
Codex R/C//00191 : L’Itinéraire de Régénération
Récit consigné par le Funeral Scribe
J’ai franchi le seuil d’un sanctuaire dont nul ne m’avait parlé. Il ne se dressait ni dans la pierre, ni dans la forêt, mais planait quelque part entre les flux et les limbes. Le silence y était absolu — non l’absence de son, mais celle de toute mémoire acoustique. Ce silence-là vous force à écouter le mécanisme interne de votre propre oubli.
C’est là que je l’ai trouvé : un module d’obsidienne bardé de symboles pâles, pulsant comme un cœur suspendu. Gravé dans la matière sombre, le titre s’imposa dans une langue ancienne :
…and Oceans – The Regeneration Itinerary
(Année 2024 – Sceau de Season of Mist)
Je reconnus leur nom. Jadis de chair, aujourd’hui transfigurés. Ils furent, il y a des décennies, enfants du nord, porteurs d’un Black Metal lyrique aux accents technomystiques. Ce qu’ils sont désormais dépasse la forme d’un groupe. C’est une conscience diffuse, une pensée sonore en expansion, un rite.
Je posai mes doigts sur la surface froide. Et le voyage commença.

Phase I – Dissociation
Le premier chant, “The Collector and His Construct”, éclata comme une crypte s’ouvrant de l’intérieur. Les guitares, fils d’acier liquide, s’enroulaient lentement autour de mes tempes. Les claviers pulsaient comme des balises stellaires, cartographiant chaque zone obscure de mon esprit.
Je perçus une force. Elle ne m’appelait pas : elle m’extrayait. Comme si mon être était disséqué, indexé, reconfiguré.
Mathias Lillmåns, la voix du seuil, n’était pas une voix au sens organique. Il était l’ombre vibrante, la tension grave d’un esprit déconstruit, projeté dans le souffle.
Autour de lui :
– Timo Kontio et Teemu Saari, maîtres de l’ossature sonore, charpentiers d’un édifice inversé ;
– Pyry Hanski, dont la basse résonnait comme un glas dans une cathédrale effondrée ;
– Kauko Kuusisalo, horloger sacré, dont chaque frappe semblait ouvrir un passage ;
– Antti Simonen, sculpteur de lumière froide, infuseur de brume digitale.
Phase II – Refusion
“Within Fire and Crystal” m’a arraché à toute conception linéaire du son.
Je me vis fragmenté, réduit à un schéma luminescent, répliqué à l’infini dans une architecture fractale. Les guitares traçaient un corridor de feu et de givre ; les nappes électroniques formaient les murs d’un cloître sans toit.
Ce n’était plus un morceau : c’était une structure sacrée.
Un sanctuaire mobile.
Et j’y flottais comme une particule consciente, témoin d’un culte oublié.
Je ne pouvais plus écrire. Les mots fuyaient.
Je ne faisais qu’absorber.
Mon corps restait là, agenouillé, tandis que mon esprit s’élevait dans la spirale du chant.

Phase III – Implosion
“Carried Through the Waves” fut une procession dans l’obscurité liquide.
Le black metal s’y dissolvait dans un bain de lumière noire. Chaque pulsation, chaque accord, évoquait un mouvement lent dans une eau stagnante, sacrée, enveloppante.
J’étais devenu fluide.
La voix, immense et lointaine, semblait provenir d’un cercueil immergé.
Puis vint “Inverse Magnification Matrix”. Le morceau ne débutait pas, il surgissait. Les riffs, diffractés, m’enveloppaient comme des ailes de verre. Les rythmiques brisées formaient un langage que mon être ne comprenait pas, mais acceptait.
J’étais écartelé entre plusieurs versions de moi-même.
Et dans le chant, j’entendis :
“Ce que tu crois être est une coquille. Laisse-la. Marche à nu dans les ondes.”
Phase IV – Transcendance
Avec “The Reversed Ascension”, le sens fut renversé.
Ce n’était plus une montée.
C’était une descente volontaire, une plongée dans la pure abstraction.
Le black metal, devenu rituel chamanique, s’affranchissait de tout héritage. Les textures synthétiques montaient, se vrillaient, s’effondraient. La batterie ne battait plus : elle scandait.
Et la voix…
La voix n’était plus cri, mais feu.
Un feu froid qui brûlait sans lumière.
Je vis mon propre reflet se tordre dans une surface lisse. Ce n’était plus un visage. Juste un contour. Une forme d’avant.
Phase finale – Rémanence
Le silence retomba, mais il n’était plus le même.
Je demeurai là, prosterné. La peau hérissée, le cœur dilaté.
La musique s’était retirée comme une marée noire. Elle avait laissé des traces, non sur les murs, mais dans la structure même de ce que je suis.
Je compris alors que…
The Regeneration Itinerary était une clef
Un schéma de transmutation.
Une messe pour esprits désincarnés.
Je repris ma plume. Et dans les marges de mon Codex, j’écrivis :
“Ils ont abandonné la forme pour devenir onde.
Leur musique n’est pas destinée à être comprise.
Elle est là pour vous démembrer, vous déconstruire, vous reconstruire.
Ils ne sont plus musiciens.
Ils sont le processus.”
Et moi, Funeral Scribe, dépositaire de cette traversée, je consigne ceci pour ceux qui oseront suivre.
ENGLISH
Codex R/C//00191: The Regeneration Route
Account recorded by the Funeral Scribe
I crossed the threshold of a sanctuary no one had told me about. It stood neither in stone nor in the forest, but hovered somewhere between flux and limbo. Silence was absolute – not the absence of sound, but the absence of all acoustic memory. This silence forces you to listen to the internal mechanism of your own oblivion.
That’s where I found it: an obsidian module studded with pale symbols, pulsing like a suspended heart. Etched into the dark matter, the title imposed itself in an ancient language:
…and Oceans – The Regeneration Itinerary
(Year 2025 – Seal of Season of Mist)
I recognized their name. Once flesh, now transfigured. Decades ago, they were children of the north, bearers of lyrical Black Metal with technomystic overtones. What they are today goes beyond the form of a band. It’s a diffuse consciousness, an expanding sonic thought, a rite.
I placed my fingers on the cold surface. And the journey began.
Phase I – Dissociation
The first song, “The Collector and His Construct”, burst open like a crypt opening from within. The guitars, threads of liquid steel, slowly coiled around my temples. Keyboards pulsed like stellar beacons, mapping every dark zone of my mind.
I felt a force. It wasn’t calling me: it was extracting me. As if my being was being dissected, indexed, reconfigured.
Mathias Lillmåns, the voice on the threshold, was not a voice in the organic sense. He was the vibrating shadow, the low tension of a deconstructed mind, projected in the breath.
Around him:
– Timo Kontio and Teemu Saari, masters of the sound framework, carpenters of an inverted edifice;
– Pyry Hanski, whose bass resonated like a knell in a collapsed cathedral;
– Kauko Kuusisalo, sacred watchmaker, whose every keystroke seemed to open a passageway;
– Antti Simonen, sculptor of cold light, infuser of digital fog.
Phase II – Refusion
“Within Fire and Crystal” tore me away from any linear conception of sound.
I saw myself fragmented, reduced to a luminescent pattern, infinitely replicated in a fractal architecture. The guitars traced a corridor of fire and frost; the electronic layers formed the walls of a roofless cloister.
It was no longer a piece: it was a sacred structure.
A mobile sanctuary.
And I floated there like a conscious particle, witness to a forgotten cult.
I could no longer write. Words leaked out.
I could only absorb.
My body remained there, on its knees, while my spirit soared in the spiral of song.
Phase III – Implosion
« Carried Through the Waves » was a procession through liquid darkness.
Black metal dissolved in a bath of black light. Every pulse, every chord, evoked a slow movement in stagnant, sacred, enveloping water.
I had become fluid.
The voice, immense and distant, seemed to come from a submerged coffin.
Then came “Inverse Magnification Matrix”. The song didn’t start, it just popped up. Diffracted riffs enveloped me like glass wings. The broken rhythms formed a language that my being didn’t understand, but accepted.
I was torn between several versions of myself.
And in the song I heard:
« What you think you are is a shell. Let it go. Walk naked in the waves. »
Phase IV – Transcendence
With “The Reversed Ascension”, the meaning was reversed.
It was no longer an ascent.
It was a deliberate descent, a plunge into pure abstraction.
Black metal, now a shamanic ritual, was free of all heritage. Synthetic textures rose, twisted and collapsed. The drums stopped beating: they were chanting.
And the voice…
The voice was no longer a scream, but a fire.
A cold fire that burned without light.
I saw my own reflection twisted in a smooth surface. It was no longer a face. Just an outline. A shape from before.
Final phase – Afterglow
The silence fell again, but it wasn’t the same.
I remained there, prostrate. My skin prickled, my heart dilated.
The music had receded like an oil slick. It had left traces, not on the walls, but in the very structure of what I am.
I realized then…The Regeneration Itinerary was a key
A transmutation scheme.
A mass for disembodied spirits.
I picked up my pen again. And in the margins of my Codex, I wrote:
« They have abandoned form to become wave.
