
Interview réalisée par Julien Schmitt Laroche et Kevin Ritualist Paininyourneck
A la rédaction de Satan Bouche Un Coin, on est nombreux à avoir apprécié (et le mot est faible) ce premier album très attendu de Houle. Ce dernier est sorti le 07 juin dernier et le lendemain avait lieu la release party à Paris avec Pénitence Onirique et Aorlhac. La date a affiché complet une semaine avant et 3 membres de la rédaction se sont retrouvés sur place pour découvrir ces nouveaux morceaux en live.
C’est au Backstage By The Mill, dans l’arrière-salle d’un bar, le O’Sullivans situé juste à coté du Moulin Rouge, qu’a lieu cette soirée dédiée au metal noir marin. La soirée commence avec Pénitence Onirique, qui nous emporte dans son monde de cauchemar avec sa musique lancinante et ces riffs répétitifs qui nous mettent en transe. Ensuite vient Aorlhac avec son black metal médiéval, dont le rendu est extrêmement pêchu en live. Le chanteur est comme possédé et nous emmène avec lui en Occitanie à travers ses contes et légendes obscures. Les morceaux s’enchaînent et l’ambiance se réchauffe de plus en plus alors que les derniers des 350 spectateurs rentrent dans la salle pour prendre la mer avec Houle. Le public est d’ores et déjà acquis à la cause du metal noir marin tant il y a de personnes vêtues de marinière dans la salle. Nous levons l’ancre et partons avec la capitaine Adsagsona à la découverte de cet album fraîchement pêché. Ce dernier est joué presque intégralement et les morceaux prennent vie dans toute leur splendeur dans ces conditions. Les musiciens sont déchaînés et la capitaine du navire tient la foule entre ses mains. Nous retrouvons la terre ferme au bout d’un peu plus d’une heure, conscients d’avoir vu là un groupe qui va compter parmi les grands s’ils continuent de voguer dans ces contrées musicales.
Juste avant ce concert, deux d’entre nous ont eu la chance de poser quelques questions au groupe au complet pour qu’il nous parle de sa création et de la genèse de cet album très attendu.
SBUC : Pouvez-vous nous parler de la genèse du groupe ?
Vikser : Alors Houle, c’est un projet qui vient du guitariste lead Crabe qui a commencé à composer des musiques et qui a donné le nom au projet. Il a profité du confinement en 2021 pour chercher des musiciens et le line-up s’est monté au fur et à mesure jusqu’à l’été 2021 où on était tous dedans. On est rentré en studio en février 2022 pour enregistrer l’EP sorti en septembre 2022, puis nous sommes retournés en studio en octobre-novembre pour enregistrer l’album « Ciel cendre et misère noire » qui est sorti hier.
SBUC : Comment est venu le concept de la mer, peu commun dans le black-metal. Il y a eu des morceaux voire certains concepts albums mais vous êtes le seul groupe que je connaisse à avoir basé toute son identité sur ce thème. Comment vous est venue cette idée et qu’est-ce qui vous inspire dans la mer ?
Vikser : Ce concept vient du guitariste Crabe qui est Breton, Brestois d’origine, et qui a vécu 20 ans près des docks et du port de Brest donc, forcément, ça coulait de source pour lui. À part ça, la mer est un univers visuel qui prête à beaucoup de choses autant de la peur, autant de la joie, autant de l’intrigue et de la curiosité. C’est un terreau extrêmement fertile pour composer et construire un univers.
SBUC : Du coup, vous vous êtes tous retrouvés dans ce concept ?
Adsagsona : Oui si on est tous là, c’est qu’on se retrouve tous dedans. Après comme Vikser en a parlé, la mer est un sujet qui est extrêmement riche et qui permet un lyrisme absolument effroyable dans la composition et les paroles car elle peut être aussi bien source de peur, d’admiration, d’envie, elle peut être déchaînée etc… en fait c’est un sujet qui permet une très grande polarité dans la musique donc pour ça oui on s’y retrouve tous. Pour moi, dans les paroles par exemple, la mer n’est qu’une image mais elle peut être l’image de tellement de choses que forcément je m’y retrouve.
SBUC : Vous êtes un jeune groupe et pourtant on ressent une grande maturité dans vos compositions. Où puisez-vous vos influences musicales ?
Vikser : Les influences musicales se trouvent majoritairement entre le Black metal et le Heavy, même si on écoute un peu tous des choses différentes dans le metal et en même d’autres styles. Mais pour la composition de Houle, on s’imprègne essentiellement du Black métal comme Immortal, Mgła, Forteresse, Véhémence … des groupes qui ont une identité musicale assez forte et mélodique. Houle a un côté très épique également et ce côté vient de nos influences Heavy pur et dur. Crabe, qui compose une grande partie des riffs avec Græy Gaast, est un grand fan de Moonlight Sorcery et on retrouve nos influences dans cette veine-là.
SBUC : Qui décide de la direction et du storytelling des morceaux ? Est-ce un travail commun ou chacun apporte des morceaux avec ses idées ?
Adsagsona : Pour écrire l’album, on avait déjà l’expérience de l’EP pour lequel on s’était déjà donné une grande ligne directrice. Cette ligne directrice était assez large et laissait assez de place à l’imagination. On voulait parler de la mer mais plus spécifiquement de l’Homme, de l’Humain, son positionnement vis-à-vis de la mer, dans l’univers portuaire, dans la vie de marin etc… ça nous laisse pléthore de possibilités. C’est cette direction artistique-là qui est posée dans le storytelling. Elle sera peut-être vouée à évoluer sur les prochains albums mais on ne sait pas pour le moment, on reste tel quel. Sur l’album, par exemple, Vikser a proposé un thème pour un morceau qui est un mythe issu d’une légende malouine, Crabe a proposé un thème pour un autre morceau qui est le quotidien du marin. Après, tout s’est articulé autour de ce thème-là et tout s’est fait naturellement.
Crabe : En effet, l’écriture est extrêmement naturelle en général quand on propose de nouveaux morceaux. Moi par exemple, quand j’ai écrit certains morceaux, j’ai donné un titre qui m’a inspiré sur le moment, sans penser aux paroles ni à quoi que ce soit d’autre. Par exemple, « Sur les braises du foyer » a été écrite devant ma cheminée et donc je voyais des braises et une cheminée. Ensuite Adsa a trouvé toute la thématique et le texte autour qui correspondait à ce titre-là. « Derrière l’horizon » s’est faite de la même manière. Quand Græy Gaast a composé « Nés des embruns », il est arrivé avec le titre et là encore, c’est Adsa qui a créée tous les textes et l’histoire autour.
Adsagsona : Je ne crois pas qu’il y ait un titre de morceau de moi sur l’album. À chaque fois, ils arrivent avec des titres et je brode autour.
Crabe : Ce n’est pas quelque chose de réfléchi et le fait que l’on travaille tous ensemble fait que tout fonctionne naturellement.
SBUC : Vous avez réalisé un superbe clip pour le morceau « Sur Les Braises Du Foyer », ce qui change des standards du genre, et on peut voir au générique « Ecrit et réalisé par Yulia Nikiforova ». Qui est-elle et vous a-t-elle consulté pour le lien entre la vidéo et les paroles ?
Crabe : Yulia est une bénévole des acteurs de l’ombre c’est comme ça qu’on l’a rencontrée. C’est devenu une amie et c’est elle qui nous a fait nos premiers costumes de scène. Quand on a commencé à discuter de faire un clip pour l’album l’année dernière, lors de notre passage au Satanas Ebrietas Conventus, elle nous a dit qu’elle était partante pour le réaliser et que les Furtifs pouvaient nous aider à le produire. C’est comme ça que ça s’est fait. Du coup, Yulia a tout pris en main et Les Furtifs l’ont beaucoup appuyée techniquement. Yulia a eu des idées incroyables pour la réalisation du clip. Il est basé à la fois sur le texte et l’histoire de la chanson : d’une part, l’homme qui part à la mer pendant plusieurs mois et, sur le revers de la médaille, sa femme l’attend désespérée, dans la crainte de ne pas le voir revenir. Tout le clip tourne autour de ces idées-là et elle a eu plein d’idées visuelles.
Græy Gaast : Elle a vraiment poussé le truc très loin dans les détails. Par exemple, le bateau qu’on voit est un sardinier de la fin du XIXème siècle. Ce bateau s’appelle « l’Eulalie » et est une réplique d’un sardiner breton d’époque qui a été recréé par un passionné. Et c’est pour ça qu’on a tenu à filmer spécifiquement là-dessus car c’est elle qui a trouvé ces idées là et qui a fouillé tout l’univers du pêcheur breton de la fin du XIXème. Sans ces recherches-là, cela aurait été beaucoup moins fidèle à la réalité.

SBUC : Vous êtes tous présents dans le clip sauf toi, Adsagsona. Pourquoi avoir pris une actrice pour jouer le rôle principal au lieu de l’incarner toi-même et pourquoi ne pas intervenir dans le clip comme tes camarades ?
Adsagsona : Déjà parce que je ne suis pas actrice et aussi car je n’y tenais pas particulièrement. J’ai été présente pendant le tournage mais j’étais bien derrière la caméra à aider à la régie. Aussi, je suis tout le temps à l’avant de la scène donc un peu à eux d’être dans la lumière. (rire)
Græy Gaast : On l’a fait parce qu’on le voulait aussi, on voulait avoir nos gueules dedans.
Crabe : Après, mine de rien, si on n’avait pas joué dedans, il nous fallait quatre acteurs de plus. (rire général)
Græy Gaast : Nos rôles étaient plus de la figuration, on n’avait pas besoin de talents d’acteur. Par contre, pour le rôle de Madeleine, c’était très dur à jouer.
Adsagsona : Oui je n’aurais pas fait ce qu’a fait Madeleine.
Crabe : Elle porte complètement le clip sur ses épaules. Pour nos prestations, on nous a dit : « toi tu restes là avec une lanterne, bouges pas, c’est bon, mets un tableau sur ta tronche, etc… » donc nous, on avait plus ce rôle de figurant. Cela nous a fait plaisir de faire un caméo mais on n’avait pas besoin de faire de choses trop compliquées non plus. On a vu très rapidement qu’on était meilleurs musiciens qu’on est acteurs. (rire) Il faut savoir qu’on a tourné des tas de plans sur le bateau, ils ont passé plus d’une demi-heure à nous filmer mais il n’y a pas une image de ça dans le clip, c’est qu’on devait être tellement nuls que ce n’était pas exploitable. (rire général)
SBUC : L’album se termine par le titre fleuve de 12minutes « Née des embruns », ce qui est assez long par rapport à vos standards. Ce morceau-là me captive. Il y a tout ce que vous savez faire dedans, que ce soit doux, que ce soit fort, on entend toutes les voix d’Adsa dedans. Pouvez-vous nous parler de la genèse de ce morceau ?
Græy Gaast : C’est une compo qui, à la base, est partie de moi et elle faisait à peu près 15 min.
Zéphir : (l’interrompant) Non Græy Gaast elle faisait beaucoup plus que ça, la version courte faisait 21 min. Il y a encore un fichier qui existe quelque part intitulé « Née des embruns version courte » qui fait 21 min.
Vikser : La version courte ne tenait pas sur un album. (rire)
Crabe : La première version qui nous a été soumise, la version « courte », faisait 17 minutes. Elle était déjà très bien du coup on a continué à travailler dessus.
Zéphir : C’était un peu un challenge aussi car il y avait énormément de parties différentes. Du coup, il y avait beaucoup plus de travail par rapport aux autres titres pour bien l’organiser et faire en sorte que tout s’enchaîne bien.
Græy Gaast : Pour la création, c’est juste moi, enfermé dans ma chambre pendant le confinement.
Zéphir : Il n’y a pas que ça ! Il y a cette première version mais il y a aussi tout le travail derrière parce que tous les riffs sont incroyables. Par contre, on n’arrivait pas à trouver d’histoire dessus car l’ensemble est un peu chaotique.
Adsagsona : En fait, le morceau a beaucoup changé quand je suis arrivée et que j’ai dû poser des lignes de chants dessus. On a simplifié la structure car j’avais du mal à m’y retrouver.
Græy Gaast : Il y a 2 morceaux sur l’album sur lesquels on s’est cassé les dents qui sont « Née des embruns » et « Sel, sang et gerçures » mais aujourd’hui ils sonnent très bien. On a beaucoup communiqué entre nous à propos de ces morceaux pour convenir des passages qu’il fallait changer et lesquels n’avaient pas d’intérêt. Ces 2 morceaux montrent à quel point notre composition est collaborative, chacun a son mot à dire et on ne sort pas une compo tant que tout le monde n’est pas satisfait quel que soit le temps à passer dessus. Après, d’autres morceaux sortent tout seuls comme « Derrière l’horizon » par exemple, qui n’a presque pas changé sauf au niveau de la voix qui a été compliquée à mettre en place. Pareil pour « Sur les braises du foyer » ou « La danse du rocher », il y a des chansons qui viennent très naturellement et d’autres qui nous forcent à travailler très dur.
Vikser : En fait, on a tellement bossé sur « Née des embruns » et « Sel, sang et gerçures » qu’on ne se rend pas compte à quel point on a bossé sur celles qui étaient entre guillemets faciles.
Zéphir : Par exemple pour « Mère nocturne », on s’est retrouvés avec un tableau blanc en répète en se disant on adore les riffs mais il faut faire quelque chose pour la structure. Du coup, on a nommé tous les riffs et on faisait des échanges sur le tableau pour que tout fonctionne bien ensemble. Pour en revenir à la question, sur « Née des embruns » quand Adsa a essayé de placer le chant, il avait trop de riffs et trop d’infos.
Adsagsona : Je trouvais que « Née des embruns » était un morceau très progressif, car même au niveau du morceau il y a une forme de progression. Je devais donc absolument emmener l’histoire dans cette direction, alors que sur la version originale ça partait, ça revenait et je trouvais que la progression n’était pas nette. Cela me gênait alors j’ai mis un veto en disant aux autres « on se réunit tous ensemble et on revoit tout ça ».
Græy Gaast : A ce moment-là, on a tout cassé et on a tout retravaillé et redécoupé pour qu’il y ait des cycles et que l’histoire soit plus cohérente. Après ça, Adsa a rajouté le chant et réussi à faire, pour moi, un truc de fou. Donc ça a été assez laborieux mais on est tous très très contents du résultat.
Adsagsona : D’ailleurs, même quand on raconte l’histoire du morceau c’est laborieux (rires)
Crabe : C’est le seul morceau qu’on n’avait jamais travaillé en répète donc on l’a tous joué en studio pour la première fois. Par la suite, quand on s’est retrouvés en répète, on a dû apprendre notre propre morceau.
Vikser : Pour finir, il y a une moitié de l’album qu’on a dû composer assez rapidement entre la sortie de l’EP et l’entrée en studio et ces 2 chansons en font partie car on a eu beaucoup de travail sur ces deux-là.
SBUC : Est-ce que c’est pour cela que ces 2 morceaux sont séparés du reste de l’album par un intermède instrumental où est-ce qu’il n’y a pas de lien ?
Crabe : Ça s’est fait comme ça mais c’est vrai que maintenant que tu le dis…
Zéphir : Quand on a commencé à penser à la structure de l’album, on sentait que ces 2 morceaux devaient indiscutablement se retrouver à la fin de l’album. En gros, il fallait mettre au début des morceaux plus court, plus traditionnels dans la structure et finir avec des morceaux plus longs avec des structures entre guillemets spéciales.
Crabe : En fait, il faut voir l’interlude comme une clôture à « Derrière l’horizon » plutôt que comme une introduction à « Sel, sang et gerçures » ou à une coupure. Ça va beaucoup plus avec la narration de « Derrière l’horizon » qui se termine avec les chasseurs de baleines qui s’en prennent plein la gueule et finissent par sombrer au fond de l’océan silencieusement, dans le calme et la quiétude des fonds marins. C’est pour ça qu’il y a le son des baleines, ce côté très reposant et peut-être un peu irréel.
Græy Gaast : On y a aussi rajouté des sons angoissants pour rappeler la noyade.
SBUC : Merci à vous cinq pour votre temps et votre convivialité.
Houle : Merci beaucoup à vous aussi et merci à François pour la chronique (que vous pouvez lire ici)
