
Chronique écrite par Funeral Scribe
« Entre addictions silencieuses et civilisations mourantes,
Nourishing the Disaster to Come nous tend un miroir que nul ne veut regarder. »
Dans l’obscurité étouffante d’un monde en déclin, Berlial nous dévoile son manifeste.
Nourishing the Disaster to Come n’est pas simplement un album, mais une véritable expérience sensorielle, une traversée sans retour à travers les vestiges d’une civilisation qui se consume.
Avec ce deuxième opus, le duo français confirme sa vision unique et audacieuse, repoussant les frontières du black metal traditionnel pour explorer une esthétique plus complexe et immersive. Ce n’est pas une simple immersion dans l’obscurité ; c’est un voyage dans l’abîme, un regard intensément cru et dénué de fard sur la chute, sur la beauté tragique qui se cache dans le déclin.
Dès les premières secondes, l’auditeur est happé par une atmosphère lourde, suffocante.
Pas de préambule rassurant, pas de transition vers un univers familier : Berlial impose d’emblée son propre monde. Les guitares crépitent, tel un incendie en pleine expansion, tandis que des nappes électroniques s’élèvent et retombent, évoquant l’image d’une mer polluée et stagnante. La voix de CzH se fait tour à tour déformée et saisissante, oscillant entre des murmures d’agonie et des incantations diaboliques.
Hsod, de son côté, tisse un écrin sonore d’une richesse remarquable : riffs fracturés, basses saturées, samples envoûtants… Chaque composition semble se modeler à l’instinct, se réinventer sans cesse au fil des morceaux, comme un organisme vivant, organique et en perpétuelle mutation.

Nourishing the Disaster to Come se présente comme un album conceptuel qui explore les deux dimensions de l’autodestruction. D’un côté, Berlial dépeint un monde rongé par ses propres vices : la surconsommation effrénée, la dévastation des écosystèmes, la fuite en avant technologique et l’absurde conquête spatiale. Tout cela converge vers une disparition orchestrée, implacable, et systématique.
Cette critique acerbe trouve son écho dans l’artwork percutant de Jeff Grimal, qui représente un Charon moderne voguant non pas sur le Styx, mais sur une mer d’immondices. Un satellite dérivant au loin, symbolisant notre volonté insatiable de coloniser et de contaminer même l’espace infini, surplombe cette scène d’apocalypse contemporaine.
Mais ce qui frappe dans Nourishing the Disaster to Come, c’est que l’effondrement que décrit Berlial n’est pas seulement extérieur, il est aussi profondément intérieur. Chaque morceau se nourrit du thème du naufrage personnel : addiction, autodestruction, perte de soi.
Le titre éponyme, Nourishing the Disaster to Come, devient ainsi une allégorie saisissante de cette dynamique perverse : l’individu, bien que conscient de sa chute, continue à nourrir ce qui le détruit. La peur, l’habitude, le besoin de se dissocier de la réalité… tout cela constitue une forme d’auto-sabotage dans lequel on se complaît.
Cette exploration de l’âme humaine dévastée est sublimée par la performance vocale de CzH, qui navigue entre le murmure caverneux et l’incantation déchirante. L’apparition de Bargnatt XIX (Écr.Linf, Ophe) apporte également une dimension supplémentaire de malaise et d’intensité, marquant un point culminant dans l’érosion du genre.

Musicalement, l’album ne fait aucune concession. Chaque morceau est une scène déchirée d’un film mental : des transitions abruptes, des silences lourds, des boucles hypnotiques, des échantillons sonores déformés et réinventés jusqu’à l’abstraction. La violence sonore se mêle à des moments de pure beauté glaçante.
Ici, pas de refrains faciles ni de riffs martelés à outrance. Berlial invite l’auditeur à se perdre dans un chaos résonnant, à abandonner les repères et à se laisser entraîner dans un tourbillon sonore qui oscille entre apaisement et douleur. Un véritable voyage immersif où l’on n’a d’autre choix que de suivre le courant.
Ce qui fait la force de Nourishing the Disaster to Come, c’est sa capacité à évoquer l’effroi sans avoir recours aux éléments traditionnels du metal extrême. L’horreur n’est pas frontale, elle est sous-jacente, implicite, omniprésente. Ce n’est pas un autre monde qui s’effondre sous nos yeux, mais le nôtre. Une réalité concrète, présente, tapie dans les coins sombres de notre quotidien : dans nos villes saturées, dans nos océans pollués, dans nos sociétés épuisées.
Au fil des 45 minutes de l’album, Berlial nous entraîne dans un tourbillon sans fin, un organisme malade avançant inexorablement vers sa fin, tout en nous offrant une poésie noire, désespérée. Loin de se limiter à un simple manifeste nihiliste, l’album parvient à dégager une forme d’élégance tragique, une beauté dans la chute, presque morbide.
Avec Nourishing the Disaster to Come, Berlial livre un album audacieux, dense, exigeant, où la réflexion intellectuelle se mêle à l’instinct pur. Un disque qui ne cherche pas à séduire ni à choquer gratuitement, mais qui impose sa propre logique d’effondrement.
Un témoignage lucide, sans concession, d’une humanité qui court à sa perte — et qui, en chemin, trouve encore le moyen d’en tirer une forme d’art.
Un album majeur de 2025, que les amateurs de black metal introspectif et visionnaire ne sauraient ignorer..
