TOUT L’UNIVERS DE CELINE ROSENHEIM – ARTISTE

Chronique et interview par François Kärlek

Découverte sur les conseils d’un ami, je trouve l’œuvre de Céline Rosenheim assez fascinante pour qu’elle mérite d’être mise en avant.

1) D’un côté, nous avons les écrits : « A l’encre de tes veines » (2012), « Hiver noir » (2014), « Diabolus in Musica » (2015), « En la forêt de triste amertume » et « Consolament » (2020).

Profondément sombres, les deux derniers romans (ceux que j’ai lus) sont empreints d’un voile romantique et gothique, avec une patte identifiable et une ambiance commune.

Consolament se déroule dans un univers médiéval, extrêmement réaliste puisqu’il s’appuie sur les croyances cathares et guerres que cela génère, mais les extrapole avec une touche de fantasy, et ce dès l’introduction abordant de manière littérale le thème des anges déchus. Axé autour du personnage de Dame Ermessende qui doit défendre ses terres tout en vivant sa vie de femme, l’histoire aborde de nombreux sujets à travers un foisonnement de personnages : le déclin des sociétés en tant de crise, la prévalence de l’intérêt collectif sur le personnel, le rapport au sacré…

En la forêt de triste amertume, pour sa part évoque d’une part la déchéance mentale du roi de France, qui fragilise les relations politiques et aggrave les tensions et jeux de pouvoirs au sein du Royaume, et d’autre part la déchéance physique de la duchesse d’Orléans, gagnée en une soif inextinguible. Très proche dans le style mais différent de Consolament dans sa construction, ce roman revêt un caractère fantastique, en particulier grâce à la quête d’un preux chevalier en Armorique qui m’a beaucoup plu. De nombreux thèmes sont abordés (l’égo, la maladie, la dévotion, le sacrifice) et en fond une œuvre singulière, à la fois conte épique et philosophique selon comment on l’aborde.

Dans ces deux œuvres, la langue est finement ciselée, précise et délicate. Le vocabulaire riche et précis. La construction remarquable par son équilibre entre les différents arcs narratifs. C’est un travail d’orfèvre tout à fait délectable (d’autant plus que ces romans ne sont pas dilués par des longueurs inutiles) et j’ai clairement très envie de découvrir les premières œuvres que je ne connais pas.

2) De l’autre, totalement imbriqués dans l’esprit et les ambiances, 2 projets musicaux Geisterfels (Black Metal) et Malinvern (Dark Ritual).

Sorti en 2017, « La névrose de la pierre » de Geisterfels colle parfaitement aux univers médiévaux et ambiances surannées des romans. Il s’agit d’un Black Metal médiéval très mélodique, dans le plus pur respect des traditions des années 90’s, avec ce goût médiéval viking de Satyricon (Dark Medieval Times), Enslaved (Frost), et pagan à la Kampfar et dans une moindre mesure Windir.

La basse ronronne, les guitares grésillent, le chant harangue et la batterie blaste ! Les riffs sont vraiment excellents et restent en tête : « Il neige sur l’Eltz », « Im Nebel », « La chapelle recousue », comportent de très beaux passages de riffs harmonisés avec ces couleurs médiévales remarquables, comme autant de polyphonies en tierces, quintes etc… J’adore aussi les effets de guitares mélodiques superposées à des tenues (qui évoquent presque des synthés) sur « La sentinelle du Rhin » ou « Geisterfels ».

Enfin mention spéciale à la production, très organique, qui sonne live et la mise en avant d’une basse inventive et précise, presque surprenante comme sur l’unique album de Kvist. Ecoutez la première minute d’ouverture et vous comprendrez tout de suite.

Impossible enfin de ne pas évoquer Griffon puisque c’est leur chanteur qui prête sa voix à cet album rappelant par son côté assez brut ainsi leur premier méfait (Wig Ah Wag).

Alors oui, citer des références est toujours casse figure mais je pense surtout que cela permet de situer et donner envie ! N’y voyez pas un manque de personnalité de la musique proposée car celle-ci a, bien au contraire, une identité remarquable ; violente sous la forme mais mélodique et ensorcelante dans le fond, et au final plutôt gothique (comme les romans) par son approche harmonique. Personnellement j’aimerais beaucoup entendre sa suite un jour…

https://geisterfels.bandcamp.com/album/la-n-vrose-de-la-pierre

Et pour conclure, Malinvern propose en ce début d’année un EP « Le dieu orage », une œuvre minimaliste assez saisissante et hors norme, basée sur l’histoire inventée des anciens habitants du site de la Vallée des Merveilles (Mercantour). A capella, avec plusieurs voix et personnages. Pas besoin d’effets ou de grosses guitares pour transmettre des sensations. Ce travail « à nu » s’avère remarquablement bien enregistré et ce passage sur « Sul Cammino » qui mélange chuchotements et chant clair me file des frissons à chaque fois. A écouter en se promenant dans la nature, seul de préférence.

https://nebelprojects.bandcamp.com/album/le-dieu-orage

Une œuvre foisonnante, un univers très personnel, j’ai voulu en savoir plus avec une interview.

Bonjour Céline.
Tes romans « Consolament » et  « En la forêt de triste amertume » sont tous les deux sortis en 2020 et pourtant je trouve ces deux ouvrages très différents.
Pourquoi un tel écart en termes de narration et quel est celui dont tu es la plus satisfaite ?
Ils ont été écrits sur un court laps de temps, mais c’est vrai que l’approche est très différente. Consolament suit le destin d’un duché, c’est une grande fresque ou les personnages issus de classes sociales différentes se multiplient pour apporter une vision chorale de la situation.
En la forêt de triste amertume est bien plus intimiste.
Consolament est celui qui me tient le plus à cœur, car il rend hommage aux cathares. Je voulais leur donner le destin qu’ils méritaient.
Toutefois, En la forêt est celui que je conseille lorsque quelqu’un veut découvrir ma plume. Il synthétise beaucoup de mes sujets de prédilection et fait le pont entre fantastique et fantasy.

Tu sembles avoir une très grande culture historique, d’où te vient-elle ?
J’ai commencé à lire des livres d’histoire à la fin de mes études, quand j’en ai eu fini avec les lectures imposées et c’est devenu un virus. Je dois avoir plus d’une centaine d’ouvrages sur le moyen âge. Mais celui qui a allumé la flamme c’est « le vrai visage du catharisme » d’Anne Brenon.

Ton œuvre baigne dans une ambiance sombre, baignée de langueur, mélancolie.
Es-tu sensible à l’univers gothique au sens large ?
Oui, j’écoute de la musique gothique, j’ai des vêtements gothiques. Je faisais d’ailleurs de la photographie à une époque. C’est vraiment un univers qui me fascine dans toutes ses ramifications.

Je sens une part de fatalisme dans la destinée de tes personnages, es-tu d’accord avec moi ?
Oui, absolument. Cela se retrouve dans beaucoup de mes écrits.

Tu m’as dit avoir décidé d’arrêter l’écriture, pourtant tes deux derniers romans sont très réussis à mes yeux. Comment en es-tu arrivée à cette décision ? A-t-elle été difficile ?
Je ne voulais plus faire partie de ce milieu. Arrêter de vouloir publier mes écrits, c’était prendre soin de ma santé mentale, parce que ça me bouffait de devoir affronter ça tous les jours.
Déjà c’est un milieu majoritairement féminin et ultra toxique où tout le monde dit des niaiseries par devant et des saloperies par derrière. A cause de Twilight et compagnie, le lectorat a changé et les auteurs aussi. Avant, le fantastique, c’était un genre de niche, lu par des passionnés : des dandys, des esthètes et des gothiques. Maintenant, ce sont des femmes au foyer frustrées sexuellement qui veulent rêver qu’un beau gosse surnaturel va s’enticher d’une mortelle lambda comme elles. Et ce n’est même pas une caricature.
Mon premier livre est un recueil de nouvelles. Le format de la nouvelle a donné ses lettres de noblesse au fantastique. Aujourd’hui, si tu écris un recueil et que tu vas dédicacer en salon, les gens vont balancer le livre d’un air dégoûté « non, mais on n’a pas le temps de s’attacher au personnage ». Parce qu’encore une fois, l’idée c’est de combler ses frustrations par l’identification à une vie plus palpitante.
J’ai beaucoup souffert de la difficulté à trouver un éditeur, mais le calvaire n’a pas cessé à la signature d’un contrat. Au mépris du lectorat, il a fallu ajouter les magouilles des éditeurs. Maisons qui ferment et qui ne donnent jamais les derniers droits d’auteur, maisons qui veulent mettre au rebut les livres qu’ils éditent encore… A l’heure actuelle, seul En la forêt est encore publié légalement. C’est un peu dur de se dire que les autres n’existent plus vraiment. Je crois qu’en tant qu’artiste, ce qui me tient à cœur c’est d’avoir cette œuvre tangible qui n’est plus une simple vue de l’esprit, mais un objet qui a une vie propre.

Parlons musique, ton projet « Geisterfels » a sorti « La névrose de la pierre » en 2017, une œuvre riche, baignée dans l’univers médiéval. Le Black Metal était-il un mode d’expression évident pour toi ? Comment as-tu travaillé et imbriqué la musique et les concepts de cette œuvre ?
Oui, même si j’écoute pas mal de styles différents, le black metal s’est vite imposé. La névrose de la pierre est un concept album inspiré par les ruines médiévales qui bordent le Rhin. Un poète arpente les chemins pour les découvrir et fait un parallèle entre l’effondrement des ruines et les tourments de l’âme. C’est un hommage au romantisme.

Tu as tout composé et écrit mais n’a joué d’aucun instrument sur l’enregistrement, n’était-ce pas frustrant ?
Je savais ne pas être capable de tout enregistrer à l’époque donc la décision de déléguer s’est imposée d’elle-même. Je regrette simplement de ne jamais avoir trouvé de collaborateurs de confiance et c’est ce qui a mis fin au projet. La réalité est que personne ne va participer à un projet musical parce qu’il aime la musique, mais parce que cela apporte une notoriété, une possibilité de faire des tournées. Des dizaines de personnes m’ont dit oui pour Geisterfels et ont disparu sans jamais jouer une note. Trouver des musiciens pour un projet studio est tellement difficile que j’ai appris à chanter et commencé à jouer de la batterie à l’âge de 33 ans. Jouer toute seule semble être ma seule chance de continuer à avancer.

As-tu été satisfaite des retours sur cet album ?
Non, j’ai eu beaucoup de mal à trouver des chroniqueurs, surtout en France. Black metal Promotion a refusé de mettre l’album en ligne et comme on a eu la bonne idée de lui offrir un total monopole, la promotion s’arrête à peu près là. Je n’ai eu que très peu de retours, mais après avoir tant galéré, j’étais juste heureuse d’avoir sorti quelque chose en tant que musicienne, de savoir que l’objet album existait.

Tu viens de sortie l’EP « Le Dieu Orage » en solo sous le nom de « Malinvern ». C’est une œuvre a capella, surprenante, dans laquelle tu proposes 4 voix différentes. Comment t’es venue cette idée ?
J’avais des difficultés à enregistrer mes autres projets, notamment à cause de la batterie et j’avais envie de revenir à l’essentiel. Enregistrer quelque chose de viscéral, primitif et sortir toutes les voix que j’avais en moi est devenu une évidence.

La pratique du chant est-elle cathartique pour toi ?
Je ne sais pas, disons que le chant est en partie instinctif. J’ai pris des cours de chant lyrique pendant deux ans, mais c’est sans commune mesure avec le travail que nécessite la maîtrise d’un instrument. Chanter c’est se connecter à soi-même, il y a une sensation de pouvoir et de libération quand la voix trouve sa justesse.

L’EP narre une légende autour des pétroglyphes de « Vallée des Merveilles ». Est-ce un lieu d’inspiration que tu as souvent fréquenté ?
Oui le Mercantour est le lieu le plus cher à mon cœur, les montagnes d’une manière générale aussi et Malinvern est vraiment né de l’idée que je souhaitais rendre hommage aux montagnes.

Ces projets musicaux auront-ils des suites ? Ou en prévois-tu des différents ?
Malinvern pourrait avoir une suite si je raconte un autre pan de l’’histoire de nos montagnes, mais ce n’est pas ma priorité. L’objectif de cette année est d’enregistrer un EP pour Fuga Daemonum, mon projet de black/doom ritual joué uniquement à la basse et qui parle de sorcellerie, de plantes magiques et de rituels agraires.

Les randonnées et la nature semblent une part importante de ta vie, tu partages cela sur ta chaîne « Les Chemins de Nebel ». Est-ce que ces moments nourrissent ta vie intellectuelle ou au contraire sont-ils consacrés à faire le vide ?
C’est une inspiration constante. Quand je suis partie randonner en Allemagne de châteaux en châteaux, j’ai composé des chansons médiévales. Malinvern est né de mon amour de la randonnée. Il m’arrive souvent de penser à des univers de fantasy lorsque je parcours les alpages…

Apprécies-tu l’isolement et la solitude ?
Oui la solitude est un besoin vital, d’autant que je fais un métier de relation clientèle. Lorsque je ne travaille pas, je ne veux voir aucun humain.

Es-tu engagée écologiquement ?
Oui, je suis végétarienne depuis 12 ans, je n’ai pas d’enfant, pas de voiture. Hélas, on fonce dans le mur, ça fait 50 ans qu’on dit qu’on fonce dans le mur et tout le monde trouve ça cool. Dans les années 70, l’excuse pour ne pas y croire, c’était de traiter les écolos de marginaux, d’originaux. Aujourd’hui, avec le consensus scientifique, l’excuse pour ne pas y croire, c’est que c’est mainstream, une invention des « merdias » et des « escrogologistes », un complot qui vient d’en haut. Bref, l’absolu inverse, mais la mauvaise foi jusqu’au bout, parce que ce serait tellement dur de se remettre en question cinq minutes. Et puis de toute façon, c’est la faute des riches pas vrai ? C’est pas le bon peuple de France qui abat 3 millions d’animaux par jour pour son steak ou qui bétonne à tour de bras n’importe quel champ parce qu’il faut bien loger les trois enfants qui sont devenus grands. Et les rares personnes qui ont réellement une conscience écologique vont mourir avec la majorité qui s’en branle parce qu’on est assis sur la même branche. Que les gens arrêtent de se cacher derrière le fameux « ouin ouin on fait ce qu’on veut » et deviennent enfin des adultes. Manger de la viande et faire plusieurs enfants est un choix mortifère qui menace l’avenir de tous, y compris les végans sans enfants. La même branche.

Amour de la nature, du calme, de la culture médiévale, … sont en décalage avec notre époque très urbanisée, numérisée, qui sur-sollicite les individus et multiplie les interactions sociales. Aurais-tu préféré vivre à une autre époque ?
C’est difficile à dire. Je ne me sens pas en décalage avec mon époque, mais avec l’humain et l’humain a toujours été le même, il ne s’est pas soudainement transformé en créature abjecte par la magie de la révolution industrielle. Si je devais vraiment choisir, je dirais les années 80 ou 90 pour vivre l’émergence de la batcave et du black metal.

L’art au sens large semble essentiel pour toi, as-tu des projets extra-musicaux à venir ?
Non, ma chaîne Youtube me prend beaucoup de temps, donc j’essaye de jongler entre les vidéos et la musique.

Merci pour cet échange, tu peux t’exprimer librement sur tout sujet qui te tiendrait à cœur et que l’on n’aurait pas abordé.

Merci à toi d’avoir pris le temps de découvrir mon univers.

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