Chronique et interview par François Kärlek

Il y a des albums qui me font comprendre pourquoi j’aime profondément le Metal extrême.
« Euch’Mau Noir » du groupe GALIBOT, s’inscrit dans cette lignée de ceux qui me font vibrer, me filent des frissons, me transportent vers d’autres sphères que celles du quotidien.
C’est cela que je cherche dans les œuvres en général et que je retrouve parfaitement ici, dans cet album de la trempe de ceux que je réécouterai sans doute ad vitam aeternam avec autant de plaisir.
Pourtant cette sortie s’est faite assez discrète, qui plus est dans cette période de fin d’année ou de nombreuses rédactions sont souvent trop occupées à préparer leur top de fin d’année pour se pencher sur des nouveautés. J’ai donc eu de la chance de tomber dessus tant il mérite largement sa place dans notre futur bilan de 2024 qui fera, vous vous en doutez, la part belle au Black Metal à la française, et dans notre cas précis au Metal de Ch’nord.
Les plus cultivés (ou plus modestement ceux qui viennent de cette région) auront reconnu que le titre est en ch’ti et que le nom du groupe est celui des enfants employés aux travaux souterrains, des « mineurs mineurs » en quelque sorte (oui j’ai osé la faire, de rien c’est cadeau, c’est bientôt Noël après tout).
On retrouve ce thème fort, profondément ancré dans la culture et le quotidien des membres du groupe, à travers les 5 morceaux (hors intro) qui évoquent plusieurs aspects de la vie dans le bassin minier.
Les Chevaux de Fosse, destinés à passer leur vie dans de sombre boyaux à charrier du charbon, la catastrophe de Courrières (plus de 1000 morts) qui eut des répercussions politiques et sociales débouchant sur la loi du jour de repos obligatoire, Barbara ou Sainte- Barbe la patronne des métiers en rapport avec la foudre, le feu et les morts brutales : mineurs, canonniers, pompiers etc… et enfin Les Nords et Terre d’Euch Mau qui évoquent d’une manière plus générale le travail à la mine, le sacrifice des générations pour exploiter la terre et l’attachement viscéral à celle-ci.
Visceral, voilà le terme qui vient immédiatement à l’esprit, tant le Black Metal pratiqué ici s’avère puissant, galvanisant, et se révèle la meilleure forme pour transcender son sujet et toucher à des sensations indicibles. On parle ici de sacrifice de générations condamnées dès leur naissance à effectuer des tâches difficiles, répétitives et mortelles (sur le long terme avec les maladies pulmonaires ou plus brutalement lors des fameux coups de grisou). Ce n’est pas pour rien que Germinal est évoqué dans Terre d’Euch Mau, en tant que classique qui retranscrit parfaitement ce sentiment d’enfermement mental et physique des ouvriers auxquels aucun choix n’était laissé.
On ressent clairement cette fatalité dans les blasts nombreux et la densité du propos musical porté par une production étouffante, appuyée sur duo batterie (programmée) et basse sans concession fournissant un substrat délibérément violent et inéluctable.
Heureusement les compos sont aérées par de nombreux changements de rythme, telle l’intro de Cheval de Fosse, ou le colossal break central de Courrières. Un autre aspect notable provient des guitares, rythmiquement très poussées d’une part, et proposant de superbes leads comme sur l’ouverture de Les Nords. La texture sonore est palpable, rugueuse, abrupte mais parfaitement maîtrisée. Il y a du Forteresse (fer de lance du Metal Noir canadien) dans le riffing, les tremolos, et le traitement des aigus, ce qui rend la richesse des mélodies parfaitement délectable tant elles sont affutées.
Côté chant, celui-ci est principalement assuré par une chanteuse, mais doublé par moments, et m’a fortement rappelé ce que peut proposer Houle en termes de saturation et variations, avec ce que j’appellerais cette « voix de sorcière », éraillée, hargneuse, mais néanmoins féminine, et présentant cette faculté si particulière de rendre parfaitement intelligibles la plupart des paroles malgré la fureur et les cris.
Mais tout cela ne serait rien sans les moments de grâce que propose cet album, de ces passages qui justifient à eux seuls d’écouter maintes fois les morceaux :
La relance centrale de Nord sur un beat quasiment électro avec ces accords grisants relançant le riff d’ouverture du morceau.
Le passage doom avec arpèges très subtils de Terre d’Euch Mau lorsque le texte évoque« Bachelet, Le Plat Pays, Germinal » et que la rythmique s’étoffe progressivement.
Enfin le magnifique passage qui fait de Barbara mon morceau préféré : ce final avec des chœurs et mélodies qui touchent au sublime, démarrés sans batterie puis portés par un blast imparable. Un moment grandiose et touchant.
Vous l’aurez compris, Galibot se fait au regard de ses qualités une place bien au chaud parmi les meilleures sorties de Black Metal de cette année, de celles que l’on écoutera encore dans 10 ans avec cette éternelle sensation de flirter avec la transcendance.

Bonjour Galibot, votre démo Wallers-Arenberg date de 2022, je suppose que le groupe a dû se créer 1 ou 2 ans avant. Galibot est-il un « enfant du Covid » ?
Thomas : En effet, le groupe a vu le jour pendant le COVID, mais sous la forme d’un one-man band. J’avais depuis longtemps envie d’écrire de la musique sur ma région natale, et son histoire minière. J’ai profité d’un split avec d’autres projets expérimentaux (plus ou moins sérieux) pour faire paraître un premier morceau, à des années lumières de ce que l’on propose aujourd’hui ; une composition à mi-chemin entre crust-black et punk. Celui-ci s’appelle Coup de Grisou et peut-être découvert sur Grind the Coal – 4 – Way Split. Si vous parvenez à le retrouver, je vous offre un CD d’Euch’Mau Noir ! Car même moi je l’ai perdu dans les méandres d’internet. Bref, c’est après quelques mois que l’idée d’en proposer une suite s’impose. Nous sommes en temps de COVID, et il faut croire que l’esprit créatif est alors stimulé ; je décide de tendre une main artistique à deux amis qui souhaitent faire de la musique et dont j’estime la curiosité et la culture musicale. Que l’on s’entende, cela ne suffit pas à faire d’eux des musiciens ; mais tous deux ont une fibre artistique qui me prête à penser qu’ils sont une matière à modeler et à sublimer. Ainsi Agathe propose une voix avec une identité forte, et Clément, en plus de son jeu de basse, suggère de nombreux détails de composition. Ainsi naquit la démo Wallers-Arenberg.
Vous êtes 3, Agathe (chant) Clément (Bass) et Thomas (chant guitare batterie compo). Comment vous êtes-vous rencontrés ? Certains d’entre vous avaient-ils déjà joué ensemble dans d’autres projets ?
Thomas : Je dirai que depuis l’album nous sommes plutôt quatre ! Un autre acteur de l’ombre dont la contribution n’est pas moindre puisqu’il s’agit de Julien Baquero, tête pensante du groupe Virgil et aux commandes du Minotaure Studio et de Stratos Merch. Ce n’est pas rien de citer toutes ces casquettes, c’est dire à quel point son rôle dans le groupe a été pluriel. C’est lui qui nous a enregistrés, qui a fait la batterie studio, qui nous a aussi guidés dans le processus de création de merchandising. Pour revenir à la question, nous sommes tous issus de cette tentaculaire scène du Metal du Nord ; en tant que spectateur avant tout, nous nous sommes rencontrés via les événements, les connaissances, les soirées… Finalement, on connaît tous un tas de types en commun, et un jour on se trouve tous réunis autour d’une table et c’est une amitié nucléaire qui se forme. Notre première collaboration artistique commune fut alors Galibot.
Le nom du groupe, vos visuels et textes rendent tous hommage au quotidien des mineurs et à la région dont vous êtes originaires. Cet héritage minier fait-il partie de vos racines en tant qu’individus ? Avez-vous fait des recherches pour les textes où maîtrisiez-vous déjà toute cette « culture » sur le sujet ?
Thomas : Nous sommes tous issus du bassin minier. A l’heure où j’écris ces lignes, je vois par ma fenêtre les chevalements qui habillent la pochette de Wallers-Arenberg ; c’est la ville où je vis. Nos grands-parents pour certains ont travaillé pour les mines ; non pas comme mineurs, mais dans les divers secteurs qui gravitent autour. Ainsi, nos enfances ont été ponctuées de récits, de balades aux abords des anciens puits, ou encore de conversations en patois. Nous avions donc un terrain favorable et des ressources conséquentes pour se frotter à ce vaste sujet qu’est l’Industrie Minière. Piocher dans nos souvenirs, regarder autour de nous, visiter ces lieux d’histoire, de mémoire et de culture. Mais il est évident que cela ne suffit pas ! Galibot n’est pas un cours d’histoire, encore moins un manifeste politique – c’est un Black Metal régional qui suinte une ère industrielle et infernale. Pour décrire au mieux cela, retranscrire au mieux ces destins, ces événements et cette atmosphère, il a été essentiel de lire, de s’interroger par les reportages, d’être attentif aux témoignages et de plonger les nez dans les archives. Le titre Courrières par exemple, évoque cette catastrophe historique, et donc les conséquences politiques et sociales sont encore d’actualité ; c’est du fait de cet événement que dans une République laïque vous continuez de jouir du repos dominical par exemple. Ces traits d’histoire et de culture vont de pair avec un investissement dont le moteur est la curiosité.
Clément : Mon grand-père a été au fond pendant 5 années ; c’est une petite carrière mais qui reste significative !
@Thomas : musicalement, le sens de la mélodie est très développé mais on est clairement sur des terres de Black Metal, très dense, avec entre autres beaucoup de blasts. Selon toi qu’apporte le Black par rapport à d’autres styles ?
Thomas : Le Black Metal n’est pas une musique que l’on peut embrasser aisément – je pense qu’il faut d’abord se frayer un chemin pour que l’oreille s’assouplisse progressivement et sache encaisser une telle nervosité de composition. Mais c’est justement pour cela qu’elle est intéressante ; elle repousse les limites du dicible ! On a beau écrire les textes les plus littéraires, parfois les mots ne suffisent pas. Le chant crié, les guitares sciantes, les blasts frénétiques ; tous ces éléments élargissent le spectre du dicible et des sentiments bien plus durs, viscéraux et intenses transcendent. Quand on s’intéresse au Black Metal, on comprend que c’est une musique de l’extrême. Il suffit de regarder les thèmes abordés : religion, misanthropie, satanisme, histoire des guerres, quête cosmique, philosophie, etc… La liste est longue, mais les sujets explorés sont toujours complets, compacts, intenses et souvent insaisissables. Cult Of Fire nous parle des rituels hindouistes les plus obscurs, Der Weg einer Freiheit de philosophie de la vie et de la mort, Mgla du nihilisme ; bref ! Nous, nous vous parlons de l’industrie minière ; une époque de labeur dans des conditions de travail extrêmes qui employait des familles entières pour faire respirer un pays : un poumon économique au détriment du poumons des êtres qui y creusent la terre noire. Le Black metal ne pouvait qu’accueillir ce sujet infernal dans la région fiévreuse du Nord de la France.

D’où te vient ton inspiration ? Comment composes-tu et comment impliques-tu Agathe et Clément ?
Thomas : On s’inspire de nos pairs et de nos pères ; la musique est un art abstrait mais qui, comme la poésie, saisit la métaphore. Alors, la bruine, le froid, la brume, les terrils (ces montagnes artificielles, les chevalements de fer et les corons, stigmates du passé minier du Nord ne cessent d’inspirer. Puis, il y a aussi les artistes et bien au-delà de la scène Black Metal. Nous avons tellement de bons groupes qui proposent des compositions et des concepts hors des sentiers battus. Car bien que le Black metal soit une question de tradition et de code, j’estime qu’il est de bon ton d’être créatif et d’explorer de nouveaux horizons thématiques et parfois de nouvelles sonorités. J’adore les groupes tels que Time Lurker, Étoile Filante, Blut Aus Nord ou encore Deathspell Omega. Parfois je me surprends à analyser la façon dont est écrite leur Black Metal, typologie de son, architecture du morceau, symbiose des guitares…. Puis, c’est encore une fois la curiosité qui est le meilleur moteur d’inspiration! Littérature, cinéma, architecture, peinture… Les arts ne sont pas imperméables.
@Agathe : ton chant, remarquable, me fait penser à celui d’Adèle de Houle pour les parties les plus agressives, ce qui est un très gros compliment venant de ma part. Comment as-tu travaillé ta technique ? Est-ce que tu « t’éclates » au chant saturé (par rapport à tes autres projets) ?
Agathe : Merci ! En effet, je trouve que nous avons à peu près le même type de voix. J’y suis parvenu non pas sans mal, je ne peux pas dire que j’ai un parcours très académique dans le chant. Mais ça a été le fruit de conseils d’amis chanteurs, de tutos Youtube et surtout de beaucoup d’entraînement en posant sur des morceaux que j’aime ainsi que sur quelques feats sur lesquels on m’a fait confiance ! Aujourd’hui c’est indéniablement au chant saturé que je m‘éclate le plus en effet, et j’ai hâte de l’améliorer et de lui apporter plus de nuances.
@Clément : peux-tu nous préciser ton parcours et la façon dont tu vois le rôle de la basse au sein de Galibot ?
Clément : Je suis loin d’être un bassiste exceptionnel, mais j’ai des bases. Pour Galibot, j’ai dans un premier temps réfléchi à des lignes de basse que Thomas et Julien ont retravaillées au studio de façon à avoir plus de profondeur, de lourdeur et de groove. J’espère un jour atteindre le niveau de Alex Webster de Cannibal Corpse !
@Thomas : La batterie me semble programmée, ce qui ajoute un côté froid et martial aux compos. Envisages-tu un vrai batteur un jour ?
Thomas : En effet, parfois dans la contrainte on parvient à souligner un propos. Je voulais une batterie plus ambitieuse, qui serve justement le travail de composition. Et voyez-vous, trouver un batteur n’est pas une mince affaire et dans ce style encore moins. Je suis parfois envieux de ces groupes qui dénichent des batteurs pépites ! Ce n’est pas le cas de Galibot, et peut-être que c’est tant mieux sur cet album. Je ne dis pas que ce serait viable à long terme, mais du moins sur cet album nous avons pu suggérer ainsi un côté mécanique, infernal, industriel qui sert parfaitement le propos. Il existe des groupes qui enregistrent de la sorte ; Darkspace ou encore Limbe (ex-Blurr Thrower) si je ne m’abuse. J’aimerais à l’avenir avoir un batteur qui apporte son identité par un jeu qui lui est propre.
@Thomas : peux-tu présenter tes autres groupes (anciens comme « à la Lanterne », actuels, futurs) et préciser comment tu places Galibot en termes de priorité ?
Thomas : J’ai plusieurs projets musicaux pour lesquels je compose tout : A La Lanterne fut le premier de tous, et somme toute assez candide. Ceci dit, il a été mon étrier dans la scène Black Metal. Viens alors Supralunaire, un projet laboratoire et expérimental. J’y essaye des sons, des compositions qui mélangent des influences de tous horizons. C’est aussi l’occasion de partager une œuvre musicale avec des amis comme ça a pu être le cas avec Joyeuse Mort ou encore Sinistre Rose, groupe de Cold-Wave dont Agathe chanteuse de Galibot fait partie. Un prochain Supralunaire ne saurait tarder par ailleurs ! Enfin, je vous en donne l’exclusivité ; un projet Dungeon Synth est en préparation.
Comment s’est mis en place le travail avec Minotaure Studio ? Quels étaient vos impératifs sur le rendu final de cet album ?
Si l’album sonne comme tel, c’est grâce à l’oreille passionnée et professionnelle du Minotaure Studio ! Nous avons travaillé avec pour l’enregistrement, le mix et le mastering. Durant nos sessions d’enregistrement, nous avons expérimenté de nouvelles idées. Je voulais un album qui procure une myriade de sentiments et de sensations vertigineuses. D’une part, très mécanique comme cette industrie minière. D’autre part, qu’il puisse suggérer dans l’imaginaire de chacun, des paysages et des décors, des figures, et cela passe par les paroles auxquelles nous avons attaché beaucoup d’importance. L’album est par ailleurs assez froid. C’était aussi une volonté ! Mais je pense que ce qui tient l’écoute en haleine, ce sont toutes ces leads qui apportent des mélodies fortes.
Envisagez-vous de faire du live ?
Je vous répondrai, oui mais sans vous en dire trop. Ce que je peux vous assurer, c’est que c’est en préparation.
Votre thème est très spécifique, pensez-vous garder le même sur vos futurs albums ?
Quand on s’engage dans un thème comme celui-ci, on peut penser que le projet est en quelque sorte condamné ; viendra un temps où l’on aura fait le tour du sujet. Et pourtant, bien que l’histoire et le Nord ne soient pas extensibles à l’infini, le sujet de l’industrie minière se veut bien plus complet et complexe qu’il n’y paraît. En effet, l’exploitation minière est encore une réalité dans bien des pays ; Brésil, Canada, Afrique du Sud. On peut imaginer délocaliser Galibot. Puis, d’un sujet aussi sombre à des réflexions philosophiques il n’y a qu’un pas. Plonger dans nos corps silicosés et nos esprits vidés de toute essence, en voilà un sujet Black Metal.
Agathe, Clément, Thomas, en tant qu’auditeurs quels sont vos albums de chevet ? Ecoutez-vous des nouveautés et avez-vous eu des coups de cœur en 2024 ?
Agathe : Toujours difficile de répondre à cette question ! Je vais donc me contenter de citer les nouveautés qui m’ont plus cette année : l’excellent Coma de Gaerea, j’ai aussi beaucoup aimé Beneath the Threshold d’Austère et enfin Songs of Blood and Mire de Spectral Wound.
Clément : Cette année, je suis tombé amoureux du premier album de Hauntologist et du dernier album de Marilyn Manson. En général, j’essaie de me tenir informé de ce qui se fait dans la scène underground black et death. Et à mon chevet, j’ai toujours un album de Sup/Suppuration.
Thomas : Deux albums trouveront toujours leur place dans ma discothèque : Exercises In Futility de Mgla et Algleymi de Misþyrming. Puis, j’ai beaucoup apprécié le premier Hauntologist cette année, au même titre que tous les projets qu’entreprend “Michał Stępień aka. The Fall”.
On vous laisse le mot de la fin.
Thomas : Faites prospérer la scène du Nord de la France !
Clément : Rock’n Roll !
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