Chronique et interview par François Kärlek et Hello’Die

Un son qui leur est propre, marque des plus grands, voilà la première qualité de Pénitence Onirique, groupe de Black Metal français.
Depuis leur premier album V.I.T.R.I.O.L paru en 2016, leur musique repose en effet sur des éléments très identifiables. Le travail sur les guitares, réparties entre graves/médium/aigus selon les effets souhaités et jouant sur les textures. Le travail sur la basse, ronde, puissante avec ses propres parties mélodiques. Le travail sur la batterie dont les assauts, principalement en blast beat, sont quasiment incessants au point d’en devenir hypnotiques. Le travail sur le chant, versatile entre cris et growls, toujours prenant et accrocheur, parfaitement mixé en live comme sur album. Enfin le travail sur les textes, tous en français et extrêmement travaillés, qui débordent largement du carcan satanisme/dépression/misanthropie souvent propre au Black Metal.
Malgré la violence indiscutable dans la forme proposée, Pénitence Onirique (PO pour les habitués) base son art sur les ambiances. J’ai d’ailleurs découvert le groupe par les morceaux « Le Sel » et « Carapace de Fantasme vide » mis en valeur par l’écrivain SAAD JONES, respectivement dans une interview et dans la playlist de son roman Red Roots dont chaque chapitre est associé à une chanson. C’est donc plongé dans un univers littéraire que je me suis immergé dans leur musique, qui m’a enveloppé et ne m’aura plus jamais lâché ensuite.
A ce titre le nom du groupe évoque parfaitement sous forme d’oxymore l’ambiguïté entre la forme, musicale extrême, telle une punition de l’auditeur qui fait acte de pénitence, et la beauté du fond, le travail des harmonies et mélodies qui invitent à la rêverie, la divagation dans un royaume onirique.
Cet aspect planant se retrouve d’ailleurs dans les prestations live, hautement recommandables, qui immergent l’auditeur dans un mur sonore à la fois dense et aérien et l’emporte avec lui, harcelé par la rythmique implacable, le chant hargneux, les couches de guitares, et obligé de se concentrer exclusivement sur la musique puisque le groupe joue masqué, en tenues noires, sous la forme éthérée de six apparitions spectrales entièrement dédiées à leur art, sans artifices pour distraire leurs victimes.
Créé initialement par le musicien complet Bellovesos rejoint rapidement par le chanteur Logos, PO a étoffé ensuite ses rangs pour devenir une formation complète et a accumulé une expérience du live et de l’écriture qui leur permet enfin, après la frustration de la sortie de leur 2ème album « Vestiges » pendant le COVID, de disposer pour ce 3ème album « Nature Morte » du contexte le plus favorable possible pour atteindre une reconnaissance à hauteur de leur talent.

L’album est basé sur les travaux de l’anthropologue René Girard qui a développé principalement le concept de théorie mimétique, que je vais tenter de résumer ici :
La théorie mimétique part du principe que nos désirs ne viennent intrinsèquement de nous car l’homme a besoin d’un modèle pour savoir quoi désirer. Le désir de posséder (un bien, une personne sous forme de relation amoureuse) est en vérité un désir d’exister en s’affirmant.
L’imitation nous porte à désirer les mêmes choses que nos semblables, à rivaliser avec eux, elle est une menace pour l’harmonie d’un groupe. Les sociétés traditionnelles redoutent par exemple l’imitation sous toutes ses formes comme en témoigne l’interdiction des jumeaux, tués à la naissance dans certaines tribus.
La mimésis est une source des désordres exprimés par une rivalité et une violence réciproque. Cependant cette violence peut être canalisée, devenir unanime et déboucher sur la paix en désignant collectivement un bouc-émissaire, une victime à diviniser puis à sacrifier pour fonder une culture collective.
Toutes les cultures semblent ainsi basées sur des fondations religieuses similaires visant à empêcher les rivalités mimétiques et le retour de la violence en s’appuyant sur le divin.
On retrouve tous ces concepts, basés en grande partie sur la faiblesse et les travers de l’humanité à travers les textes : Désir (mimétique s’entend), Les Mammonites (qui désigne les adorateurs de Mammon, dieu des richesses), Nature Morte (qui évoque le calvaire du Christ), Pharmakos (therme grec de la victime expiatoire dans un rite).
Là où le groupe a fait fort c’est que toute l’émotion et le désespoir de ce constat de faiblesse d’une humanité qui semble vouée à sa perte malgré sa potentielle prise de conscience s’exprime à travers chaque riff, chaque mélodie, chaque cri.
Il y a du sacré et une forme de transsubstantiation dans le passage de ces concepts à leur expression physique et concrète par la musique et à l’inverse une forme de sublimation pour l’auditeur qui arrivera à fusionner avec l’œuvre proposée et se sentira propulsé et élevé spirituellement.
Ecoutez ces mélodies quasi orientales qui relancent Désir à 4:20, la fureur compacte des harmonies qui portent les Mammonites, les riffs syncopés de Pharmakos à 3 :20 avec ces subtils mini-breaks, la lourdeur et les chevauchements de riffs et de chants de la fin Des Indifférenciés, autant d’idées brillantes qui donnent corps à une musique compacte mais superbe, quasi douloureuse tant elle est capable de toucher celui ou celle qui s’y livrera totalement.
Un album magistral, proche du sublime.

Bonjour Logos, et merci de prendre le temps pour approfondir la genèse et compréhension de ce « Nature Morte ».
Si la musique met en scène l’ADN pur de Pénitence Onirique, tes textes sont pour leur part très narratifs et basés sur les écrits d’auteurs littéraires. Est-ce un choix délibéré de ta part afin de ne pas évoquer tes expériences personnelles ou doit-on trouver les clés d’une double-lecture ?
Bonjour et merci à vous,
Tous mes textes depuis notre premier album sont profondément personnels. Que ce soit le rapport à la mort dans VITRIOL, qui était un moyen de mettre un point final à un deuil et de synthétiser un cheminement de pensée sur le sujet de la fin de vie, ou une vision du monde moderne, de ses dérives et des déchirements moraux ou intimes qu’il peut entraîner sur l’Homme pour Vestige ou encore le désir, le rapport au religieux via les concepts de René Girard dans Nature Morte, tous ces sujets sont directement lié à ma vie, mon parcours ou mon état d’esprit à un moment précis.
Les albums sont pour moi un moyen de synthétiser et de mettre en ordre mes pensées à un moment de ma vie. La musique de PO étant à mon sens hautement émotionnelle, il est évident qu’elle est pour moi un moyen parfait d’évacuer toutes ces choses qui prennent énormément de place dans mon esprit. C’est certainement pour ça que les textes sont écrits systématiquement dans les derniers moments de la composition de l’album et souvent juste avant l’enregistrement des voix, parce qu’ils sont l’aboutissement d’une pensée qu’il m’est très difficile de synthétiser autrement que par le biais de l’écriture.
Mais faisant partie d’un groupe formé de plusieurs individualités, je trouve, peut-être à tort, assez égoïste d’accaparer le message pour ma petite personne. C’est pour cela que j’essaye tant bien que mal de romancer tous ces sujets pour que les membres du groupe, mais aussi les auditeurs, puissent eux aussi trouver dans les paroles quelque chose qui leur parle directement ou auquel ils peuvent se rattacher. Je n’ai aucun problème à ne pas être compris ou que mes textes ne soient pas pris au premier degré. J’aime cette idée que n’importe qui puisse plonger dans l’univers de l’album en captant le message qu’il arrivera à appréhender avec les biais qui lui sont propres.
Comment as-tu découvert les écrits de René Girard et as-tu choisi de traiter le thème du mimétisme seulement pour sa richesse en termes de développement littéraire autour des trois aspects (sociétaux / anthropologiques / religieux) ou parce qu’il est lié à quelque chose de plus personnel dans ton parcours de vie ?
Je ne saurais trop dire comment j’ai découvert René Girard la première fois, certainement durant mes errances sur internet. Je me souviens juste que j’avais été assez décontenancé par la profondeur de ce que je pouvais appréhender à l’époque. Je n’avais pas creusé plus que ça, par manque de culture et de clefs de lectures.
C’est quelques années plus tard, par l’intermédiaire d’un ami (Arnhwald de Deathcode Society) que René Girard et ses travaux ont recroisé mon chemin, et curieusement à un moment où je me posais pas mal de questions sur mes croyances et mon rapport au religieux. Faisant assez souvent attention aux signes, je me suis mis, cette fois-ci, à creuser tant bien que mal, pour toucher du doigt une pensée qui, à ce moment de ma vie, a pris une importance assez considérable. Comme lorsque vous avez un trousseau de clefs beaucoup trop chargé et qu’après un nombre incalculable d’échecs vous arrivez enfin à trouve la bonne. C’est ce qu’a été René Girard pour moi, une clef qui a ouvert une porte qui ne se refermera certainement plus jamais.
Dans un monde qui semble de plus en plus aseptisé et peu enclin à la réflexion et la prise de recul, considères-tu que ta liberté d’expression est totale au sein du Pénitence Onirique ? Un peu dans la même idée, le fait d’être passé d’un groupe de 2 au départ à 6 membres actuellement avec une audience qui ne fait que croître a-t-il changé ta manière d’écrire ?
J’ai la chance d’être dans un groupe qui me laisse carte blanche. Jusqu’à présent je ne me suis jamais censuré de quelque manière que ce soit. Je prends soin de soumettre et d’expliquer ce que j’ai en tête pour avoir un avis général, je ne souhaite pas que quelqu’un se sente mal à l’aise avec un sujet, je n’ai pas envie d’imposer quoi que ce soit et jusque-là j’ai eu de la chance. Alors oui, la liberté d’expression est totale dans le groupe. Elle est aussi totale vis-à-vis du public, je ne m’empêcherai jamais d’aborder un sujet, tant que le groupe aura donné son accord.
Pour moi il n’y a pas de limite ni de sujet inabordable. Ce n’est pas la pensée ou la réflexion qui est problématique, c’est l’absence de celles-ci. Je ne vois pas comment quelqu’un d’extérieur à PO aurait la légitimité de m’empêcher d’aborder un sujet. J’ai passé l’âge de me soucier de l’avis d’inconnus, très souvent sans grand intérêt.
J’ai effectivement changé mon « style » d’écriture, plus par soucis de la rendre peut-être plus abordable. Je tends de plus en plus à la simplicité, pas par facilité, mais par clarté.
D’un point de vue du ressenti, ton chant est extrêmement viscéral et habité. Certains vocalistes de Black Metal t’ont-ils inspiré et influencé ? As-tu des habitudes / rituels particuliers pour te mettre en condition avant d’enregistrer tes lignes de chant ou te produire en live ?
Oui je suis influencé, qui ne l’est pas ?
Dans le BM, je citerais évidemment Hreidmarr en particulier sur Anorexia Nervosa et Glaciation, c’est pour moi une référence absolue et certainement un des meilleurs chanteurs de BM, un condensé de haine et de hargne. Je peux citer aussi Emperor Magus Caligula de Dark Funeral, je pense que je pourrais chanter l’album « Diabolis Interium » dans son intégralité tellement je l’ai écouté, une branlée totale.
Mais au-delà du BM, beaucoup de chanteurs sont très importants et ont marqué mon chant directement ou indirectement. Je suis fan à vie de Phil Anselmo, pour son charisme, son timbre, sa palette, la violence, sa manière de placer ses lignes de chant, tout chez lui me subjugue. Ian Gillan de Deep Purple, « Machine Head » est un album de chevet et je le trouve incroyable dessus. Je pourrais citer aussi Freddy Mercury, pour qui, je pense, je n’ai pas besoin de faire de commentaire ou encore Rob Flynn à l’époque de « Burn my Eyes », Mikael Åkerfeldt à toutes les époques d’Opeth, je pense que sa voix death est indépassable ou encore Baldur d’Arkangel, « Dead man Walking » étant certainement un des albums les plus violents que j’ai eu l’occasion d’écouter.
Pour ce qui est des live ou du studio, non, je n’ai pas de rituel. J’arrive comme une brute et je gueule au maximum, même si avec le temps, je prends le temps de faire quelques vocalises avant de monter sur scène, pour pouvoir être propre d’entrée de jeu et aussi éviter d’avoir des vertiges sur les premiers lignes du set. Je n’ai aucune technique vocale, je suis un chanteur de Metal extrême, je suis là pour cracher mon venin, pas pour faire une démonstration technique.
Notez que Pénitence Onirique sera présent au Seisach’ Metal Night(s) V à Sauveterre-de-Guyenne le samedi 19 octobre 2024.
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