Belluaires de ECR.LINF

Chronique et interview par François Karlek et Enileda Dory

Voilà un nouveau groupe certes, mais loin d’être débutant !

Comptant, entre autres, dans ses rangs Krys Denhez (Ophe, ex-Demande à la Poussière) au chant, Dorian Lairson (ex-Jarell) à la composition, Rémi Serafino (de feu Svart Crown et Hyrgal) à la batterie, ainsi que Jiu Gebenholtz à la basse, ECR.LINF. abréviation de la formule « Ecrasons l’infâme » que Voltaire utilisait en conclusion de ses correspondances, nous propose un black métal très abouti, brutal, mélancolique, érudit et philosophique.

Il est indéniable que le Black Metal évolue dans les thématiques proposées depuis quelques années, délaissant les clichés sataniques pour mettre en avant l’homme et ses réflexions, ses contradictions, rapprochant en cela Ecr.Linf. de Pénitences Oniriques et leur excellent « Nature Morte » sorti en 2023 et  fondé sur les écrits du philosophe René Girard, contemporain de celui-ci.

Mais revenons à nos moutons et parlons musique avant tout puisque l’interview à suivre développera justement les concepts !

« Belluaires » m’a donné l’impression d’un Grand disque, tout simplement. De ceux qui marquent leur époque et l’évolution d’un style, de ceux qui donnent le « la » en démontrant comment sonne un album de Black Metal français ambitieux dans sa composition, inspiré et superbement produit. Composé très naturellement pour que les morceaux s’imbriquent au mieux, Belluaires est un bloc compact d’émotion qui vous donnera bon nombre de sensations fortes si vous vous plongez dedans.

En ce sens, « Le Désespoir du Prophète », en ouverture, présente un parfait condensé de ce qui vous attend, blast beat furieux d’une batterie dont on distingue chaque élément à la perfection, chant en français parfaitement intelligible, déchiré entre souffrance et colère rentrée, et ces riffs, ces put… de riffs ! à vous retourner le cerveau tant ils sont belliqueux et subtilement harmonisés, vous cueillant de manière subreptice au détour d’un break mélodique (Désespoir), d’une intro (le Royaume du vide) ou d’un final à l’émotion brute (Missive).

Mention spéciale aussi à l’usage du clavier, à la fois très moderne dans les sonorités et apportant des ajouts subtils aux arrangements, sans mise en avant excessive mais au service des riffs qu’il complète à merveille sur des morceaux tels que « Tribunal de l’âme » et son refrain à filer des frissons (sur le passage chanté « Ecrasons l’infâme » justement) ou sur l’intro de la Danse des Crânes qui m’évoque le Dimmu Borgir de « Death Cult Armageddon » (ce qui est un très gros compliment de ma part).

Et que dire de cet accordéon sur la deuxième partie de « La Danse des Crânes » ? En évoquant le legs de nos ancêtres, l’usage de cet instrument traditionnel, dans une sorte de bal musette virevoltant (cette batterie !) et décadent appuyé par un chant éraillé et vindicatif, vous réserve une des meilleurs passages de l’album.

A ce titre, il convient de noter que le placement des morceaux est parfaitement pensé avec « Missive », pur joyau d’émotion, permettant une respiration par son midtempo doomesque placé en milieu d’album. Pour autant le soufflet ne retombe pas, tant ce morceau compense sa relative simplicité mélodique par la puissance évocatrice de ses mélodies Post-Black, évoquant le deuil, qui s’appuient sur une basse au groove imparable et un jeu de pattern de double grosse-caisse et cymbales apocalyptique.

Je me rends compte que ma plume m’a conduit à un quasi track-by-track tant cet album s’enchaîne avec fluidité, nous cueillant régulièrement par des passages épiques parfaitement disséminés afin que l’attention ne retombe jamais. Solennel, emphatique, grandiloquent, « Royaume du vide » est à ce titre un cas d’école de composition de black sympho, de ces brûlots dont la mélodie vous restera collée au cerveau.

Si le Belluaire (gladiateur combattant des fauves) représente bien la volonté de combattre ce qui est ignorant, intolérant, barbare, force est constater que le morceau « Ultime Projection » intègre cette sauvagerie pour mieux la dompter, dans un maelstrom furieux et dissonant flirtant avec le Death Metal qui n’a pas dû dépayser Rémi de son expérience chez Svart Crown.

Encore une belle démonstration de puissance qui bascule sur un superbe break et un final au piano.

Dernier vrai morceau de l’album, « Valetaille », qui incite passer au-dessus des faux-semblants imposés par les rapports humains, est une ode à la liberté, au mépris de ceux qui jugent sans connaître, alternant riffs entêtants et un refrain (« Idiots… ») au groove imparable. Une piste qui, certes, met une fois de plus en valeur la richesse de la production dans le traitement d’ambiances diverses et nuancées, mais qui retourne l’auditeur et le laisse pantelant.

Très court, « Feu Pâle » joue le rôle d’outro mais fonctionne aussi très bien en intro pour ceux qui écouteront comme moi le disque en boucle dans une logique d’éternel retour, tel celui dont les faiblesses, propres à son humanité, ne lui permettront jamais vraiment d’apprendre suffisamment de ses erreurs.

Manifestement pensé pour être joué live, « Belluaires » est un premier coup d’essai qui fleure le coup de maître, combinant l’énergie et l’émotion pour proposer une musique totale, à l’intégrité et la sincérité sans faille, sous forme de mètre étalon de ce qu’un album de Black Metal peut proposer de mieux en 2024 entre termes de réflexion, de modernité et de respect des codes stylistique.

Ecr.Linf est constitué de 3 membres de feu le groupe Jarell (Dorian, Krys et Jean) mais s’avère d’un style très différent. Jiu et Rémi vous ont rejoints, comment vous vous êtes rencontrés ?

Dorian : Effectivement avec Krys et Jean, on avait un groupe de Death Metal mélodique qui s’appelait Jarell. Etant tous issus du Black Metal, on savait que là-dessus, on s’entendrait bien.

Ecr.Linf est né en 2021 de mes retrouvailles avec Krys. On ne s’était pas revus depuis plus de 10 ans, suite à un sérieux différend. J’avais alors raccroché les guitares qui prenaient la poussière dans ma cave et je n’en avais plus du tout joué pendant tout ce temps. Et peu avant le COVID en 2019, j’ai commencé à recomposer des petits titres comme ça, sans aucune prétention, juste pour moi mais je voulais absolument rejouer du Black Metal. J’en écoute depuis mes 16 ans – parfois on est forgé à quelque chose et c’est indécrottable !

Avec Krys, on s’est retrouvé fortuitement par un algorithme de Facebook qui m’avait envoyé une invitation à rejoindre son réseau. S’il y avait bien un chanteur avec qui je ne voulais plus jouer, c’était Krys ! Mais souvent, dans mon travail de composition, je pensais à lui, à la manière dont on aborderait les choses ensemble. J’ai fini par accepter cette invitation, qui en fait n’en était pas une car il ne m’avait rien envoyé. Ce devait être un relent d’algorithme. On a fini par discuter de nos projets mais je savais que Krys était toujours actif dans la scène.

Par le plus grand des hasards, il se trouve qu’on était presque voisins, je lui ai proposé qu’on se retrouve le lendemain. On a eu toutes les explications qu’on n’avait pas pu se faire et c’était très instructif. On a parlé pendant des heures. Ça nous a fait plaisir parce que tout ce qu’on n’avait pas pu se dire à l’époque, sans ce recul et la maturité nécessaires. Là, on l’a fait et on s’est vraiment retrouvés !

Ensuite, est née l’idée du groupe, “de remettre ça !”, qui est plus issue des débats philosophiques et de paroles sur la vie en général que musicales, même si j’avais déjà des bribes de morceaux.

On a commencé à former les maquettes, les premiers textes. On avait Jiu, notre ami bassiste, qui voulait intégrer un groupe de Black depuis plusieurs années. Après avoir écouté ce qu’on lui proposait, il a voulu être de la partie. On cherchait aussi un batteur qui était capable de jouer ce qu’on était en train de composer. Krys, avec son ancien groupe, avait partagé une scène avec Svart Crown, dont le batteur est Rémi Serafino, qui jouait dans Hyrgal aussi et qui joue maintenant dans Igorrr. Il a accepté de nous rejoindre.

Et enfin Jean, que l’on a retrouvé un peu comme Krys et moi, par hasard à un concert de Seth, un mois avant d’entrer en studio. Il se trouve qu’il ne voulait plus jouer de musique sauf peut-être dans un groupe de Black et c’est justement ce qu’on avait à lui proposer !

On était vraiment contents car les planètes étaient alignées et on savait ce que chacun allait apporter au groupe. J’étais le premier surpris, tout est parti d’un petit projet dans ma cave !

Krys : Ce qui était dingue c’est que Jean était étonné de nous voir Dorian et moi, côte à côte, parce qu’il a vu le déchirement de l’intérieur. Il a même cru à une blague. Il y avait un truc qui n’allait pas là dans la matrice.

Krys, on avait cru comprendre que tu voulais arrêter la musique définitivement après ton départ de Demande à la Poussière? Qu’est-ce qui t’a redonné l’envie de te projeter de nouveau dans un projet musical ?

Krys : J’étais parti là-dessus, oui. Alors en fait, il y a 2 points. Premièrement, pour l’instant, en fait, rien n’est programmé pour faire des concerts. On est en attente de pas mal de points. Deuxièmement, j’avais envie un petit peu de de me recentrer sur ma famille, d’être un peu moins sur la route et d’être chez moi, tout simplement. Il y avait aussi le label dans lequel j’officie avec Arnaud et Yann (Source Atone Records) et par conséquent, tout cela me prenait déjà un temps fou et j’ai saturé. J’ai eu envie de poser mes valises et de me retrouver chez moi, le samedi soir, à me faire chier comme tout le monde et pas aller à perpette. Donc il y a eu ça et lorsque j’ai quitté le groupe, j’ai clairement dit que j’arrêtais. J’étais un peu dégoûté de pas mal de choses. Il fallait que je me remette dans un challenge mais pas forcément un challenge de groupe. J’avais vraiment besoin de la créativité pour de la créativité, de prendre du temps pour écrire vraiment, de prendre du recul, etc… Mon écriture était presque parfois plus importante que la musique en elle-même et je me reconnaissais plus dans le fait de devoir produire pour produire. J’ai ressenti une saturation. Peut-être que je serais resté dans le groupe si les choses avaient été différentes, mais il en a été autrement.

Alors là, c’était un peu comme un appel de la musique et de l’écriture ?

Krys : Quelque part, oui, mais on avait un peu déjà commencé avec Dorian à échanger des mots, et idées, mais par rapport à tout ce qu’on est en train de vivre aujourd’hui, tu nous aurais dit, il y a 2 ans « vous ferez ça », on aurait rigolé parce qu’à la base c’était juste pour se retrouver ensemble et se marrer. C’est-à-dire faire des bonnes bouffes et après enregistrer, faire les cons dans la cave. Ça nous allait très bien. Au fur et à mesure, on s’est dit qu’on devait fixer nos idées sur un support. Mais voilà, on ne va pas se prendre la tête, on va voir.

Et puis après, on a fait écouter tout ça, on s’est pris au jeu et on est contents des retours. On a envie de faire les choses correctement. Donc on est parti de tout ça, mais sans aucun stress, on va prendre le temps. C’est très agréable car il n’y a pas de pseudo pression qui sclérose un petit peu la créativité, ça me fait un bien fou.

Quelles sont les évolutions des membres du groupe qui ont conduit à proposer le Black Metal sophistiqué d’Ecr.Linf ?

Dorian : Belluaires n’est pas un album que l’on aurait pu écrire à 20 ans et ni même 30 parce que la preuve, à 30 ans, même si on avait certains thèmes abordés qu’on pourrait retrouver de près ou de loin, il a bien fallu qu’on mûrisse les choses.

Certains diraient qu’on est plus post Black que Black parce qu’il y a un côté intello. Pour moi, le Black c’est ça aussi, c’est aussi une réflexion des arts, philosophique, spirituelle. Enfin pour moi, je l’ai toujours pris comme ça d’ailleurs, mais il y a 30 ans, il est vrai que les codes et les thèmes n’étaient pas les mêmes. C’était plutôt imagé, métaphorique. Nous, on a essayé de rentrer dans quelque chose de peut-être plus sincère, plus vrai, de manière plus poétique, parce qu’on essaie de bien tourner les textes. L’évolution personnelle de chacun, pour ma part, est prise en compte. C’est vrai qu’il y a aussi beaucoup d’événements personnels qui ont conduit à des actes plutôt méditatifs et des états de conscience un peu altérés. Ceci induit, qu’effectivement, ça se retranscrit dans l’art. La manière d’aborder les choses, la hauteur nécessaire pour transmettre des messages n’est pas la même qu’il y a 10 ans.

Krys : On a puisé en nous les thèmes qu’on aborde. C’est vu de notre prisme, même si c’est un prisme à différentes facettes parce que les textes ont été partagés entre nous, le choix de certains points de vocabulaire à certains moments, ça a été vraiment recherché pour ça, pour cet aspect personnel. Après, derrière, effectivement, comme le souligne Dorian, on n’aurait pas écrit ça il y a quelques années. Il y a aussi les événements qui nous entourent, qui nous inspirent malgré nous et que l’on a envie de faire ressortir parce qu’on ne veut plus les garder en nous tout simplement. Donc, l’évolution est là et on a plus de facilité maintenant pour faire les choses. D’une part, on se connaît bien et d’autre part, il y a aussi le fait qu’on avance tous dans un tempo commun. Enfin, on connaît aujourd’hui certains rouages qu’on ne connaissait pas avant, donc c’est beaucoup plus agréable. L’expérience est dans le processus créatif, mais aussi dans la promo. On ne maîtrise pas forcément tous les aspects mais on les comprend beaucoup plus. Par conséquent, on est beaucoup plus ouvert à ce genre de choses. Tout ce qui est notre bagage musical est derrière nous et avec nous.

Voltaire clôturait ses correspondances par « écrasons l’infâme ». Dans votre album, c’est le deuxième titre et non le dernier qui s’achève ainsi. Pourquoi ? Est-ce une erreur dans la tracklist ?

Krys : En fait, on n’a pas réfléchi à ça. Quelque part, c’est bien que ce soit en 2ème et pas à la fin parce que dans ce cas, ça voudrait dire qu’on clôture le propos par le nom du groupe, alors qu’au contraire, on le met en avant pour dire qu’il y a encore plein de choses derrière qui vont arriver. Et c’est intéressant, effectivement, on pourrait se dire qu’on fait un concept album global sur l’écrasement de l’infâme et qu’on termine là-dessus alors que pas du tout. En fait, ici, c’est vraiment porté par le titre et les textes qui font que nous l’avons cité à ce moment-là, mais pas dans une logique particulière.

Dorian : Effectivement, dans la tracklist, il y a une suite logique et un rythme qu’on voulait absolument mettre en avant. L’album a été composé assez naturellement pour que les morceaux s’imbriquent bien ensemble tout en pensant aussi aux vinyles, avec les faces A et B.

On dit du 18ème siècle qu’il est le siècle des Lumières, visiblement il n’y a pas eu d’évolution positive depuis, comment nommeriez-vous le 21ème ?

Krys : Je dirais que la lumière n’est pas à tous les étages ! C’est vrai qu’il n’y a pas eu beaucoup d’évolution et que le débat populaire s’est même affaissé, tant dans les thèmes abordés que dans la profondeur entre guillemets. Je vais citer Didier Super qui disait « Enculez-nous mieux, manipulez-nous beaucoup mieux ». J’ai l’impression que maintenant les ficelles deviennent de plus en plus grosses et je trouve que c’est un signe de déliquescence de l’intelligence collective. Si notre élite est bête, je n’imagine pas le mec d’en bas ! J’ai quand même cette sensation que globalement, on parle de ce combat de l’idée, mais y a de moins en moins d’idées au final. Maintenant, on est pour ou contre, on n’est plus dans quelque chose de mixte ou dans quelque chose de discutable. Je trouve que maintenant c’est tranché, on va te dire « Bah voilà ça c’est pas bien dont il faut que tu dises que c’est pas bien », mais pourquoi ?

Dorian : je dirais qu’il est le siècle des croyances, mais de tout bord, pas seulement religieuse. Ce sont des croyances que tout le monde porte en soi dont on se convainc de sa vérité. On cherche alors à l’imposer pour justifier l’existence de notre petit ego.

Nous, on voudrait tendre vers une discussion constructive C’est à dire accepter l’opinion de l’autre, l’écouter, la comprendre et peut-être même l’intégrer.

Comme dans Candide ?

Krys : oui, c’est de trouver le point d’ancrage qui fait qu’à un moment donné, tu peux discuter avec l’autre. Et parfois, le point d’ancrage n’est même plus accessible parce qu’on te met de la rhétorique fermée qui n’appelle pas de réponse. C’est un peu paradoxal parce qu’on est en train de nous dire qu’on a beaucoup d’avancées technologiques, beaucoup de choses, mais peut-être que tout va trop vite, et que les gens n’ont pas le temps de s’approprier cette modernité correctement. Quand on voit qu’on a des débats maintenant sur les pochettes d’albums faites grâce à l’intelligence artificielle ou sur des personnes qui prétendent avoir écrit des textes. C’est l’auteur Sylvain Tesson qui disait que peut-être que la technologie que l’on a est surpuissante par rapport à la connerie environnante. Il a totalement raison.

Mais c’est vrai, on est en train de donner des Ferrari pour pouvoir chercher plus loin, aller plus loin, mais pour des mecs qui vont juste regarder Tik Tok ! Enfin, je résume un peu violemment, mais il y a quand même quelque chose de fou dans tout ce qu’on est en train de vivre. Et puis, on a le domaine des possibles mais on ne fait rien. Ce qui est bien, c’est que ça nous permet de le critiquer dans des albums.

On a cherché la définition d’un belluaire. C’est un gladiateur qui luttait contre les animaux dans les arènes. Belluaires est le titre de votre album. Est-ce que vous voyez l’homme comme un animal que vous voudriez dompter pour le maintenir dans la lumière?

Dorian : Oui, c’est un gladiateur comme tu l’as dit qui combat des animaux sauvages. Donc il y a la volonté de combattre le sauvage, mais de l’intégrer aussi, parce que du coup un belluaire combat dans une arène, donc c’est un espace bien défini. Cette arène-là, pour nous, représente le monde, donc on ne combat pas dans la nature, au milieu de rien. Il y a quelque chose de très organisé. C’est aussi pouvoir intégrer la sauvagerie qui est en nous pour mieux la comprendre et mieux l’intégrer, aborder le monde extérieur. C’est un combat mais c’est aussi un mariage enfin de prendre conscience des animaux sauvages à l’intérieur de ce qu’on est. Parce qu’aujourd’hui, on a la raison dont l’homme se réclame mais en fait il reste sauvage. Donc c’est cette ambivalence-là que l’on veut montrer et le message que l’on veut délivrer. C’est le mariage de la raison et de la sauvagerie.

Krys : La force d’un belluaire vient aussi du fait qu’il se bat à mains nues contre les animaux. On se bat avec son propre ressenti et son propre prisme. On est jeté dans l’arène du monde au moment de la naissance et après, on est un peu modelé malgré nous par rapport à notre entourage, etc… C’est l’environnement qui fait que par la suite, on évolue d’une manière ou d’une autre, ou qu’on a la possibilité de faire une chose plutôt qu’une autre. C’est cela aussi l’image du Belluaire, on est en lutte permanente. Je pense qu’il y a une bonhomie qui est un peu partie à gauche et à droite et on a l’impression d’être tout le temps en résistance. On ne peut pas être dans un état de résistance et de combat permanents. On ressent quand même qu’il y a des aspérités un peu violentes dans le monde global. Il n’y a plus ce côté bon enfant comme j’ai la sensation d’avoir vécu en étant petit et j’ai vraiment une nostalgie de ça. Pourtant, on a progressé mais le problème est qu’il n’est pas intégré par tout le monde au même moment. Pour intégrer un progrès, il faut déjà avoir compris la notion sinon on passe à côté du truc.

L’album est très travaillé avec une composition assez progressive, comment s’est passé le travail de composition ?

Dorian : Alors la composition, moi généralement je commence par quelques riffs. Je compose d’abord la guitare sèche, sans disto, sans rien. Cela me permet d’être prêt dès que l’inspiration me vient. Ce sont des bribes de mélodies et de thèmes que je propose à Krys. Ensuite, je lui envoie un morceau, en tout cas une structure de morceaux déjà complète, que j’ai préenregistrée sur mon home studio. Krys va travailler sur le thème et sur les paroles abordées. Il va apporter sa touche, son vécu, son ressenti. Généralement, on se complète assez bien. Avant de pouvoir enregistrer la maquette tous les 2, on sélectionne et arrange les textes pour trouver des phrases fortes, et que l’album fasse sens. Généralement, Krys a une suite logique dans l’écriture, donc c’est assez facile. Et moi-même, avant même que les textes me soient présentés, j’ai déjà des idées de placement de chant. Certains sont réarrangés par Krys qui y apporte sa force. Ensuite, on se retrouve pour enregistrer le chant chez lui que je réintègre, par la suite, à la maquette.

Quels morceaux de cet album ont été les plus difficiles à mettre en place ?

Krys : Il n’y a pas eu de difficulté, à part Missive peut-être. Ce titre était difficile d’un point de vue émotionnel parce qu’il parle d’un ami disparu. Ça a été très fort, même en studio. Certains diront que c’est du décorum, mais je suis persuadé qu’il était là avec moi quand je l’ai enregistré. J’étais entouré de bougies et c’était vraiment un moment très solennel, un dernier au revoir en fait. C’était très touchant, et émotionnellement difficile parce que pour la petite histoire, quand on l’a enregistré la première fois, on avait une superbe version sauf qu’on n’a pas appuyé sur « enregistrer ». On était en larmes tous les 2, non pas par rapport à la maladresse d’enregistrement, mais par rapport à la force et l’émotion qu’on a mis dans ce morceau. Au final, la version de l’album a rempli toutes ses promesses !

Dorian : Je pourrais parler peut être de Ultime Projection, 6ème titre de l’album. C’est une petite anecdote. J’étais venu avec une version sur laquelle Krys a chanté. Au retour chez moi, j’étais septique sur la composition de la musique donc je l’ai intégralement recomposée sur le chant de Krys
Krys : Oui ! Quand j’ai écouté la nouvelle version, je n’avais pas le souvenir d’avoir chanté ça. Je reconnaissais bien ma voix mais pas le morceau donc c’est super déstabilisant ! Il y a eu des fois où le texte était proposé avant la musique, les deux cas se sont présentés.

Dorian : Effectivement, sur ce titre, je voulais donner plus de force à la musique pour que ça colle parfaitement au chant de Krys.

Quelles œuvres vous ont inspirés pour écrire Belluaires ?

Dorian : Pour moi, ce serait de prime abord Marc Aurèle. C’est un personnage historique dont l’œuvre philosophique m’a marqué. Après évidemment, vient Voltaire mais je suis très sensible à la philosophie, toutes les philosophies orientales, grecques, bref, de toute façon, toutes les sagesses du monde se rejoignent à un certain niveau.

Krys : Je me suis replongé pas mal dans Voltaire et particulièrement dans toutes ces correspondances où il était très satirique. J’y ai vu des échos dans ce qu’on vivait actuellement, notamment le procès des jeunes nobles qui a été totalement hallucinant parce que soit disant, ils auraient craché sur la croix, etc..Enfin, c’était des « on dit » et au final les mecs sont décapités, là tu te dis « mais c’est pas possible ! On est où ? ». C’est à dire que là, on ne juge plus au final sur ce qu’ils ont réellement fait mais sur ce qu’on a cru qu’ils ont fait. Et c’est un truc de fou. Maintenant, il faut chercher la vérité alors que souvent, elle est toute simple. L’œuvre de Voltaire est criante de vérité à l’heure actuelle. D’autres livres m’ont aussi nourri. J’ai lu pas mal de Houellebecq aussi à cette période-là, j’aime bien en fait son côté détaché du monde, sa nonchalance dans l’analyse de notre environnement. Je me suis beaucoup replongé dans les faits de la Terreur de la Révolution française. Je me suis interrogé sur la bêtise parce que je vois beaucoup de correspondances avec ce qu’on vit actuellement. On peut très vite basculer dans la connerie pure et simple, et surtout dans la violence gratuite, ça m’inquiète de plus en plus.

Dorian : La philosophie autour de la tolérance est une thématique importante. Il est fréquent que les tolérants deviennent intolérants. On devient souvent ce qu’on accuse, surtout si on le porte en nous et quand on a vraiment un ennemi bien désigné, on ne le lâche pas. C’est une chose à laquelle on fait attention et surtout à titre personnel. Essayer d’être de plus intègre possible est déjà un combat d’une vie. L’intégrité, la sincérité, ça nous tient à cœur. 

Comment est venue l’idée d’un accordéon (joué par Adrian Lordan) sur « La Danse des Crânes » et pensez-vous explorer l’usage d’autres instruments non Metal à l’avenir ?

Krys : Pour l’utilisation des instruments, en fait, c’est la musique qui va les appeler, c’est-à-dire qu’on n’est pas venu ayant l’idée de poser un truc original en plein milieu. C’est vraiment la musique qui a apporté ça.
A l’origine, on avait quand même l’idée mais qui était faite de manière artificielle, avec des synthés mais cela ne rendait pas bien. C’était dommage parce que dans la manière de chanter tout ça, il y avait un côté un peu débonnaire, un peu un peu Pigalle (SBUC : c’est exactement à ce groupe qu’on en a pensé et à François Lazzaro). Quelque part, lorsqu’on a voulu amener l’accordéon, c’était pour que ça fasse réagir dans l’innée de chacun parce que le paragraphe de cette chanson est très simple. Il explique qu’il ne faut pas renier d’où on vient, même si parfois, ce peut être dur à porter et que très clairement on apprend toujours en fait de ses bêtises ou de ses erreurs. Quand tu nies les erreurs, tu n’avances pas. Il faut faire corps avec ses anciens pour en reprendre de la substance et redonner de la force pour avancer. Et c’est un peu ça. Quelque chose m’avait vachement marqué à l’époque, c’est que j’avais relu la Marseillaise parce qu’on ne connaît finalement que les premiers couplets. L’un deux dit qu’on sera fier de mourir aux côtés de nos anciens, fier de leur vertu, d’essayer de leur ressembler et de s’assembler dans le tombeau avec eux. Et là je me suis dit tiens, c’est marrant, ça fait écho à cette chanson car on dit la même chose mais pas du tout dans le côté patriotique. C’est marrant parce qu’il y a des strophes de la Marseillaise, que souvent on critique parce que c’est un chant très guerrier, qui sont très jolies et qui renvoient dans l’ancrage de ce qu’est la France : l’humanité autour de la France, le Français, l’agriculture, tout ce qu’on a créé de bon. C’était rassemblé dans ce paragraphe et on n’en parle jamais. Dans la Danse des Crânes, c’est un peu pareil, on a voulu faire appel à l’innée de chacun, au côté un peu « madeleine de Proust ».

Dorian : Dans les paroles, on dit qu’on entrouvre cette malle dans laquelle on découvre nos ancêtres, en tout cas tous leurs legs. On a besoin d’intégrer et l’accordéon à ce moment-là, apporte un côté presque dansant. On a envie de tourner avec et on l’a laissé traîner après derrière parce qu’on entendait bien le soufflet. Adrian a fait des merveilles avec notre mélodie, un grand bravo à lui. Edgar Chevallier, lui aussi, a fait du sacré bon boulot dans ses prises de son et son mix.

La musique d’Ecr Linf semble taillée pour le live en termes de dynamique, une tournée est-elle prévue ?

Krys : Oui, on a prévu d’en faire. Actuellement, on est en train d’auditionner des batteurs parce que Rémi est pris sur d’autres engagements professionnels et par conséquent, il n’a pas le temps nécessaire pour répéter et de faire les live. Donc, on est en train de s’organiser pour des live plutôt vers la fin d’année.

Dorian : Sur cet album, on voulait faire une synthèse. C’est-à-dire que cela soit bon sur album mais aussi abordable en live. Il y a assez de punch line, assez de rebonds pour que l’on puisse vraiment faire quelque chose de très beau sur scène. Le live a été le fil rouge de la composition de l’album.

Les thématiques abordées ne sont pas si faciles d’accès pour les néophytes, pouvez-vous expliquer les thèmes en prenant quelques morceaux en exemple ? (Tribunal de l’âme, Valetaille).

Dorian : Ce qui est intéressant est qu’on a écrit quelque chose de très personnel, très intime mais en même temps, on laisse aussi libre cours à l’auditeur ou au lecteur de s’imaginer quelque chose qui peut faire écho en lui.

Valetaille évoque le rapport à l’autre, le rapport à la confrontation qu’on peut avoir avec autrui, avec son voisin, avec son ami, avec sa femme, avec l’extérieur. C’était ce rapport-là qui pour nous faisait sens et comment se positionner par rapport à ça.

Krys : Dans Valetaille, le thème est d’apprendre à passer au-dessus des faux-semblants qu’on s’oblige dans les rapports humains. Le terme de valetaille désigne des soldats de petite monnaie. Ce sont des gens sans ambition. Et là quand on parle de ça, on parle même de nous-mêmes bien sûr, ou parfois on n’a pas l’ambition de continuer. Après, il y a l’idée d’arrêter d’être aussi borné et d’essayer encore une fois de discuter. Il ne faut jamais se résoudre à une finalité où on n’a pas eu de réponse.

Dorian : Il y a une phrase dans Valetaille qui est très vraie : “Mes erreurs ont fait de vous de piètres procureurs.” C’est qu’on essaie justement d’être sincères et intègres et aussi d’avouer nos erreurs dont certains vont s’emparer pour encore plus juger. Alors du coup, ils font tout pour nous nuire. C’est vrai qu’il y a 2 types d’êtres humains, le plus sain qui va accepter ton mea culpa, et peut-être saisir l’occasion d’en faire un également, et l’autre qui, au contraire, va sauter sur l’occasion pour t’enfoncer davantage.

Krys : Effectivement, il y a des textes un peu plus alambiqués aux lectures indirectes, à tiroirs. C’est la chance que l’on a dans Ecr.Linf de pouvoir jouer avec les mots et des idées. Nous, on sait ce qu’on a envie de dire derrière. En fait, je pense qu’on aurait été dans l’erreur d’être trop francs dans ce qu’on avait envie de dire.

Le Désespoir du Prophète a fait l’objet d’un clip très réussi, avec un personnage féminin semblant entrer en transe avant de rendre l’âme. Pouvez-vous développer le scénario mis en image ? Et nous donner une idée du travail fourni pour arriver à un tel résultat ? (on prend les anecdotes de tournage !)

Dorian : Le scénario présente un personnage féminin qui rentre en transe effectivement. Ce personnage est ma fille. L’entrée en transe fait plutôt écho un sacrifice personnel. C’est-à-dire que pour atteindre le divin ou l’ultime, il faut forcément se sacrifier de quelque chose. Ce sacrifice personnel symbolise la mort de l’ego ou du moins pour atteindre une espèce d’émulation, il faut en faire fi pour justement atteindre ce Tout. Tout qui est bloqué par le mental et par l’ego, et qui cherche à vivre par le sacrifice de l’abandon. Le mélange de son sang à des graines lui permet de faire des potions qu’elle boit et qu’elle donne à la terre en offrande. Cette transe lui fait donc intégrer son propre sens et ainsi renaître. On y voit le symbole d’Ecr.Linf brûler dans le clip et tomber à terre lui aussi. Ce qui signifie que nous aussi, nous sommes en mesure de sacrifier notre propre création et c’est ce qui est important : savoir prendre de la distance pour revivre.

Pour les anecdotes dans le clip, il faut savoir que ce sont nos enfants qui jouent dedans. Ça a été une journée très difficile à cause du temps (pluie et froid). On a fait en sorte qu’ils aient des changes pour se maintenir au chaud. C’est Krys qui portait le sac de rando avec tous les changes dedans, c’était vraiment une aventure. Moi je filmais comme je pouvais. On avait fait du repérage dans plusieurs forêts, on en a choisi 2. On avait trouvé ce lieu superbe que l’on voit à la fin du clip, à savoir le promontoire en pierre qui fait vraiment sens dans le scénario. Heureusement que ce repérage avait été fait au préalable parce que le temps d’attention de petits de 5 ans, 5 ans ½ n’est pas très long, ils ne se rendaient pas bien compte. Par contre, ma fille était très fière, elle avait de bonnes idées, elle avait déjà préparé les accessoires, j’étais très surpris. Elle était très impliquée car elle veut être actrice et réalisatrice plus tard.

Krys : Moi, mon fils, il m’a simplement dit “quand est-ce qu’on en fait un autre, c’est rigolo ». On ne va pas en faire tous les week-ends parce que ce n’est pas évident de gérer des enfants, on leur disait de ne pas bouger et on était parfois un peu fermes. Donc y a des moments où il avait l’impression de se faire enguirlander. Et puis on a eu notre pote, Etienne, qui était là avec son drone et qui s’est amusé comme un fou ! On entendait le bourdonnement du drone à notre hauteur, c’était drôle et flippant quand même. Et puis des fois on le voyait se planter contre un arbre, on le ramassait et le truc redécollait. On s’est bien marrés avec ça.

Dorian : On a pu alterner avec 2 caméras. Le plus dur pour moi dans le montage a été d’uniformiser la colorimétrie (étalonnage) du fait de l’usage de ces 2 caméras. Il a fallu une semaine de montage, ne serait-ce que pour la première version. On est fiers d’avoir tout réalisé nous-même sans être forcément du milieu. 

Krys : On a évité les plans où on voyait les bottes de Spider-Man ou de Oui-Oui. A un moment, on me voyait avec mes sacs alors que le plan était génial, on ne voit plus rien au montage. En tout cas, on est fiers de l’avoir fait nous-même et en famille. C’était drôle de partager cela avec nos enfants.

Merci beaucoup Krys et Dorian !

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