule, lentement,
nous laissant là,
à la croisée d’un sentier que le vent a effacé,
sans carte, sans direction.

Parce qu’une part de nous s’est détachée là-bas.
Dans le noir.
Sur l’autre versant.

Laisser un commentaire