Chronique et interview par François Kärlek

Allez, on commence par une petite leçon de français puisque c’est la langue parlée sur cet album, et de surcroît de la manière la plus châtiée.
Bref, on croise souvent le terme « éponyme » pour dire d’un album qu’il a le même nom que le Groupe qui l’a engendré. Eh bien que nenni les hardis ! Eponyme signifie l’inverse : « qui donne son nom à », et Les Bâtards du Roi sont donc l’entité éponyme de cet album. 4 cavaliers maudits, comme l’explique l’introduction, 4 musiciens qui vous invitent à découvrir ce premier méfait basé sur des comptes et histoires de leur contrée orléanaise. En termes de thématique, on se fait une idée assez vite en parcourant les titres des pistes « Pestilence », « Les Litanies des fils bannis », « Mi-Noble, Mi-Sauvage ».
Ambiance médiévale donc, mais sans les oripeaux que l’on croise souvent dans ce style. Ici nul flûtiau, luth ou guiterne, non ! Juste des guitares acérées, mélodiques à l’extrême, qui vous balancent des croches endiablées sur « Pestilence », des trémolos de l’enfer sur « Tourments », du rock groovy sur « la fin de la journée » et surtout plein de petites variantes et explorations, avec des « mini solos » parfaitement délectables parsemés judicieusement. Car avec ses petites 37 minutes au compteur pour 8 morceaux, les Bâtards ne sont pas là pour tricoter et délayer la sauce en mode guitar-hero logorrhéique !
Chaque morceau est compact, massif, avec ses 2/3 riffs ultra mastoc et brise-nuque. Avec des titres tels que « Les litanies » et « Jeanne », fers de lance de cet album, on sent cette volonté d’en découdre au plus vite, mais bien plus subtilement que les 30min de Panzer Division de Marduk. Ici on défouraille avec panache, on estoque en finesse, on zigouille avec prestance, et chaque piste apporte son lot de surprises et passages accrocheurs. Un son quasi post-rock et passage acoustique sur Les litanies, un chant clair superbement bien amené sur le refrain de Jeanne.
Efficacité reste le maître mot, avec des compos portées par une rythmique basse-batterie redoutable et en parfaite osmose : j’adore ces passages où la basse suit avec une précision chirurgicale la grosse caisse dans ses pérégrinations, sans faire de digressions excessives. On sent bien que les morceaux sont taillés pour le live (le groupe semble beaucoup jouer, en particulier dans sa région) et la production, limpide et sans simagrées, va à l’essentiel en restituant à la perfection le savoir-faire du quatuor.
Accrocheuse et immédiate, la musique proposée n’est pas simpliste pour autant et les arrangements et structures sont largement assez bien pensés pour qu’on ait envie de revenir sur chaque compo pour mieux l’apprécier et en comprendre les finesses. Des morceaux de 4min, certes, mais qu’on met sur repeat ! Persuadé depuis toujours que la qualité doit primer sur la quantité, je suis très friand de ce type d’album qui passe tout seul.
Une vraie réussite donc que ce 1er album, que l’on serait tenté de rapprocher des excellents Abduction pour ses thèmes et le chant en français mais qui s’avère beaucoup plus direct, s’éloignant des carcans du Black Metal pour proposer un Metal au sens large rentre-dedans, mélodique et racé, avec une identité déjà très affirmée sur ce premier opus que je ne peux que conseiller !

Bonjour Les Bâtards du Roi. Vous êtes 4 et avez créé le groupe fin 2022 mais on sent carrément l’expérience au regard de ce premier album. Comment vous êtes-vous rencontrés et certains d’entre vous ont-ils déjà joué ensemble dans d’autres projets ?
Bonjour, et merci pour cet entretien ! Le groupe Les Bâtards du Roi était originellement un projet de chambre, un one-man band parmi tant d’autres dans le black metal, de notre chanteur-guitariste Régicide. C’est en cherchant à créer un groupe complet autour de ses compositions que l’on s’est tous retrouvés. On se connaissait tous déjà de près ou de loin ; Régicide et Æni avaient partagé un groupe de metalcore, Æni et Blasphème un groupe d’alternatif, et Blasphème et Daemonicus multipliaient les projets communs depuis un moment déjà. Toutes ces rencontres de duo se sont finalement regroupées autour des Bâtards du Roi, pour donner un quatuor à l’alchimie jusque-là inégalée. On se souvient encore de notre première répétition tous ensemble où on était juste hébétés de voir à quel point le courant passait bien ! On nous fait souvent remarquer qu’on est jeunes pour la scène black metal, et même si on a eu d’autres projets avant LBDR, très peu se sont autant concrétisés et ont eu droit à une telle reconnaissance que cet album « éponyme » (ahah). Le fait de vivre ça aussi tôt dans notre vie nous est vraiment gratifiant, et on remercie encore notre public de nous permettre cela.
Il y a une forte thématique autour de la ville d’Orléans et l’histoire en général. D’où vous vient cet attachement ? Etes-vous tous de la région ?
On a tous grandi à Orléans, que l’on y soit nés ou pas. L’attachement s’est fait passivement, dans la mesure où il est pris pour acquis à Orléans d’apprécier le patrimoine culturel qui s’y trouve ; mais ce lieu commun chez les Orléanais, on a choisi de le mettre activement en valeur à travers notre musique parce qu’on considère qu’il mérite d’être partagé, de par sa richesse et son originalité. C’est une localité chargée d’Histoire ! Même quand on découvre des sites – parce qu’il en reste toujours à découvrir -, on apprend que Jeanne d’Arc est passée par ici, ou que tel événement, telle anecdote y a eu lieu, etc. Ce champ de possibles que l’on peut explorer en permanence, on pense que c’est cela qui fait le charme profond du Loiret, et on espère voir d’autres groupes s’en emparer.

Votre style dépasse largement l’étiquette du Black Metal avec une dynamique franchement Rock/Metal selon les morceaux. Avez-vous des influences notables hors Black-Metal ? D’où vous vient cet appétit pour les mélodies qui sont très présentes ?
Cet appétit pour les mélodies, c’est justement du black metal qu’il nous vient ! Que ça soit dans la veine des groupes de black mélo français des 10 dernières années (Abduction, Griffon, Houle, pour ne citer qu’eux… !), ou que ça soit du côté de groupes étrangers plus anciens comme Windir ou récents comme Non Est Deus, c’est de cette sphère-là que l’on a hérité le goût mélodique. Mais on ne s’y limite pas, comme ça doit pouvoir se constater sur l’album ; on ne se pose vraiment pas de frontières dans notre composition. Si on veut faire du chant clair sur Jeanne, on le fait ; si on veut faire des breaks de metalcore sur Les Litanies des Fils Bannis, on ose ; si on veut faire un pont de basse façon funk-metal sur Tourment, on ne se gêne pas ! On a tous des influences très différentes au sein du groupe, certains ne venaient même pas du black metal avant d’intégrer Les Bâtards du Roi, et c’est ce qui fait la petite diversité de notre premier album. D’où le fait que les quelques chroniques sorties à son sujet mentionnent toutes des styles différents : si tout le monde est d’accord pour dire qu’on fait du black, tantôt on nous qualifie de heavy, tantôt de thrash, parfois de metalcore, etc. Pour nous, c’est une preuve qu’on fait ce qui nous plaît musicalement
Musicalement, je trouve que les compos sont très denses, bien pensées et doivent très bien rendre en live. Avez-vous éprouvé les morceaux en public avant de les enregistrer ?
Merci beaucoup ! On a en effet enregistré les morceaux après les avoir joués en live, mais la majeure partie de la composition s’est effectuée avant même de représenter sur scène. C’est cependant en live que certains morceaux prennent le plus de valeur, que ce soit La Fin de la Journée où l’on fait scander et lever le poing le public, ou bien Jeanne où notre public se met de plus en plus à chanter le refrain clair pour notre plus grand bonheur !
Avez-vous prévu un clip pour un de vos morceaux phares de ce premier album ?
Nous avons pu constater que Jeanne et Les Litanies des Fils Bannis, ont rencontré un succès auquel nous ne nous attendions pas. En revanche, pour répondre au sujet du clip, nous sommes déjà tournés vers l’avenir… Un clip pour un nouveau single… qui sait ?
Allez-vous défendre cet album loin de vos terres en 2024/2025 ? avec une tournée ?
Il semblerait qu’une tournée « hors des murs » en automne soit en pourparlers, mais c’est une grosse organisation et nous ne pouvons pas communiquer dessus à ce stade. Tout ce qu’on peut affirmer c’est que le projet est là, l’envie également, et que nous avons très hâte de nous exporter et d’aller à la rencontre du public le plus large possible. En France, en Europe, et plus loin encore…! On a beaucoup joué en 2024 à Orléans, notamment en raison du fait qu’il y a peu d’autres groupes de black metal dans le département, mais désormais on compte y limiter drastiquement nos apparitions. On est très attachés au public local, c’est pourquoi on compte le chérir en ne revenant jouer dans nos terres que pour de très belles occasions.

Jouer masqués c’est classe pour l’ambiance, mais n’est-ce pas un peu galère quand même ? Pourquoi ce choix ?
C’est le sujet éternel du groupe, notre meilleure et notre pire idée à la fois ! Plus sérieusement, le choix du masque a rapidement été unanime au sein du groupe, tout simplement parce que cela participe à poser une ambiance, à créer une dissociation entre le sur scène et l’en-dehors, à façonner l’histoire des Bâtards du Roi. Mais cela a aussi énormément de défauts, que cela soit vis-à-vis de la jouabilité des instruments ou des voix, ou bien concernant l’échange avec le public lorsque nous jouons. D’un côté, l’audience est bien plus réceptive à notre jeu de scène quand nous sommes masqués mais de l’autre, on voit difficilement ce qui se passe et donc il est plus difficile d’interagir avec ! C’est un sujet qui revient souvent au sein du groupe : est-ce qu’on enlèvera un jour les masques ? est-ce qu’on en fait de nouveaux ? comment on justifie tel ou tel choix dans la mythologie des Quatre Bâtards ? etc. On verra bien où toutes ces réflexions nous mèneront !
Quel est votre meilleur et votre pire souvenir de concert ?
On a rarement eu des concerts teintés seulement de négatif ou de positif. Si bien qu’on a tous une vision un peu différente de ce qui a fait ou non un bon concert. Certains étaient logistiquement organisés in extremis, que ce soit en termes de matériel à disposition ou bien d’organisation même du concert, tandis que d’autres ont été donnés dans de très bonnes conditions mais devant quelques personnes seulement… ! Ou alors d’autres où le public et la logistique étaient au rendez-vous, mais où nous n’avons pas donné nos meilleures performances musicalement, ou bien où nous avons fait face à des soucis techniques sur scène ! Bref, il n’y a pas de date parfaite, ça on l’a vite compris ! Mais parmi nos dates préférées, on compte en priorité celle de notre premier road trip pour Saint-Dié-des-Vosges à L’Entracte II aux côtés de Depraved et des copains d’Hell Gate, où ces derniers nous ont invités puis très généreusement logés, puis celle au Klub à Paris en compagnie de Mürrmürr et d’Exil, notre première tête d’affiche, en ambiance intimiste.

Un 2ème album est-il déjà envisagé ?
Le 2ème opus est en cours de composition, déjà bien entamé. On compte prendre le temps de le peaufiner et de le parfaire, afin de le sortir dans les meilleures conditions possibles. L’idée principale est pour nous de faire avancer la mythologie de nos quatre scélérats, de voir où toutes leurs aventures les mènent. La progression ne se fait pas que dans l’histoire des Bâtards, mais également musicalement : on cherche à se renouveler tout en décelant ce qui a fait notre patte, notre identité sur notre premier opus, afin de le garder pour le second. On carbure énormément autour de ça en ce moment, c’est une véritable source de motivation pour la suite. En tout cas, on a très hâte de le dévoiler !
Je vous laisse le mot de la fin.
Merci à vous pour cet entretien écrit, ça a été un plaisir de le rédiger. On espère qu’il sera agréable à vous qui nous lisez en ce moment même, et que cela éveillera votre curiosité vis-à-vis de notre musique si vous ne nous avez pas déjà écoutés, ou vis-à-vis de nos concerts si vous ne nous y avez déjà pas croisés ! C’est toujours une chance incroyable pour nous de pouvoir recevoir une telle reconnaissance par rapport à ce qu’on crée musicalement.
Les Bâtards du Roi.
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