Chronique et interview par François Kärlek

Satan Bouche un Coin s’y attelle régulièrement et il est désormais de moins en moins à prouver que le Metal au sens large s’imbrique avec la littérature.
Des auteurs (Tolkien, Lovecrat, Baudelaire…) inspirent des albums, et à l’inverse des albums se déclinent en roman ou essais (Les enfants de Dagon, Ecr. Linf).
Comptant parmi les auteurs qui baignent dans le Metal (Cedric Sire, Philippe Saidj, Christian Guillerme, Thomas Ponté…), Valérie Stein a son mot à dire.
Et si elle n’a sorti qu’un seul roman à l’heure actuelle, celui-ci nous a suffisamment marqués pour affirmer que cette Autrice est définitivement à suivre.
MASCA, premier roman, embrasse avec finesse de nombreuses thématiques.
Damien, photographe amateur de Metal, vit à Lyon.
Il a une petite amie et sa vie semble prendre des chemins très balisés jusqu’à ce qu’un coup de foudre chamboule ses certitudes.
Une mort mystérieuse suit peu après et le quotidien déraille…
Schizophrénie, deuil, sont abordés dans ce roman dont les pages sont hantées par les fantômes du passé.
Le lecteur accompagne Damien dans son exploration des frontières du surnaturel, de manière introspective ou à travers diverses rencontres, la plus marquante étant cette d’Henri, vieux monsieur dont la vie a été bouleversée par des traumatismes connectés à ceux de Damien.
Le style est fluide, limpide, naturel, et enveloppe le lecteur comme le ferait une douce mélopée.
Pourtant la tâche n’était pas facile car le roman est assez complexe et multiplie des chronologies parallèles et flashback pour mieux éclairer le lecteur et imbriquer entre eux des évènements de différentes époques.
La découverte de ces ramifications et éventuels faux-semblants est extrêmement agréable, délicatement rythmée sans heurts, portée par une plume en totale adéquation avec l’ambiance assez gothique du roman.
Il est toujours difficile de donner envie sans trop en révéler, mais sachez que Masca fait partie de ces livres qui vous accompagneront pour toujours et dont vous garderez quelque chose au fond de vous.
Des ambiances, des sensations, chacun y trouvera ses propres clés pour aborder les moments les plus troublants et les épreuves inévitables de la vie.

Bonjour Valérie, afin d’en savoir plus sur toi, merci d’accepter de te prêter au jeu des questions.
Bonjour François. Avec plaisir, c’est toujours très intéressant de voir les questionnements des personnes qui ont lu Masca. En particulier celles qui ont des univers communs avec le mien !
Peux-tu nous décrire ton parcours d’autrice ? En particulier comment tu as franchi le cap de ta première œuvre publiée ?
Je dirais qu’il existe deux chemins parallèles. Celui de la création et celui de la publication. Concernant l’écriture sous ces aspects créatifs, j’ai commencé à inventer mes premières histoires dès que j’ai su tenir un crayon. Beaucoup de nouvelles, de textes courts et beaucoup de poésie. Masca est le premier truc que j’ai écrit qui soit suffisamment étoffé pour devenir un roman. En ce qui concerne l’édition, mon tout premier texte « publié » a été une petite histoire dans Pif Gadget quand j’avais 9 ans. J’y racontais pourquoi les chiens hurlent à la lune… Un lien avec Moonspell ? Allez savoir… Pour Masca, c’est une histoire que j’aime énormément, même si elle est loin d’être parfaite, suffisamment pour que j’éprouve l’envie de la partager. Être publiée quand on est une sombre inconnue est un parcours semé d’embûches. J’ai donc dû trouver des solutions avec des avantages et des inconvénients. Pour le prochain, j’ai une autre piste qui pourrait être encore une nouvelle expérience… à suivre ! Ce qui m’a fait franchir le cap pour Masca, pour résumer et répondre précisément à ta question c’est : l’envie de partager cette histoire car je la trouve chouette.
Peux-tu nous décrire ton parcours de metalleuse ? Comment tu es tombée dedans (quand tu étais petite ?) et quels sont tes styles de prédilection ?
Voilà une question que j’aime ! Quand j’étais toute petite, mes parents écoutaient énormément de musique. Depuis la musique Baroque (en particulier Bach), jusqu’à des trucs comme The Police, Aerosmith, The Who, King Crimson, Yes, Mike Olfield, Santana… Mon père avait une collection de vinyles assez énorme et une super chaîne hi-fi. J’adorais écouter les vieux Led Zep, le 33 tour de « Hair » que je piquais à ma mère. J’ai eu ma période Dance et U2. Cependant c’est seulement à l’adolescence que j’ai découvert LA musique qui me correspondait vraiment. Mes tout premiers groupes de heavy furent Helloween et Maiden. Et puis un jour, mon oncle m’a passé Master Of Puppet et là, mon cerveau a été reconfiguré pour toujours. Mon premier festival a été le Dynamo et ensuite je pense avoir fait tous les principaux festos et concerts d’anthologie. Aujourd’hui, j’ai une large préférence pour les petites salles plus intenses et intimes. Concernant mes styles de prédilection, ils ont un peu évolué au fil du temps. Par exemple, aujourd’hui le thrash a tendance à me lasser alors que Sepultura tournait en boucle dans ma chambre d’ado. C’est assez difficile de dire mes styles préférés. Les cases sont parfois trop cloisonnantes pour moi. J’adore des trucs très variés allant de Bloodbath à Vola, en passant par Zeal & Ardor, Igorrrr, Rotting Christ, Dvne, Wayfarer, Misþyrming ou tous les trucs où sévit Ales Campanelli (je ne sais pas ce que j’aime le plus entre son jeu de basse ou sa manière de composer). J’aime les choses faites avec les tripes. Allez, peut-être un penchant pour le black-death et le prog moderne.
MASCA a pour protagoniste Damien, un metalleux, et chaque chapitre commence par un extrait de paroles d’un album, quelles connexions établis-tu (dans le processus créatif et dans les thèmes abordés) entre Metal et littérature ?
L’image qui me vient ce sont deux rosiers aux ronces et aux tiges entremêlées, les racines s’entrecroisent, c’est un écosystème où chacun se nourrit de l’autre. Personnellement, l’art dans toutes ses formes me nourrit et m’inspire en permanence. On trouve énormément d’inspirations littéraires dans la musique metal. Et si autrefois les thématiques étaient un peu limitées au romantisme et au gothique (vampires et autres poètes maudits), aujourd’hui, la richesse des sources est infinie. Les exemples qui me viennent à l’esprit sont Junius avec la philosophie et les concepts métaphysiques, le groupe français Aksaya avec l’astronomie et la physique ou encore Kanonenfeiber avec la première guerre mondiale. Ça me fait toujours délirer ces groupes qui choisissent un thème ultra précis et se limitent à l’explorer dans tous les sens ! C’est exactement l’opposé de ma manière de créer car je m’inspire de n’importe quoi et j’écris dans tous les styles sans m’imposer de barrière. Concernant la place de la musique dans mon processus créatif, lorsque j’écris en écoutant certains morceaux, c’est comme de me plonger totalement dans une scène avec toute sa palette sensorielle. Parfois je choisis un album dont l’ambiance m’évoque le passage que j’ai envie d’écrire. D’autres fois, il est arrivé qu’un album fasse jaillir de moi tout un univers. C’est arrivé par exemple avec le sublime « Altra » de Naïve qui a donné naissance au concept de M.E.T.A, nouvelle écrite avant le Covid.
MASCA évoque le deuil, la résilience, mais aussi sans doute la schizophrénie éventuelle de Damien. As-tu des clés de lectures de ton roman pour aiguiller ceux qui le trouveraient un peu trop mystérieux ou préfères-tu que les lecteurs se fassent leur expérience de A à Z ?
Les personnes qui lisent mon roman se sentent souvent curieuses face à tous ces mystères. On me pose souvent les mêmes questions et je reste la plus évasive possible car j’aime qu’on puisse se faire ses propres idées. Il y a plusieurs possibilités concernant la « solution » à l’énigme principale du roman et c’est important pour moi que chacun, chacune, puisse choisir celle qui lui convient le mieux. Tout ce que je peux dire c’est qu’une bonne partie des faits historiques sont basés sur la réalité. Je suis toujours curieuse de savoir quelle explication un lecteur ou une lectrice préfère. Et de voir les personnes qui retrouvent les vrais faits historiques camouflés dans l’intrigue… Quant au deuil, c’est bizarre, je me suis rendue compte récemment que c’est très souvent le thème central dans beaucoup de mes écrits et j’ignore pourquoi !

Le lac « magique » évoqué dans MASCA est un lieu réel, comment as-tu découvert ce lieu et son histoire ? Aimes-tu y aller régulièrement pour son ambiance ?
Le lac bleu se trouve dans la ville où je vis. C’est un de mes lieux de promenade préférés et j’y vais très souvent. Son ambiance à l’heure actuelle est moins ténébreuse qu’autrefois mais il reste un très bel endroit. Beaucoup de mystères et de faits divers plus ou moins sordides l’entourent. Ce qui est assez amusant, c’est que de nouvelles légendes récentes circulent. J’ignore comment ces nouveaux mythes sont apparus !
Tu as effectué une reconversion en tant que praticienne en hypnose. Peut-être que cela m’a influencé mais j’ai trouvé MASCA très agréable, fluide et reposant à lire, me mettant parfois dans une sorte de douce torpeur enveloppante. Est-ce moi qui ai halluciné ou écris-tu dans cet état d’esprit ?
Ce n’est pas quelque chose que j’ai cherché à créer volontairement. Je pense que ma façon d’écrire est comme ça. Quand je créé des métaphores hypnotiques pour mes clients et clientes, les mots me viennent souvent de manière très fluide et naturelle. Quand j’écris, je ressens souvent ce flow lorsque mon idée est très claire. C’est comme si les phrases coulaient de source. C’est encore plus flagrant avec un bon album en fond sonore. Je suis sûrement moi-même un peu en transe dans ces moments-là et il est possible que cette fluidité transparaisse. Je prends ta remarque comme un super compliment en tout cas, merci ! Si je devais qualifier ma manière d’écrire, je crois que je la ressens plutôt comme une forme de poésie car la musicalité et la sonorité des mots, leur manière de s’agencer et de sonner est importante pour moi. Je joue pas mal sur les répétitions, le rythme. C’est peut-être aussi cet aspect qui donne ce côté enveloppant dont tu parles… Comme les paroles d’une chanson finalement.
Si je te dis que je sens du Stephen King (pour l’attachement aux personnages et le côté fantastique) et du Murakami (pour l’onirisme) dans MASCA, tu le prends comment ?
Stephen King est mon auteur préféré sans conteste ! Et Murakami est dans mon top 10. Alors je pense être à mille milliards de kilomètres de ces deux monuments, mais leur manière de voir et ressentir les choses me parle énormément. Je ne cherche pas à leur ressembler. Il se peut que mes lectures influencent inconsciemment mon langage, mes images. En tout cas, je te rejoins sur ton analyse de Stephen King, je trouve que sa plus grande qualité est cette faculté de créer des personnages attachants, touchants, et j’adore la manière dont les liens se nouent entre ses protagonistes, c’est ce qui fait la richesse de ses histoires. Que serait la Tour Sombre (meilleure saga de tous les temps) sans ce lien entre les 5 membres du ka-tet ? Si je pouvais avoir un dixième de sa créativité ! Murakami j’aime sa poésie, sa sensualité et la manière dont il invente ses propres codes. Là, on est sur du grand art. Si je devais lui piquer un truc ce serait sa façon ultra originale de décrire les scènes de sexe. C’est ce qu’il y a de plus technique je trouve car on peut très vite tomber dans le vocabulaire cliché et les tournures de phrases artificielles. J’invite tout le monde à lire sa nouvelle « Des hommes sans femmes » : c’est assez court et c’est somptueux ! Enfin j’ai supposé que tu parlais de Haruki Murakami, n’est-ce pas ? Parce que Murakami Ryu par contre c’est trop trash pour moi. J’ai aimé Bleu presque transparent et Kyoko mais je ne suis pas allée au bout de la trilogie Ecstasy / Melancholia / Thanatos qui franchit des limites trop hard pour moi.
Sans que cela soit autobiographique, j’ai lu que tu disais qu’il y avait une part de toi dans MASCA, aurais-tu quelques indices ou anecdotes à ce sujet, comme des clins d’œil pour le lecteur ?
En effet, Masca n’est pas du tout autobiographique et les personnages ne me ressemblent absolument pas. Ce qui vient de moi ce sont surtout toutes les petites anecdotes insignifiantes. Les références sans importance, les détails qui donnent du volume à la réalité des choses. Par exemple, tous les endroits dont je parle dans Masca sont des lieux où je suis allée dans la réalité : j’ai arpenté les bars de Cardiff Bay, les rues de Prague où j’ai écrit mon souhait sur le mur de Candy Chang (il s’est réalisé d’ailleurs) et la demeure du Chaos qui aujourd’hui est devenue plus compliquée à visiter…
On sent une part de féminisme dans MASCA, mais j’ai trouvé le message très subtil (contrairement à certaines œuvres qui se retrouvent malheureusement phagocytées par les bonnes intentions, aussi bonnes soient-elles, de leurs auteurs). En quoi vois-tu MASCA comme une œuvre féministe ? Est-ce un message capital pour toi au regard de notre société ?
Le féminisme est une des valeurs principales qui m’animent. Je suis vigilante à cette question dans tout ce que je fais. Notre manière de penser est conditionnée depuis très longtemps par ces questions pourries de hiérarchisation des genres et je trouve que nous avons tous beaucoup à gagner en se libérant de tout ça ! Donc oui, je dirais que c’est un des piliers centraux pour une évolution positive de nos sociétés. Un de mes pires cauchemars ? Me retrouver dans une société régressiste qui sépare les hommes des femmes, avec des espaces non mixtes, des écoles de filles et de garçons, où on fait rentrer les personnes dans des petites cases bleues et roses. Je veux pouvoir traîner avec mon meilleur pote où je veux quand je veux. Je me revois à 20 ans, au Wacken, seule fille avec ma bande de copains et dans notre milieu musical, je trouve que les choses évoluent dans le bon sens ! Mais « More women on stage » quand-même, parce que pour l’instant les musiciennes ne représentent que 12 % des artistes rock/metal. Masca est une œuvre féministe parce qu’elle parle de certaines souffrances inhérentes au fait d’être une femme. Je trouve plus intéressant de dépeindre des personnages féminins forts, intéressants, afin que peut-être le lecteur ou la lectrice puisse s’identifier à elles, peut-être comprendre ce qu’elles traversent et indirectement ressentir plus d’empathie dans sa vie de tous les jours, se poser des questions, porter un regard nouveau sur ces questions de « condition féminine ».
La couverture du livre m’a immédiatement attiré et donné envie de découvrir ton roman par son côté élégant et effrayant, mais qui est cette créature et quel est cet endroit ?
L’endroit est le lac bleu. La créature est le fantôme du lieu, voyons ! En réalité, je suis le modèle. Le photographe est El Gringo. Il y a eu un vrai travail à la fois graphique et créatif pour ce projet. À l’origine, Masca aurait dû être un album illustré. Nous avons fait plusieurs séries de très belles photos avec 3 photographes différents dont j’adore l’univers. Deux des séries ont été faites par Angèle L dont j’aime beaucoup le travail. Une des robes a été conçue par une couturière sur la base de mes dessins. Encore une preuve que l’art n’a pas de frontière et peut se décliner sur de multiples supports !
Je ne connais pas tes autres œuvres, peux-tu nous les présenter ? Quels sont tes projets en tant qu’autrice ?
À ce jour, je n’ai publié que Masca. J’ai écrit quelques nouvelles pour des concours. Je fais encore beaucoup de poésie, des paroles pour mes chansons et j’ai une page Facebook d’autrice et une news letter « l’écritureuse » dans laquelle je produis un écrit inédit au début de chaque mois. Je réalise également des chroniques d’albums et des interviews pour le webzine Les Eternels (je suis Oriza), même si je suis peu présente depuis pas mal de temps en raison de ma vie professionnelle très envahissante. Mon projet le plus solide à l’heure actuelle est un mini roman pour lequel j’ai cette impression, comme je l’avais pour Masca, d’avoir l’intégralité de l’intrigue et de la trame, ce qui fait que je sens qu’il va aboutir à quelque chose de tangible. C’est une histoire qui parle d’hypnose et qui a une aura assez gothique. Pour en teinter l’écriture j’écoute en boucle Monkey 3 et My Dying Bride.
Merci beaucoup pour tes réponses, on te souhaite le meilleur dans tes diverses activités !
Merci infiniment pour ton intérêt pour mon travail et tes questions très stimulantes. Au plaisir de te croiser lors d’un prochain concert !
Vous pouvez commander Masca dans votre librairie ou Amazon
