BRUIT ≤ – The Age of Ephemerality (2024) – Pelagic Records

Chronique de Funeral Scribe

Musiciens :
Xavier S. – guitare, basse, synthétiseurs
Marie T. – violon, violoncelle
Julien D. – batterie, percussions
Élise L. – piano préparé, échantillonnage

Date de sortie : 26 avril 2024

« L’éphémère n’est pas un défaut du réel — c’est sa vérité. Et BRUIT ≤ en fait la musique. »

Il est des disques qui racontent une histoire. D’autres, plus rares, suspendent le récit. Ils arrêtent le temps. Ils sculptent le silence. The Age of Ephemerality n’est pas une suite de morceaux : c’est un souffle. Une expérience sensorielle et organique, où chaque note semble déposée comme un grain de sable glissant dans l’ampoule d’un sablier inversé. Le temps devient matière, lente, inexorable.

Ici, BRUIT ≤ ne compose pas. Il médite.
Dès les premières mesures, le monde extérieur s’efface. La musique s’épanche comme une brume, enveloppant l’auditeur d’une temporalité étrangère, presque sacrée. Oubliés les couplets et les refrains. Chaque respiration devient langage. Chaque silence, présence. Le groupe ne cherche pas à impressionner : il cherche à toucher — doucement, profondément, presque à l’insu de celui qui écoute.
Une lenteur souveraine

L’esthétique de l’album relève d’une forme d’ascèse. La lenteur y règne comme une divinité bienveillante. Violon, violoncelle, piano préparé : les instruments acoustiques, porteurs de souffle et de fragilité, s’unissent dans une alchimie lumineuse. Ce n’est pas du minimalisme, au sens froid et distant, mais une épure expressive. Chaque pause pèse autant qu’une note. Chaque vibration semble porter en elle la mémoire d’un monde qui s’efface.

On pense à Arvo Pärt, à Max Richter. À une musique de la résonance, mais chargée ici d’une gravité tellurique, viscérale. BRUIT ≤ creuse les failles du sensible sans jamais y sombrer. Il effleure les ruines, mais toujours avec pudeur.
Le murmure du monde
Sous cette élégance feutrée perce une tension sourde. Des fragments sonores — voix humaines, bruits de ville, interférences — surgissent par instants, comme des échos du réel. Ils ne sont pas là pour faire effet. Ils incarnent l’éphémère.

Le monde gronde, mais lointain. Comme s’il commençait à se souvenir de lui-même, trop tard. BRUIT ≤ ne proclame rien. Il observe. Il témoigne. Sa musique est une oraison. Une élégie pour l’attention disparue, pour la mémoire en miettes, pour la continuité brisée de nos existences.
La tension du souffle
L’album ne se découpe pas en chansons, mais en mouvements. On le traverse comme une ville sous la pluie : tout est flou, et pourtant familier. Il n’y a pas de climax. Seulement des montées qui ne cherchent jamais à éclater. Le but n’est pas de parvenir, mais de maintenir. De tenir l’écoute dans un état suspendu, méditatif.

BRUIT ≤ détourne les codes du post-rock. Là où d’autres explosent, il se dissout. Là où certains hurlent, il chuchote. La batterie bat comme un cœur lointain. Les guitares caressent l’espace plutôt qu’elles ne le lacèrent. Et pourtant, tout vibre d’une intensité sourde, comme un souffle retenu.
Un dernier éclat avant l’oubli
Malgré la gravité du propos, jamais l’album ne sombre dans la noirceur pure. Il y a une lumière. Fragile. Fugace. Mais réelle. Une beauté discrète qui surgit dans un silence trop long, dans une corde frottée avec retenue.

BRUIT ≤ ne cherche pas à séduire. Il tend un miroir. Non pour juger, mais pour rappeler. Pour ressentir. Il parle de la disparition sans cynisme, évoque l’effondrement sans fracas. Il fait confiance à l’auditeur. Il le laisse ressentir, sans jamais l’orienter.

Et lorsque la dernière note s’éteint, ce n’est pas une fin. C’est une disparition. Un effacement. On ne sait pas exactement ce qu’on vient d’entendre. Mais on sait qu’on a traversé quelque chose.
Un souffle.
Un adieu.
Peut-être même une vérité.

The Age of Ephemerality transforme l’éphémère en art, offrant une expérience sonore introspective et poignante, où chaque note devient une réflexion sur la fugacité du temps. Une œuvre rare, qui marquera durablement ses auditeurs.

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