Chronique et interview par François Kärlek

Excrementiis – La Glorieuse Morte – ALBUM – 2023
Bon autant la faire tout de suite ! Malgré son nom étonnant Excrementiis c’est tout sauf de la m…e, et c’est même tout l’inverse avec cette Glorieuse Morte qui s’est largement hissée à mes yeux au firmament des sorties Black Metal de 2023 avec Prieuré et Pénitence Onirique.
Pourquoi ces éloges ? Parce que La Glorieuse morte représente à mon sens ce que le Black Metal doit être : malsain, poisseux, subversif, mystérieux mais aussi transcendant et épris de liberté.
Alternant avec brio passages acoustiques, moments d’énergie brute et ambiances tordues ou carrément barrées, ce premier opus est d’une cohérence exemplaire malgré sa variété tant les morceaux sont bien pensés, fluides, malins. Mention spéciale à la production qui donne un son très concret à chaque coup de cymbale, chaque corde de guitare, donnant l’impression d’être pris au milieu des instruments.
On en prend plein la tronche mais ce n’est pas étouffant, juste puissant et acéré, grâce à un son de guitare souvent éthéré, et très clair et le jeu de batterie qui tape dur, pile où il faut et évite le remplissage que je déplore parfois chez des groupes qui « blastent à vide » et produisent un Black Metal sans âme.
Mention spéciale enfin au chant : décadent et quasi parodique sur « Douce Dame Jolie », incantatoire et possédé sur « Yersinia Pestis », harangueur et haineux sur « La Glorieuse Morte » ou péremptoire et dictatorial sur « Sine Nomine ». Carcass insuffle de la folie et énormément d’énergie et de variété dans les titres, permettant de distinguer très facilement les morceaux en leur donnant une identité forte.
Déjà culte selon moi, cet album fait clairement partie de ceux dont je ne me lasserai jamais et que je relancerai toujours avec un plaisir renouvelé de retrouvailles mais aussi de découverte au regard des détails dont il foisonne.

Serpentiis Odii – Obscura Natura – EP – 2024
Changement de nom pour cet EP, mais pas de changement drastique de style, bien heureusement ! tant j’affectionne ce son rugueux mais parfaitement équilibré à l’énergie proche du live.
Pour compléter cette idée, les 3 morceaux de cet EP de 20 minutes s’enchaînent toujours de manière fluide, les 2 premiers morceaux « Clair de Lune » et « Soleil » se confondant quasiment dans leurs ambiances, avec toujours cette impression que les gars ont débarqué chez toi pour jouer dans ton salon et en profiter pour casser pas mal de trucs au passage, en particulier avec « In Crypta Terrae » le 3ème morceau de plus de 7min qui dévaste tout, entre ses mélodies entêtantes et son final apocalyptique.
On ressent un savoir faire encore mieux maîtrisé sur cet EP, appréciez donc ce pont « ambiant » à la longueur parfaitement assumée sur « Clair de Lune » très black’n roll telle une polka festive et déjantée, savourez ces chœurs discrets sur le début de « Soleil » et ressentez cette approche quasi suédoise dans les riffs de « In Crypta Terrae » ! (M’évoquant par son feeling le cultussime unique album de Vinterland de 1996).
Malgré sa mue en Serpentiis Odii, Excrementiis donne toujours ce sentiment d’un « je m’en foutissime » qui permet de mener l’auditeur par le bout du nez vers des chemins de traverse inattendus et prenants. Quel que soit son nom, ce groupe est un peu l’adolescent qui fout méchamment la merde à la récré mais revient à la maison avec des 20/20 sur son bulletin, avec un satané esprit rebelle et belliqueux, certes, mais pour un résultat final qui assure à mort, ni brouillon ni foutraque, mais juste brillantissime, diaboliquement efficace et malsain comme il se doit, dans le plus pur respect des traditions d’un black metal sans compromis.

Afin d’en savoir un peu plus sur ce véritable coup de cœur, j’ai eu la chance de pouvoir poser quelques questions à Carcass, la tête pensante du groupe.
Bonjour Carcass Excrementis, on va commencer avec la question la pire pour être débarrassés. Le nom « Excrementiis », avait interpellé plus d’une personne, y compris les collègues de Satan Bouche un Coin. Même si cela ne me bouleversait pas personnellement, j’aimerais savoir d’où venait ce nom et pourquoi tu as décidé de rebaptiser le groupe avec la sortie de l’EP en « Serpentiis Odii » ?
Dans mon ancienne formation, Nohellia (en écoute ici), Metal extrême Orchestral…
…c’était déjà tout simplement mon nom, comme aujourd’hui.
Je l’ai donc tout simplement décliné en nom de groupe pour la suite.
Le double “i” est là pour marquer la nuance avec mon pseudo.
Mais il représentait une autre époque, un autre temps qui collait à merveille pour tout un tas de raisons.
Comme j’ai pu le dire à moultes reprises en interview, l’album la Glorieuse Morte est un “vieil album” finalement, il a été composé et à 85 % enregistré entre 2012 et 2014, puis des choses de la vie ont fait que sa sortie n’a pu se faire qu’en 2023.
SERPENTIIS ODII est dans la continuité et la direction “nouvelle” du groupe. Je mets nouvelle entre guillemets car le groupe est le même et il ne faut pas s’attendre à ce que ce soit un projet parallèle.
Excrementiis = SERPENTIIS ODII.
…SERPENTIIS ODII, SERPENTIIS ODII SERPENTIIS ODII SERPENTIIS ODII SERPENTIIS ODII SERPENTIIS ODII…
SERPENTIIS ODII (Serpent de Haine comme une boule nerveuse de haine, le serpent, l’animal, la bête !)
Regarde un serpent droit dans les yeux et ne me dis pas que tu ne vois pas de la haine, la froideur de son âme transparaît à haute dose devant ces deux billes opaques, prêt à te cracher tout ça au visage !! Le serpent de la bible, le malin, le perfide, l’acariâtre. Le serpent, c’est la Mort et les Ténèbres ! C’est l’approfondissement de certains sujets et thèmes des textes issus de mon esprit.
La thématique religieuse, ésotérique, théologique sera de mise. La symbolique autour de cet animal fascinant.
Le nom de la page Facebook du groupe me préparait à cela. “OfficialChvrch” ce n’est pas pour rien. Nous nous lancerons dans les joyeusetés dès la sortie de l’EP, Obscura Natura.
Ce sera annoncé bien entendu.
Votre musique est très contradictoire à mes yeux. Il y a un côté profondément underground dans l’approche artistique (paroles, ambiances, visuels) mais terriblement efficace dans les riffs et mélodies proposées avec ce côté rock ou punk, dans des morceaux tels que Gavaudan ou Exégèse des Ténèbres. Serait-ce une insulte à l’état d’esprit que vous recherchez de considérer que votre Black Metal est au final relativement « abordable » ?
C’est l’aura de ce premier album qui te fait dire cela cher François et non ce n’est pas une insulte, je ne le prends pas comme cela rassure-toi.
Tu verras la suite et tu me reposeras cette même question.
En attendant, je te remercie pour ces “attentions”.
Je suis curieux du processus d’adaptation de « Douce Dame Jolie » que je trouve très original. Pourquoi ce choix ?
Tout cela sort tout droit de mon esprit alambiqué.
Comme tu l’as déjà dit, l’album est marqué par de nombreux passages un peu “dingues” sans tomber dans le psychédélique non plus. L’EP aussi.
Douce Dame jolie en est un exemple parfait.
Mais si tu connaissais mon projet secondaire tu comprendrais mieux. Mais ce n’est ni l’endroit ni l’heure…
Je suis un très grand admirateur des travaux du groupe Rosa Crvx, et le simple fait d’entendre la légendaire voix du grand Olivier Orbo me fait entrer automatiquement dans un état de transe malade de laquelle j’ai du mal à sortir.
Puis…le chaos ambiant, le monde moderne etc…
Comment ne pas faire jaillir tout cela en une manifestation unique!
A chercher la Transcendance, à l’attendre et l’atteindre, dans une symphonie mortifère s’élever au-dessus des Hommes et dans un souffle glacial tout balayer !
Hum…je n’ai rien à ajouter à cela.
Yersinia Pestis est mon morceau préféré en termes d’instrumentation car il comporte des effets de cuivres/cornes et dégage une aura maléfique et puissante. Pouvez-vous en prenant ce morceau comme exemple développer votre processus de composition ?
Ce morceau est le plus vieux. Composé en 2012 dans une pièce obscure et froide d’un appartement sordide de l’ancienne R.D.A Allemande.
Le processus est assez simple finalement, je me nourris de tout ce qui m’entoure, de l’ambiance dans laquelle je vis, la vie autour, etc…
Lorsque j’ai un riff en tête et que je l’estime digne d’intégrer la grande famille des compositions de SERPENTIIS ODII / Excrementiis, je le prends pour “fondation” et je construis petit à petit jusqu’à lui donner l’aspect d’un morceau. Armé de mon burin qui n’est autre que mon plectre, je peaufine alors mes idées sur le thème que j’aurai choisi en amont.
Là, par exemple, Yersinia Pestis traite de la grande peste du 14ème siècle, la musique me vient à partir de cela. Dans mes souvenirs cela fait suite à un livre, “La conjuration des Lys” de Gilbert Bordes que j’ai lu et un documentaire que j’ai regardé sur le sujet sur internet.
Mais il peut arriver aussi que ce soit le contraire.
La musique que je compose à partir d’une idée musicale en tête, une mélodie, un riff, un bruit peut aussi accoucher d’un thème particulier car la musique me fera penser à quelque chose.
Mais je refuse de coller des textes sur de la musique sans qu’il n’y ait une forme d’osmose entre les deux.
La musique de Yersinia Pestis a une ambiance dramatique et pesante, avec ses cors gravissimes sonnant le glas de l’humanité. Retentissant à travers les cieux, comme un escadron d’anges bien énervés, chevauchant les nuages prêts à en découdre avec tout ce qui a l’insolence de respirer et d’abriter la vie. L’annihilation…
Oui c’est la merde. Il ne faut pas trop tirer sur la corde céleste et énerver les forces divines qui régissent les mondes…
Faut rester tranquille.
Voilà pour le conseil du jour.
Et en tout cas dans l’esprit du texte nul ne sait que l’humanité survivra, en tout cas en partie.
Il faut un début, un milieu et une fin.
Alors évidemment je n’organise pas autant les choses, le feeling fait la majorité du travail mais dans l’idée c’est ça.
Le début, avant que la grosse disto n’arrive, sonne nostalgique avec une once d’espoir. Je commence exactement par un accord de La majeur suivi par un accord de Ré bémol mineur. Tout de suite là, on a l’ambiance dont je te parlais.
Je continue, avec la disto qui monte, (petite info en exclu, c’est le morceau de l’album avec la plus grosse disto. Tu remarqueras que l’album entier n’a pas une disto très black metal “tradi” poussée ? Eh bien, sur ce morceau, pour souligner ce côté tragique de notre histoire et pour alourdir ce riff mi tempo, je n’ai pas hésité.
En y repensant, ce morceau à un petit côté “Accuser, opposer” de Marduk sur l’album “Rom 5:12”, et le morceau se déroule…
Déluge, pleurs, hurlements, et tout le tremblement qui va avec. Et tout cela jusqu’aux arpèges de fin, mettant finalement en lumière l’aspect dévasté et décimé, post-apo, de notre civilisation et nos terres. Fade-out et le morceau se clôture.
De quoi nous assurer de bonnes nuits de sommeil avec tout ça.

Le morceau La Glorieuse Morte évoque la décadence et la perte des valeurs de notre pays (je suppose). Etes-vous passéistes et nostalgiques ? Est-ce un fil conducteur dans tes textes ?
La Glorieuse Morte (le morceau éponyme) parle bien évidemment de la révolution française en prenant en compte un point de vue qui s’efforce de s’élever et voir d’au-dessus et plus objectivement l’ensemble de ces événements tragiques et décisifs pour le pays. Et qui marqueront à jamais, laissant des plaies ouvertes et béantes, non cicatrisées d’un royaume sans tête. Si j’ose dire !
Le passéisme c’est pour les gens bloqués.
Mais nostalgique, bien sûr et heureusement, c’est quand même grâce à cela que l’on peut construire au mieux.
L’Histoire de notre monde est un fil conducteur mais pas que. Il y a tellement de choses à coucher sur papier et à vomir ensuite derrière un micro. Ça ne manque pas. Les forces immatérielles, ce que l’on ne voit pas, le monde qui nous entoure, les mondes régissant nos vies, notre équilibre au sein de l’univers, etc…
Votre musique sonne très live, avec l’impression que la batterie, la guitare et la basse sont en parfaite osmose. D’autre part, les parties de guitare acoustique sont superbement mises en avant. Avez-vous un mode d’enregistrement ou de production particulier ?
Merci pour tout ça.
Alors pour l’EP, Obscura Natura, j’ai voulu explorer une méthode différente d’enregistrement.
A savoir, enregistrer ensemble la batterie et une guitare. Je me suis donc retrouvé avec le batteur Hellesylt dans son Brutnoby Studio, chez lui, (je tiens à souligner qu’il est le batteur du mythique et culte groupe Gorgon, avec lequel j’ai eu la chance de jouer en remplaçant leur guitariste l’année dernière en 2023 pour 3 concerts en France), durant l’hiver début 2024. Donc, vous avez la batterie et une guitare qui ont vraiment joué ensemble, ce qui donne cet aspect “live”, en tout cas c’était le but.
Pour les guitares acoustiques, plutôt que de les utiliser comme nappes de fond ou ambiances, je veux pour ma part les entendre correctement. Voilà pourquoi elles sont bien mises en avant.
Après cet album et cet EP, un nouvel album est prévu. Doit-on se préparer à des évolutions et explorations ou surtout à un approfondissement de votre art ?
Évidemment, un deuxième album est prévu. D’autres choses aussi, mais l’heure est à cet EP pour l’instant.
OBSCURA NATURA !!!
Peut-on s’attendre à vous voir prochainement sur scène ?
Vous pouvez vous attendre à voir le groupe sur scène, tout à fait, mais quand ? Ça, c’est une autre histoire.
Prochainement, je ne pense pas, mais à l’échelle d’une vie, prochainement serait demain !
Merci à toi pour toutes tes questions et l’intérêt que tu portes au groupe. Bonne continuation à toi pour tes projets !
Pour commander, Bandcamp ou Transcendance
Pour suivre Serpentiis Odii, c’est par ici
