
J’aime les festivals. Tu prends ta dose de concerts, tu vas voir des groupes que tu apprécies ou que tu découvres pour la première fois mais tu rencontres également des personnes qui n’auraient pas croisé ta route dans ta ville de résidence. Ce fut le cas au Hellfest cette année, qui a été particulièrement riche en tout point pour ma part. C’est sur le stand des Editions des Flammes Noires que j’ai fait la connaissance de Ryujin, fondateur de Funayurei. Nous avons échangé un moment et il m’a parlé de son album Soleil Brisé, sorti en 2022 chez Drakkar Production.
Je suis rentrée à Paris avec son album dans la poche et la curiosité de découvrir son univers. L’album se compose de 5 titres dont 1 instrumental au sein duquel nous cheminons aux côté d’un personnage survivant d’une apocalypse, qui va nous faire partager ce qu’il voit et ressent au beau milieu de ce champ de ruines et de désolation. Musicalement, Soleil Brisé s’inscrit dans un Black Metal mélodique, fort bien composé et sur lequel viennent se poser des textes extrêmement forts que Ryujin met en voix avec beaucoup d’intensité. L’ensemble forme un album chargé émotionnellement, où l’on ressent toutes les inquiétudes, la tristesse, la désolation et la colère de cet homme perdu dans ce paysage dévasté. Ces sentiments vont crescendo jusqu’à la dernière note avec un titre final grandiose à vous donner la chair de poule. J’attache une très grande importance aux émotions et cet album, que je trouve particulièrement réussi, a su me toucher le cœur et les tripes. Soleil Brisé mérite qu’on lui prête une oreille attentive.
Qui mieux que Ryujin pour nous parler de Soleil Brisé et de sa conception ? SBUC a pu lui poser quelques questions que voici :
Ryujin, peux-tu te présenter ? Ton parcours musical ? Tes influences ?
Bonjour à toi. J’approche dangereusement de la quarantaine et je vis dans la région Toulousaine. J’ai un parcours classique je dirais, de la découverte du métal par Metallica et assez rapidement du BM par Immortal. Je suis passé par Cradle of Filth, Dimmu Borgir et j’ai posé les valises sur Burzum. Je pense qu’il y avait tout. Ensuite je me suis intéressé à la scène Française. C’était au début des années 2000, il y avait plein de groupes à découvrir.
Côté instrument, j’ai commencé avec la guitare. Après différents courts projets avortés en groupe, j’ai décidé de faire tout moi-même, d’apprendre la batterie, le chant. J’avais plusieurs compositions à l’époque et j’ai tout abandonné. Pour plus ou moins laisser ça en sommeil presque 15 ans… Après avoir repris un peu la composition et avec l’impulsion de mon ami de longue date, Silmar, j’ai repris la composition sérieusement pour faire aboutir le projet.
Les influences, je dirai Burzum, Arckanum, Gorgoroth, Arkha sva, Mutiilation, Celestia, Délétère, Summoning. Il y a aussi l’influence de la musique ambiante de manière générale qu’elle soit de films ou de jeux vidéo. Avec moi, si tu arrives à faire une musique épique et tragique alors souvent je suis conquis !

Peux-tu nous parler de l’histoire de Soleil Brisé et de sa conception ?
L’album a été composé pendant l’année 2020 et début 2021, je n’avais pas trop de barrières. Une envie d’avoir ma patte à moi. Un black métal mélodique, des tempos rapides et d’autres plus lents, des arpèges, du saturé, du clair, etc… Je commence souvent par composer la guitare rythmique, puis je m’occupe de la partie lead. C’est à l’image que je voulais. Je suis content et fier du résultat.
Par la suite, une fois la partie composition terminée, j’ai fait appel à Silmar pour qu’il s’occupe des paroles. J’ai juste demandé une histoire qui se suive et le reste c’était libre. Donner vie à l’histoire de ce survivant après une guerre post apocalyptique m’a renvoyé directement au livre Hiroshima de John Hersey que j’étais en train de lire. J’ai voulu retranscrire au mieux les émotions des paroles avec le ressenti du livre. Je trouve que c’est un plus si on est francophone de pouvoir suivre l’album avec les paroles.
Ryujin (dragon-dieu de la mer), Funayurei (dans le folklore japonais, sont des esprits marins vengeurs, un peu des pirates fantômes), Hiroshima… As-tu des attaches particulières avec le Japon ?
Oui je suis assez connecté depuis longtemps avec ce pays entre tradition et modernité. C’est venu je pense par mon intérêt pour l’histoire du pays avec ses samouraï et shinobi ce qui amène au Bushido, les croyances Shintoïsme, les yamabushi, le folklore avec les yokai, yurei etc… La culture japonaise contamine beaucoup de monde par le manga, son cinéma, l’origami, ses estampes, sa gastronomie ou bien ses jeux vidéo. A côté de ça, ils vivent continuellement avec des tremblements de terre rien que dans les dernières 24 h (ndlr nous avons correspondu en septembre 2024) il y a eu 18 séismes d’une magnitude allant jusqu’à 5.7, je trouve ça fascinant. Je vais terminer par la musique, beaucoup connaissent les compositions de Joe Hisaishi, ou Nobuo Huematsu, mais ils ont également du black métal de grande qualité avec des groupes Le collectif AAAA avec Arkha Sva en tête, Kanashimi, Endless Dismal Moan mais également sur Drakkar chez qui j’ai pu découvrir Izumo et 侍 (le samurai) On peut remercier aussi Sakrifiss de nous faire découvrir par sa chaine Youtube des groupes japonais.
Comme tu le disais plus haut, après avoir vu les textes de Silmar, tu as fait un parallèle avec le livre de John Hersey. On suit donc un hibakusha (survivant) tout au long de l’album, une histoire en 5 titres (dont 1 instrumental). Peux-tu nous éclairer un peu ?
L’histoire de l’album ne donne pas d’indication géographique mais cela pourrait être effectivement un hibakusha. Le premier titre pose le décor et la vision du survivant sur ce monde effondré. C’est le chaos et il ne semble pas y avoir de solution pour trouver un refuge. Nous allons vers une descente progressive vers le désespoir de la situation. Malgré un second titre ou l’instinct de survie veut prendre le dessus et vouloir faire partie des derniers, il faut toujours trouver des buts pour aller de l’avant. Le troisième titre illustre le traumatisme et l’incapacité du survivant d’oublier ce qui s’est passé. Les deux derniers titres illustrent le chemin progressif vers la fin qu’a choisi le protagoniste. Le désespoir et la fatigue de vivre dans ce monde mort sont trop lourds pour lui.

Comment oublier..est le titre instrumental évoqué ci-dessus, je le trouve d’une intensité remarquable ! C’est un peu comme si le Survivant était partagé entre d’un côté la quiétude d’un moment devant un feu de cheminée et de l’autre, l’horreur de ce qui se passe autour de lui et qui se résigne à sa funeste fin. Ce titre met l’auditeur en apesanteur. Comment l’avez-vous composé avec Silmar ?
Tu as parfaitement résumé et compris ce que je voulais faire avec ce titre. Je voulais mettre un moment de calme au milieu de l’album et j’ai eu cette idée de faire ces arpèges ambiance au coin du feu. Et puis il y a ce moment où tout s’arrête avec la bombe… Et j’ai demandé à Silmar, qui maîtrise les synthétiseurs modulaires, de me faire ce fameux bruitage pour illustrer musicalement la radiation La musique reprend mais fait partie progressivement du souvenir écrasé par le traumatisme de ce qui s’est passé. C’est aussi un titre où l’on entend le plus des effets sur le son clair, ce que je compte garder et varier pour la suite.
J’en profite pour dire que Silmar a aussi son projet personnel qui s’appelle Ouranos qui mélange justement le Black métal et le modulaire allez jeter une oreille, le dernier album s’appelle Voir la lumière, c’est excellent.
J’aimerais aborder avec toi ton choix du chant en français, ce que j’apprécie particulièrement. Penses-tu qu’il est plus aisé de composer et chanter dans notre langue plutôt que l’anglais ? Est-ce que les émotions sont plus facilement transmissibles lorsque l’auditeur en est familier ?
Le travail est différent pour le chant car on n’articule pas de la même manière que pour l’Anglais. Je ne pense pas que cela soit plus compliqué, c’est une question de choix. Je trouve de manière générale plus intéressant d’entendre les groupes chanter dans leur langue maternelle. Pour moi, c’est plus authentique pour exprimer les émotions. Cela m’a permis d’incarner au mieux ce que l’histoire raconte. Exprimer les moments de folie, de déception mais aussi plus conquérants comme sur la fin du second titre. C’était personnellement particulièrement intense de terminer le dernier titre par le suicide. Quand je m’intéresse à un groupe et que j’achète un album, si ce n’est pas ma langue, je vais souvent aller prendre du temps pour traduire et ensuite écouter les sonorités propres à cette langue. L’important pour moi c’est de mettre les émotions dans la voix, que l’on comprenne ou non les paroles il faut que ça ne soit pas monotone.
Je trouve que le titre Délivrance, de par sa sonorité et son phrasé sonne très « baudelairien » notamment par la construction et l’intonation du texte mais aussi du fait de sa relation avec Dieu qu’il percevait comme injuste d’avoir abandonné les hommes (Rotting Christ a chanté Les Litanies de Satan, si Baudelaire avait été encore de ce monde, il aurait porté aux nues Délivrance). Etait-ce un peu ce que tu voulais raconter dans ce titre ou suis-je complètement à côté de la plaque ? Et pour info, on retrouve également Sol pour les chœurs et Jhaelen pour le chant additionnel sur ce titre
J’ai laissé la parole à Silmar pour te donner sa vision : « Le personnage est submergé par l’écart insupportable entre les promesses de la religion et la réalité qui s’impose à lui. Mais il voit aussi un idéal de sacrifice qui le charme. J’aime cette idée d’un homme qui a survécu à tout, puis qui se suicide par défi, autant pour cracher au visage d’un monde mourant que sur l’au-delà. »
J’en profite ici vu que tu as l’air d’apprécier les paroles que Silmar a écrit trois livres chez les éditions Astrobelarra, Cartographie des ecchymoses, L’horizon des événements et Mémoires vives. Je ne suis pas trop un adepte des romans et j’ai pourtant dévoré les trois livres rapidement. Il a un style très fluide, on prend plaisir à suivre ses histoires, il y a de l’humour, des anecdotes historiques, scientifique et on a aussi des clins d’œil sur du BM.
Pour ce qui est de la collaboration avec Sol j’ai fait appel à elle pour le chœur, je voulais un final plus religieux, la scène se passant dans une église. J’avais en tête un exemple qui était Shadowlord sur la BO du jeu Nier. Je voulais un mélange entre la violence de la situation et le salut du survivant. Jhaelen est un ami avec qui je fais des répétions où nous faisons essentiellement des reprises de BM et où l’on joue également mes compositions que je puisse avoir une vision du rendu. Je suis content de cet échange sur ce titre comme de celui que j’ai avec Silmar sur la fin du second titre.

On ressent une vraie charge émotionnelle dans ta voix en écoutant Soleil Brisé. Comment as-tu appréhendé ou travaillé cette facette pour que l’auditeur puisse ressentir ces sentiments ?
Merci à toi pour tes ressentis. Le chant c’est un des éléments les plus importants à mon sens dans le Black métal. Un mauvais chant peut te faire sortir d’un album malgré des bons riffs derrière. Et au contraire, te faire adhérer à un groupe car justement il est en adéquation avec le reste de la musique. Pour ma part, c’est venu assez naturellement. Il n’y eut que deux prises de chant par titre. Je savais ce que j’avais à faire. Mais j’ai laissé de la place à l’improvisation au moment d’enregistrer. De manière générale vu le temps que je passe pour composer et faire que tout soit au mieux, il serait dommage de faire simple un chant sans personnalité alors que tu demandes à une personne de s’investir pour te faire des paroles. C’est aussi un engagement que je prends pour incarner au mieux ce qui est écrit. Mais je compte bien m’améliorer pour le prochain album, j’aimerais aller plus loin là aussi.
Ta musique sonne très BM années 90 du fait des thématiques abordées mais tu y as apporté une certaine modernité. Soleil Brisé est produit par Drakkar. Comment s’est passé votre collaboration ? Est-ce toi qui les avais choisis ?
C’est une chose sur laquelle je ne m’interroge pas trop concernant si je sonne plus 90, 2000 etc… Ayant commencé à écouter du BM début 2000 j’avais du choix entre la seconde vague et ce qui était d’actualité. J’écoute également des groupes d’aujourd’hui, donc il y a forcément des influences de toute période. Je ne pense pas particulièrement sonner années 90. Cela est toujours gratifiant d’être rattaché aux légendes nordiques mais je me trompe peut-être mais je pense qu’il y a une approche plus moderne et variée que le début 90. Ce que j’ai par contre gardé c’est le corpse paint.
Drakkar était dans les labels en tête de liste pour moi. Noktu m’a répondu rapidement, c’était dans un premier temps compliqué de sortir l’album rapidement au vu des sorties déjà prévues par le label mais j’ai fait le choix d’attendre et de sortir l’album chez Drakkar. Quand j’ai commencé à m’intéresser au black metal français, il y avait beaucoup de production de chez Drakkar et de chez Osmose. Je pense qu’on leur doit beaucoup pour la diffusion de ce style musicale chez nous. Et puis Drakkar a dans son catalogue produit des albums de groupes japonais comme Hakuja ou Anguis Dei ou Diabolos donc raison de plus ! Noktu et Fabien sont pros et disponibles. Et c’est Noktu qui m’a proposé que le label s’occupe de l’artwork de l’album, c’est une chance également.

Peux-tu nous dire qui a fait l’artwork de ton album ?
C’est Fabien qui travaille donc chez Drakkar production qui s’est occupé de l’artwork. Il est également la tête pensante de Certa Mortis, Grand Masel et au chant Antropophago si vous aimez le Death metal technique. C’est une personne sérieuse et passionnée. Il a fait également du mixage d’album pour des groupes comme Epheles et Cachot d’effroi. Bref une personne discrète mais pourtant qui mériterai d’être plus connue pour ce qu’elle fait dans l’ombre et dans ses projets musicaux ! Pour ce qui est de l’artwork, Fabien a été assez libre, je pense. Je voulais de la forme géométrique, il avait la musique et les paroles donc après c’était suivant ce que lui a inspiré l’album. Il m’a proposé plusieurs artworks et j’ai accroché avec ce décor et cette couleur rouge. Il a rajouté ce soleil « brisé » et c’était parfait. Ça donnerait sûrement super bien sur une pochette de vinyle… Un jour peut-être… Je pense que cela représente bien l’album. J’aime l’esthétique entre les formes géométriques et les traits qui vont vers ce soleil. Elle est mystérieuse, et on a envie de connaître la nature de ce soleil.
Soleil Brisé est un album très abouti qui a reçu un excellent accueil auprès du public. As-tu eu l’occasion de le jouer sur scène ? Si non, pourquoi ? Si tu pouvais choisir tes musiciens pour une date unique, avec quel artiste rêverais-tu monter sur scène ?
Bien que je n’aie à ce jour pas reçu de retour négatif, je n’ai pas l’impression d’avoir touché beaucoup de monde avec ce premier album. Mais je pense que c’est aussi une question de visibilité. Il y a tellement de sorties chaque année qu’il est difficile de faire sa place. Avec le temps et peut être aussi grâce à des gens comme vous, le groupe touchera plus de monde. Il faut aussi souvent plusieurs albums pour se faire connaître. Je ne prévois pas de faire des concerts pour le moment. Si un jour il y a de la demande alors nous verrons bien. Il faut trouver les musiciens pour m’accompagner et j’aimerai un show soigné visuellement. Une date unique avec une dream team ? Bonne question… c’est difficile… ça serait un honneur d’avoir avec moi Vindsval de Blut aus Nord, Stefan Kozac de Mystic Forest pour les guitares, Corven de Nehemah à la basse et Morgan d’Abduction à la batterie.
Un nouvel album est-il en préparation ? Quels sont tes projets en cours (musicaux ou autres) ?
Oui je viens de terminer le troisième titre du prochain album, j’ai repris la composition essentiellement que cette année. C’est très plaisant de s’atteler à faire une suite j’ai pas mal d’idées et ce qui est pour le moment composé me plaît beaucoup. Il y a plus de guitare et d’ambiance. Après la partie composition, je voudrais travailler plus mon son, et peut-être aussi cette fois avoir un batteur de session. Nous verrons bien la suite.
En parallèle j’ai commencé un groupe en duo qui mélange le black métal et l’ambiant. Chaque titre a un thème basé sur une émotion essentiellement de peur et on l’illustre musicalement. J’ai commencé à apprendre le piano depuis quelques temps, donc je mets à profit tout ça sur ce projet. Par contre pas de projection sur une sortie, on verra comment cela avance. Il y a un second titre en préparation pour le moment.
Tous les artistes que nous interviewons chez Satan ont le mot de la fin. C’est à toi !
Merci à toi pour cette interview et pour l’intérêt que tu portes à Funayùrei et longue vie à Satan bouche un coin.
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