L’ECLAT DU DECLIN – Le Hurlement des Sphères 

Chronique écrite par François Kärlek

Le terme « orfèvre » revient souvent dans mes chroniques de groupes français car 2024 voit de nombreux projets, tels que Doska, Obscurité, ou L’Eclat du Déclin, dont il est question ce jour, livrer des œuvres peaufinées à l’extrême, travaillées dans leurs moindres détails.

Ce type de one-man-band, dont l’existence ne passe que par le travail de studio, impose à son géniteur la lourde tâche de convaincre sur album au risque d’être ignoré ou vite oublié. Je me permets donc de vous rassurer tout de suite, quitte à vous divulgacher la conclusion de cette chronique : L’Eclat du Déclin c’est vachement bien !

Il faut savoir que ce projet a été fondé par Julien Hovelaque, qui a participé et participe encore à de nombreux projets (au clavier, à la guitare, de toute façon il sait tout faire, y compris programmer des batteries aux petits oignons) et a officié avec brio dans deux formations qui ont, aux yeux des connaisseurs avertis, marqué le paysage extrême de notre pays : Ave Tenebrae (3 démos en 1999/2000/2008 puis 2 albums en 2013 et 2016) et Maleficentia (4 albums entre 2001 et 2014).

Comme j’aime bien les cases pour vous situer : le premier officiant dans un Black/Death mélodique (progressif un peu) typé suédois de haute volée, le deuxième dans un Black Sympho classieux.  En références qui me viennent à l’esprit : Dissection/Nagflar/Opeth pour l’un et Cradle/Dimmu/Gehenna pour l’autre.

Jetez une oreille sur Ave Tenebrae et Maleficentia si vous le pouvez, les deux méritent clairement un hommage posthume !

Si je passe autant de temps à parler du passé c’est que ces groupes font partie des fondations de L’Eclat du Déclin, Julien ayant affuté dans ces formations son sens de la mélodie qui fait mouche, en particulier par son travail sur les guitares, et de la symphonie qui en impose par des claviers, des chœurs et une composition très étoffée, appuyée sur de nombreuses voix

Fort de ce savoir-faire, force est de constater que l’Eclat du Déclin n’a pas chômé : Un Echo dans les Ruines, Mater Tenebrarum (2 démos de 2018), puis les albums Ainsi Passe la Gloire du Monde (2020) et Pâle Echo de ce que nous Fûmes (2022). Le sieur Julien serait-il réglé sur les années paires pour nous sortir ses albums ? Seul l’avenir nous le dira !

D’ici là, deux années ne seront pas du luxe pour écouter et apprécier comme il se doit « Le Hurlement des Sphères » car la proposition est de très haute volée.

Oracle entropique et Anemomia, du haut de leurs durées de 8 et 9 min me semblent de parfaites portes d’entrées dans l’univers proposé.

« Oracle entropique » parcourt un large éventail, intro symphonique, break avec chants « religieux », riffs et chant Death, fulgurances Black, lead de guitare Heavy. Un très large spectre métallique est invité à la table avec une structure à tiroirs, certains passages reviennent au fil du morceau, mais jamais parfaitement à l’identique. Mention spéciale au chant qui est très varié et donne souvent la couleur des différents passages, navigant entre chants saturés divers (typé Black/Death ou entre deux) et une voix claire distordue.

« Anemomia » propose lui aussi un voyage très varié et confirme l’euphorie que peut ressentir l’auditeur à la découverte des compos, un plaisir renouvelé en permanence d’apprécier chaque plan, chaque enchaînement. Mention spéciale sur ce morceau aux effets de cuivres très puissants et passages ambiants bien sentis.

Sans doute suis-je influencé par les images que le groupe publie sur Youtube avec ses vidéos, mais cet album me semble une invitation au voyage et à l’introspection. Si Darkthrone m’a toujours évoqué la forêt et Immortal la banquise, L’Eclat du Déclin convoque dans mon esprit des images de montagne et de solitude…

« L’appel des Mânes » se pose ici en « tube » emblématique de l’état d’esprit que je ressens sur cet album, gorgé de riffs épiques et galvanisants entrecoupés de passage atmosphériques : écoutez cette guitare minimaliste posée sur un break central magnifié par un chant déchiré, tel un appel lancé du haut d’un sommet isolé, loin de tout, douloureusement vain par son absence d’auditeur.

A la fois sublime et glaçant, ce passage donne en contraste beaucoup d’ampleur aux passages qui suivent, guitares sinueuses posées sur des syncopes rythmiques s’ouvrant ensuite sur des envolées du plus bel effet, la finesse du mélange clavier/guitare portant le morceau à son paroxysme sur fond de blast diabolique. C’est typiquement pour ce type de ressenti que j’écoute du Black Metal.

Vous l’aurez compris, chaque morceau présente à la fois des fulgurances (le centre de « au Sein du Panthéon ») des passages éthérés (superbe introduction acoustique de « Silhouette ») des ambiances progressives par les explorations que permettent les arrangements.

Il faut un sacré talent pour aborder autant de styles avec cohérence et sans faiblesse de production, et il convient de noter le travail remarquable effectué sur les textures sonores, la spatialisation (à déguster au casque), l’équilibrage entre instruments. Les guitares sont limpides, aucun instrument ne couvrant les autres même lorsque cohabitent de multiples couches de guitares/basse/batterie/clavier/chant.

Comme évoqué dans l’interview qui suit, Julien est un loup solitaire, et si d’aucun pourrait regretter que ce projet n’existe jamais en live, force est de constater que la finesse d’exécution de cet album serait quasiment impossible à restituer.

Ne boudons pas notre plaisir et savourons cette œuvre pour ce qu’elle est : un pur joyau de metal mélodique, symphonique, mélancolique, finement ciselé et parfaitement maîtrisé, un superbe travail « d’orfèvre » pour clore la boucle de cette chronique.

Bonjour Julien,

Quand as-tu composé et enregistré cet album ? Travailles-tu ta musique par impulsions avec des phases denses ou de manière régulière et étalée dans le temps ?

Salut François. Alors j’ai écrit cet album entre février et juillet 2023. Et je l’ai enregistré et produit entre octobre 2023 et février 2024.

Je ne suis pas très précis car je ne prête pas attention aux moments où je bosse sur ma musique. Je travaille ça par impulsions étalée dans le temps.

Si je commence à écrire un morceau je ne vais pas lâcher jusqu’à ce qu’il soit fini mais il peut s’écouler ensuite plusieurs semaines avant que je n’attaque l’écriture d’un autre.

C’est encore plus vrai pour cet album que j’avais considéré fini à un moment. Puis 4 mois plus tard j’ai décidé de virer un morceau complet et d’en écrire deux autres à la place.

Même chose pour l’enregistrement. Si j’attaque l’enregistrement des guitares je fais ça en deux ou trois jours maximums par exemple. Puis il s’écoule deux ou trois semaines avant que je me mette à enregistrer les voix.

L’avantage de tout faire en Home Studio, c’est de pouvoir prendre son temps et d’avoir l’occasion de s’y mettre quand on le souhaite.

Justement, comment travailles-tu en studio et de quel matériel disposes-tu ?

Peux-tu décrire ton travail sur la batterie (que je trouve très fin) ?

Niveau matos c’est du très classique. J’ai une demie douzaine de guitares, une basse, un clavier midi, plusieurs micros. Je bosse exclusivement avec des amplis car je ne suis pas fan des émulations.

J’essaie de soigner la programmation de la drum en effet. Déjà pour l’écriture. Ensuite, j’analyse la ligne de batterie et règle la vélocité de chaque coup comme un batteur pourrait le faire (main gauche / main droite etc..). Je programme aussi sur une grille non aimantée car un batteur qui met chaque coup pile poil sur le temps ça n’existe pas. Le travail sur le Hi Hat et ses ouvertures est aussi intéressant pour donner de la vie à tout ça. Puis, dans ma session, j’exporte chaque micro de la drum virtuelle pour mixer comme s’il s’agissait d’une batterie acoustique.

C’est un peu un regret que j’ai sur mon projet. J’aimerai beaucoup avoir une batterie authentique mais je n’ai clairement pas le niveau et je refuse catégoriquement de bosser avec quelqu’un d’autre.

Sans parler de la galère pour l’enregistrer.

Le chant semble une composante essentielle et en nette progression dans ta musique, comment pratiques-tu et as-tu pris des cours ? Vas-tu développer encore l’utilisation de chœurs et chant clair par la suite ?

Oui le chant est essentiel dans mes morceaux mais pas central non plus. Il y a aussi de longs passages où je sais me taire. Dans le processus de compo, le chant vient en dernier une fois que le morceau est fini.

Il est là pour sublimer la musique et non l’inverse. Pour être honnête, je pratique vraiment très peu maintenant que je ne fais plus de scène.

J’ai fait plusieurs séances il y a quelques années avec un coach (Arnaud de Deathcode Society pour ne pas le citer) pour débloquer certaines choses et ça m’a été très utile.

Je ne donne de la voix que lorsque j’ai des trucs à enregistrer. Je bosse un peu les morceaux, expérimente deux trois choses et j’enregistre. J’utilise très peu de voix claire car je chante très mal. Pour ce qui est de la voix claire avec distorsion, oui, je vais continuer à l’utiliser. J’aime beaucoup chanter comme ça. Les chœurs que tu peux entendre sur l’album c’est du sample par contre.

La musique me paraît largement essentielle au sein de l’Éclat du Déclin, mais on devine un univers « historique » antique ou médiéval assez riche dans tes textes. Peux-tu nous en dire plus et révéler la signification du titre de l’album « Le Hurlement des Sphères » ? Afin d’inciter l’auditeur à s’y pencher, quels sont les morceaux avec les thèmes les plus forts sur ce nouvel album ?

Jadis, je lisais énormément et nourrissait une véritable passion pour l’antiquité et en particulier l’empire romain.

J’utilisais assez souvent des références pour mes textes dans Ave Tenebrae.

A présent, j’ai hélas beaucoup moins de temps pour lire. Il me semble que cet album ne recèle aucune référence historique.

En fait lorsque j’écris mes textes, la forme est bien plus privilégiée que le fond. Je choisis mes mots afin qu’ils sonnent correctement aux endroits où ils sont placés et j’accorde une importance particulière à la métrique afin de ne pas avoir une prosodie bancale. Je cherche bien d’avantage à avoir un texte musical en accord avec le morceau plutôt que de raconter des trucs profonds. Je cherche aussi à rester assez abscons pour que l’auditeur puisse interpréter ça comme il le souhaite. Il m’est arrivé plus d’une fois d’être déçu par ça quand je me suis intéressé aux textes d’autres groupes.

Le fil conducteur est évidement le déclin. Sur trois niveaux :

  • Le déclin à l’échelle de l’homme qui passe le plus clair de sa vie à régresser et à péricliter physiquement et mentalement.
  • Le déclin à l’échelle des nations et des empires.
  • Et le déclin à l’échelle du cosmos où, un jour, toute lumière, toute chaleur et toute énergie sera complètement diluée dans le vide.

Le titre de l’album est un clin d’œil à la théorie de l’harmonie des sphères des pythagoriciens. L’idée grossière est que les astres ont bougé et que les distances entre eux ont été dénaturées.

L’harmonie devient donc hurlement.

On a beau faire de la musique pour soi je suppose, toutes proportions gardées, que les retours peuvent être un moteur voire même guider un peu l’évolution d’un projet. As-tu été satisfait / motivé par les retours que tu as eus sur l’Éclat du Déclin et en particulier sur l’album précédent « Pâle Écho de ce que nous Fûmes » ?

Alors guider l’évolution du projet je ne pense pas. Sinon oui, les retours c’est toujours intéressant. Et les bons retours font toujours plaisir. Les quelques retours que j’ai eu de l’album précédent sont très positifs dans l’ensemble. Mais comme je ne suis vraiment pas actif pour promouvoir ma musique (c’est le moins qu’on puisse dire), je n’en ai vraiment pas beaucoup.

Mais en vrai je préfère ça, avoir un feedback de qualité en ayant l’occasion de parler avec les gens plutôt que d’avoir une grosse visibilité et d’être écouté par une légion d’inconnus.

Tu apprécies ta région et les balades en montagne (dont les photos me semblent illustrer parfois tes vidéos). Quel est ton rapport à la nature ? Est-ce vital pour toi de vivre loin de l’urbanisation et surtout loin des foules ? Tes pensées en promenade sont-elles parfois en lien avec ton processus créatif (inspiration musicale/réflexions).

Dire que j’apprécie ma région est un euphémisme. Je passe la majorité de mon temps libre à arpenter les montagnes. Je suis en effet solitaire et introverti. J’ai vraiment besoin de solitude. Lorsque je séjourne dans une grande ville, la promiscuité me coûte énormément.

Effectivement la solitude, dans les grands espaces, face à de somptueux panoramas, tout en se dépassant physiquement et mentalement, est propice à l’introspection. Mais ces errances n’ont jamais alimenté mon processus de création musicale.

En montagne je n’ai pas spécialement de musique dans la tête. Le silence règne.

Même si l’Éclat du Déclin est ta priorité, tu as participé et participe encore, si je ne me trompe, à d’autres projets. Quelles sont selon toi les expériences principales à retenir de ton parcours ? Passées, actuelles ou à venir.

Les deux expériences musicales majeures de mon parcours sont Ave Tenebrae (quasiment 18 ans) et Maleficentia (12 ans si je ne dis pas de bêtises).

Je suis toujours fier d’avoir fait partie de ces formations. C’est de bons souvenirs malgré tout.

A présent l’Éclat du Déclin est mon seul vrai projet. Je participe plus en tant que guest pour des potes sur le reste (Nuit Macabre, Wintermoon, Catabase, Usquam…)

Je t’ai vu citer en interview Emperor, Dissection, Depeche Mode et Pink Floyd, peux-tu en quelques mots me dire ce que chacun de ces 4 groupes t’évoque ? Ont-ils joué un rôle dans l’ADN de ta musique ?

Je pense que Depeche Mode a été mon premier contact avec la musique. Ça a bercé mon enfance et le début de mon adolescence (Music for Masses, Black Celebration, Violator…)

J’ai abandonné ce groupe lorsque j’ai découvert le metal et j’y suis revenu bien des années après. J’en ai retiré des atmosphères froides et un songwriting incroyable avec des mélodies fortes. Et tout ça contrasté par une voix organique et profonde. C’est vraiment une formation singulière et exceptionnelle.

Pink Floyd, je m’y suis mis un peu après. Là, on est plus dans un registre théâtral à mon sens. Des solos magiques. Un pathos fort. Et un travail sur le son qui fait entièrement partie des morceaux. Mention spéciale pour Animals et Wish You Were Here.

J’ai découvert Emperor et Dissection quasiment en même temps. C’était mes premiers contacts avec le BM. Ils ont une approche assez différente.

Emperor est plus sauvage, avec des accords riches appuyés par des claviers discrets. Les harmonies sont parfois mouvantes avec des parallélismes surprenants.

Dissection est beaucoup plus mélodique.

Le point commun entre ces deux formations, c’est un travail sur les deux guitares pour compléter les harmonies.

C’est lorsque j’ai entendu Emperor que j’ai décidé de faire du black.

Quel est le meilleur que l’on pourrait souhaiter à ce nouvel album et à son géniteur ?

Je fais mes albums tranquillement dans mon coin sans aucune attente. J’ai besoin d’écrire de la musique régulièrement et sortir un album me permet de jalonner ma création.

Je ne vais pas te mentir et chaque retour positif est très agréable. Donc on va souhaiter à cet album de faire son bout de chemin et de toucher favorablement une poignée de personnes de qualité.

Ça me suffit amplement.

Tu as carte blanche sur la conclusion.

Déjà merci à toi pour l’entretien c’était fort sympathique.

Et j’invite tes lecteurs à aller jeter une oreille au « Hurlement des sphères » en espérant que ça leur plaise.

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