Chronique et interview par François Kärlek

Le quart de 2025 n’est pas achevé qu’on ne sait déjà plus où donner de la tête. Ce n’est pas pour rien que SBUC se focalise sur la scène française, on n’est tout simplement pas en capacité de rendre honneur à tous les excellents albums qui sortent, et on a déjà de quoi très largement se faire plaisir avec nos divers compatriotes.
Initiation, Noirsuaire, Arkaist, The Great Old Ones… Le début d’année est déjà très riche…
Grosse différence avec les groupes cités plus haut, Orbital Decay MMXXIV revêt la forme d’un duo mené par J à la musique, accompagné de K aux textes. Cependant, même si la musique est le produit d’un seul compositeur, on est très loin de l’image d’Épinal d’un BM minimaliste et désespéré enregistré dans une cave.
Orbital Decay MMXXIV est ambitieux ! Et si les références citées par le groupe font envie : MGLA, NIN, Dimmu, Blut Aus Nord, j’y ajouterais sans hésiter Satyricon, Septicflesh, ou les trop méconnus Diablerie (courrez écouter Seraphyde de 2001).
On navigue en effet dans un Black Metal d’une superbe facture, Violent, Brutal (avec majuscules dans ta tronche) sans concession et très Black’n roll sur les imparables Brutalism et Amen, dans l’esprit de Diabolical Now. S’ajoutent à cela de nombreux effets, en particulier divers bruitages présents dans Anthropos Anathema, Ozymandias, ou breaks indus portés par une boîte à rythme foisonnante.
Il y a un côté implacable dans ce que propose Orbital Decay, en cohérence avec les thèmes portant sur la misanthropie et le déclin de l’humanité. La batterie technoïde combinée à la densité des riffs s’avère dévastatrice et étouffante, mais prend toute son ampleur par les tours de passe-passe de J qui manie en clair-obscur les nuances sur différents ponts/breaks au piano (Amen, Elder Gods) et propose une respiration avec l’intermède Anima Mundi.
Ainsi, aucune compo n’est ennuyeuse ou prévisible, l’intérêt étant relancé ici par un lead heavy, là par des synthés épiques ou encore un passage narratif.
Chaque morceau se déroule en montagne-russe, comme le très classieux Drowned, malsain et oppressant sur tout sa première partie, grâce au chant guttural et profond de Nico Heartofmetal et débouchant sur un final surprenant en chant clair que n’auraient pas renié les vikings de Borknagar.
Je me tends ici la perche pour évoquer le travail global sur le chant, remarquable, proposé sur cet album grâce à la participation et alternance entre plusieurs vocalistes. Cependant l’effet « auberge espagnole » a été évité avec des hurleurs aux timbres et intentions certes reconnaissables mais proches dans l’esprit, ce qui assure la cohérence de l’album.
Nico HeartofMetal (Vosegus…) assoit la noirceur de Drowned, Romain Nobileau (dont on attend avec impatience le projet solo Owls) nous fait flipper sur Anthropos Anathema, Tom Misein (FT-17) incite à tout casser en ouverture sur les 2 premiers morceaux et Florian Desormière (ex Dysmorphic) nous englobe avec son timbre désespéré mais chaleureux sur les 2 derniers.
Enfin mention spéciale dans un registre totalement différent à Anne Soazig Couedel qui assure de splendides mélodies m’évoquant les chants nostalgiques des balkans sur Ozymandias, donnant à cette dernière pièce une belle ampleur apocalyptique.

Chaque morceau, nourri par une production emphatique et généreuse, regorge de détails et m’évoque autant l’efficacité moderne d’un Coven du Carroir de 2023 que les bonnes vieilles recettes des 90’s qui entretiennent ma nostalgie : ici un double chant à la Cradle sur le début de Elder Gods, là une ambiance grecque à la Rotting Christ, et encore ces fameux passages indus à la Diablerie (courrez écouter Seraphyde ! – oui je sais je l’ai déjà dit).
Le label l’Ordalie Noire ne s’y est d’ailleurs pas trompé en prenant le projet sous son aile. Et ce n’est pas franchement étonnant quand on voit les autres coups de cœur de SBUC qu’ils chapeautent : Initiation, Malkavian, Circles ov Hell, Les Bâtards du Roi, FT-17 … on est clairement sur un Roster de très grande qualité ! L’Ordalie ne déçoit que rarement, tout comme Debemur Morti ou Les Acteurs de l’Ombre dans leurs différents registres.
Voilà donc un premier album qui fait preuve d’une grande maturité et séduira tout amateur de Black Metal Mélodique, Symphonique et Indus, respectueux de ses aînés tout en apportant une très belle pierre à l’édifice, en particulier par la variété des ambiances et des parties de chant.
Et on enchaîne sur une interview pour affiner l’univers du duo !
1. Comment est né Orbital Decay MMXXIV ?
[J&K] : ORBITAL DECAY MMXXIV est né d’un besoin d’exprimer notre vision du monde. Il ne s’agit pas seulement de contempler l’effondrement, mais aussi d’en sonder les causes. Une fraction de l’humanité, par sa nature prédatrice et aveugle, a façonné un monde à son image : une structure en déclin, rongée par la violence et la cupidité. À travers notre musique, nous traduisons cette misanthropie, non comme une simple posture, mais comme un constat : l’homme maltraite son environnement comme il se maltraite lui-même, enfermé dans une fuite en avant qui ne mène qu’au néant.
Chacun a pris son rôle très naturellement : J. pour la composition et la production musicale, et K. pour la direction conceptuelle et l’écriture des textes.
2. Pourquoi ce nom ? Et en quoi le MMXXIV est-il important ?
[J&K] : Le nom ORBITAL DECAY fait référence à la dégradation progressive d’un corps céleste en orbite, une trajectoire inexorable vers la destruction. C’est une métaphore parfaite de l’humanité : une entité incapable d’échapper à “l’appel du vide”. Tout comme un satellite finit par être consumé par l’atmosphère terrestre, l’homme, par ses excès et son arrogance, scelle son propre destin.
Le MMXXIV (2024 en chiffres romains) marque un point d’ancrage dans cette trajectoire. Ce n’est pas un simple ornement, c’est une borne temporelle, le moment où le projet prend forme.
3. Comment voyez-vous la scène extrême française et quelle pierre pensez-vous apporter à l’édifice ?
[J] : La scène extrême française est foisonnante et riche en propositions artistiques fortes (des plus hautes sphères à l’underground le plus noir). On y trouve des groupes qui ont su imposer une identité singulière et qui encore aujourd’hui restent des références pour moi : Blut Aus Nord, Anorexia Nervosa, Glaciation, Punish Yourself notamment. Il y a une tradition d’expérimentation et de transgression. De nombreuses formations plus récentes sont toutes aussi qualitatives et intéressantes dans leurs approches : Epine, Circles Ov Hell, Houle…
[J&K] : Avec ORBITAL DECAY MMXXIV, notre ambition n’est pas de révolutionner quoi que ce soit, mais d’y ajouter notre propre lecture : une musique où la rythmique mécanique de l’industriel et l’abstraction de l’électro fusionnent avec la noirceur du black metal. Nous essayons d’apporter une approche peut être plus cinématographique, plus poétique. Notre pierre à l’édifice, c’est ce mélange des genres, une façon de raconter la chute de l’humanité avec une esthétique sonore qui oscille entre chaos et contemplation.

4. On ressent pas mal d’influences et les compositions sont très variées : Electro, Sympho, Mélodique, Atmo, avez-vous déjà pratiqué tous ces styles ou Orbital Decay MMXXIV est-il pour vous l’occasion d’expérimenter ?
[J] : Avant ORBITAL DECAY MMXXIV, j’avais déjà touché à ces différents styles au travers d’autres projets (Pour la réf et ceux qui souhaitent “digger” sur le net : Necrosia Delectus pour l’aspect Black Symphonique, Terrodrown pour l’indus, …) mais jamais en les combinant aussi profondément. K. a plus baigné dans l’industriel et l’électro punk (KMFDM, Skinny Puppy, NIN…). Pour nous, ces éléments se marient naturellement. Ils permettent d’élargir l’univers sonore, d’apporter une ambiance plus immersive et de casser la monotonie d’un black metal trop linéaire.
Cela dit, ce projet est aussi une façon d’expérimenter. Nous ne cherchons pas juste à empiler des influences, mais à les fondre et les modeler pour en faire quelque chose de personnel. Parfois, un morceau naît d’une idée très instinctive, parfois c’est un travail minutieux sur les textures et l’atmosphère. Nous ne nous mettons pas de barrières, tant que ça sert l’identité du projet et son message.
5. J’ai ressenti des vibrations qui m’ont évoqué Satyricon et Diablerie (en plus de Dimmu ou Blut Aus Nord qui sont cités dans le dossier presse), apprécies-tu ces 2 groupes ?
[J] : Oui, clairement. Satyricon a toujours eu une approche très personnelle du black metal, notamment à partir de Rebel Extravaganza, avec ce côté plus froid, mécanique et presque urbain. Ce sont des sonorités qui me parlent, cette manière d’épurer tout en gardant une atmosphère pesante. Quant à Diablerie, j’aime leur façon d’intégrer des éléments électroniques.
Même si ces influences ne sont pas forcément mises en avant, elles font partie de cette mosaïque sonore qui façonne ORBITAL DECAY MMXXIV. L’idée n’est pas de reproduire, mais de capter une essence, une atmosphère, et de la réinterpréter à notre manière.
6. Tu as des invités de marque au chant sur cet album, les connaissais-tu déjà tous avant de leur proposer ? Pourquoi ce choix de ne pas avoir de chanteur attitré ?
[J] : Le choix des vocalistes sur cet album s’est fait naturellement, en fonction des affinités et des rencontres. Misein, je le connais depuis très longtemps, on s’est construits autour des mêmes repères puis perdus de vue. C’était une occasion unique pour se rapprocher de nouveau. Pour Anne Soazig, nous avions déjà évolué ensemble dans une même formation et elle a répondu présente immédiatement. Florian, Romain et Nicolas, en revanche, sont des rencontres plus récentes, ils ont tous été super disponibles, moteurs et à l’écoute. Humainement des mecs supers. Tous, les textes et l’architecture des morceaux en mains, ont eu carte blanche. Le but premier étant pour eux de performer au-delà de leurs habitudes et se faire plaisir avant tout.
Ne pas avoir de chanteur attitré était une décision délibérée. Le chant est un domaine que nous ne maîtrisons pas et comme précisé plus haut l’hexagone nous avons des vocalistes extrêmement talentueux. Chaque invité a ainsi pu insuffler sa propre intensité, enrichissant l’album de nuances et de contrastes qui auraient été plus difficiles à obtenir avec une seule voix.
7. Y’a-t-il des œuvres (films, livres…) qui nourrissent vos concepts ? Comment avez-vous travaillé ensemble texte/musique sur cet opus ?
[K] : Nous avons sans cesse échangé tout au long de la composition des différents morceaux, cela fait partie de notre manière de fonctionner, nous parlons beaucoup et aimons confronter nos idées ou nous échanger des références. Nous venons d’univers littéraires et musicaux différents, mais qui se complètent finalement, et mettre en commun tout ce que les compos de J. nous évoquaient au fur et à mesure de leur écriture a été très enrichissant pour tous les deux ! Nous avons beaucoup débattu notamment de l’équilibre misanthropie/espoir de l’album dans sa globalité, et il nous est apparu important de laisser de la place à un peu de lumière à la fin de certains morceaux, pour ne pas verser dans le nihilisme le plus sombre…
Au niveau des œuvres qui nous ont nourris pendant l’écriture de cet album, elles sont très variées, que ce soit des films, livres ou ambiances, et pour certaines viennent de loin ! Drowned par exemple m’a immédiatement évoqué Démences de Graham Masterton que j’ai lu plus jeune, et j’en ai gardé cette atmosphère très malsaine, de murs habités et d’esprits brisés. Pour Amen et Brutalism c’est l’histoire qui s’est rappelée à nous dans toute son horreur, et qui se répète encore et encore (réf: The Magdalene Sisters de Peter Mullan et 1984). Globalement des auteurs comme Aurélien Barrau, Pablo Servigne ou Cyril Dion nous ont fait prendre conscience de l’état de notre monde, et c’est le côté amer et désabusé des constats faits dans ce corpus de textes qui a pris le dessus dans notre album. Nous explorerons peut-être l’espoir et tous les possibles qui s’ouvrent devant nous dans un autre opus, qui sait ?
Dans tous les cas, écrire des textes sur des concepts travaillés ensemble et mis en musique par J a été une expérience fantastique !

8. Tu t’occupes des vidéos et des visuels pour mettre en avant le groupe, est-ce que cela a été difficile de renoncer aux facilités proposées par l’IA ?
[J] : L’IA est un sujet clivant, mais je la vois avant tout comme un outil, utilisable dans un processus créatif ou décisionnel, à condition d’être encadrée et utilisée avec une grande mesure et beaucoup de précautions. Le véritable problème reste humain : de la conception des algorithmes, souvent nourris de données pillées, à une utilisation qui tend facilement à remplacer l’imagination, le libre arbitre et l’autocritique.
Pour les visuels d’ORBITAL DECAY MMXXIV, mon travail repose sur la retouche et l’assemblage d’éléments graphiques existants et libres de droit. Je n’ai ni le talent d’un artiste pour dessiner, ni celui d’un codeur pour prompter.
9. Ce premier album est signé chez l’Ordalie Noire, comment cela s’est-il fait et qu’attends-tu de leur part ?
[J&K] : La signature avec L’Ordalie Noire s’est faite naturellement après l’envoi de la préproduction. Leur éthique, leur structure et la cohérence de leur roster en faisaient un choix évident pour ORBITAL DECAY MMXXIV. Le label repose sur une équipe de passionnés, engagés à soutenir leurs groupes et leurs projets artistiques. C’est une opportunité précieuse de diffuser notre musique tout en préservant notre vision.
Encore merci à eux pour leur confiance.
10. La musique d’Orbital Decay MMXXIV me semble adaptée au live, mais cela semble difficilement compatible avec votre variété de vocalistes. Le passage en live avec un line-up adapté est-il envisageable ?
[J&K] : Pour l’instant, il n’est pas prévu de transposer ORBITAL DECAY MMXXIV sur scène. La diversité des vocalistes rend effectivement l’exercice plus délicat. Cela dit, il ne faut jamais dire jamais. Si les conditions adéquates se présentent un jour et que l’opportunité fait sens artistiquement, nous envisagerons peut-être un format live adapté.
11. Je te souhaite le meilleur pour cet album et vous laisse le mot de la fin.
[J&K] : Merci pour l’intérêt porté à ORBITAL DECAY MMXXIV. Cet album est une plongée dans l’abîme, une ode à la décrépitude du monde et à la désillusion. Que chacun y trouve son propre écho, qu’il soit un exutoire ou un miroir. Le déclin est en marche, et nous en sommes les témoins.
